Le rétablissement de l'Etat de droit dans une société en reconstruction post-conflictuelle: l'exemple de la sierra léone( Télécharger le fichier original )par Jukoughouo Halidou Ngapna Institut des Droits de l'Homme de Lyon & Université Pierre Mendès France de Grenoble - Master 2, Recherche, Histoire du Droit, Droit et Droits de l'Homme 2007 |
II. Une redistribution équitable des richesses nationalesLa justice à faire valoir dans une société en reconstruction post-conflictuelle, comme nous l'avons déjà mentionné doit être intégrale. Il s'agit, en effet, d'instituer une justice pénale pour les victimes des violations graves des droits de l'Homme et surtout de préparer la société à vivre en paix dans le futur. La fiabilité de cette paix dépend de la qualité de la justice sociale dont les différentes réformes de l'Etat sont en mesure de mettre en place, qu'il s'agisse de la gestion de l'exploitation des ressources naturelles (A) ou de la redistribution équitable des richesses à travers la décentralisation (B). A. La gestion des ressources naturellesLa fin de la guerre et la signature de l'Accord de paix de Lomé a consacré la création de la Commission nationale des ressources stratégiques (1) qui est un élément indispensable dans la mise en oeuvre effective du Processus de Kimberley (2).
L'Accord de paix de Lomé fait partie des accords de cessez-le-feu les plus critiqués par les observateurs. Considéré comme un blanc seing pour les criminels de guerre, il a pourtant eu le mérite de faire espérer - il est vrai pour quelques mois seulement - un retour à une paix stable. C'est un modèle de participation d'un groupe rebelle, transformé en parti politique, à la vie socio politique. Foday SANKOH, Prédisent du RUF était revenu de Lomé avec le poste de Vice-Président de la République et surtout le porte feuille hautement important de Président du Conseil de la Commission nationale de gestion des ressources naturelles stratégiques317(*). C'est quelques jours après la ratification de la loi, le 23 juillet que le Parlement vote la loi établissant ladite Commission. Cette loi régie le statut, les fonctions et les pouvoirs dont elle dispose pour contrôler la gestion des ressources naturelles précieuses qui sont stratégiques pour la sécurité de l'Etat sierra Léonais. La Commission est dirigée par un Comité de dix membres dont le Président du RUF, deux membres nommés par le Président de la République, deux par le RUF, trois issus de la société civile et deux autres par les partis politiques non partis à l'Accord de Lomé (art. 3). Ce Comité exerce des fonctions règlementaires, contentieuses et consultatives. Parmi les fonctions consultatives, elle fournit des rapports au Gouvernement et le conseille sur des contraintes de sécurité dans les régions qui abritent les mines d'extraction d'or, de diamant et d'autres ressources précieuses. La Commission assiste le gouvernement dans la mise en oeuvre de la loi de 1994 sur l'exploitation des ressources minières et les concessions d'exploitation signées avec les entreprises internationales. Au point de vue règlementaire, la Commission autorise toutes les exportations de diamants, or et autres ressources naturelles dont l'exploitation a une influence sur la sécurité de l'Etat. A ce titre, elle participe à la négociation et à l'attribution des parts de marché et des concessions aux entreprises nationales et internationales. Etant donné que l'Etat dispose d'un monopole pour exporter les pierres précieuses, elle est chargée de mettre en place un processus de certification et de sanction des violations de ce monopole, y compris dans le domaine de l'exploitation artisanale qu'elle doit aussi réguler. Pour des besoins de transparence, toutes les décisions, homologations et rapports de la Commission doivent être publiés au Journal Officiel conformément à l'article 9 de la Loi. L'Accord de paix de Lomé a entraîné dans son échec la plupart des institutions qui en découlaient. La Commission des ressources naturelles stratégiques n'a pas survécu à la fuite du SANKOH318(*). Cependant, c'est un outil indispensable dans la protection des intérêts de l'Etat et dans la transparence de la gestion des ressources naturelles. La réactivation d'un tel organisme ou la création d'une nouvelle institution est nécessaire pour ne pas laisser entre les seules mains du Gouvernement l'exploitation des principales recettes financières de l'Etat. C'est un préalable à la concrétisation de la mise en oeuvre de la certification requise par le Processus de Kimberley.
Les Nations unies se sont longtemps inquiétées de la menace que consistait l'exploitation illégale des diamants pour la paix et la sécurité internationales. Les premières restrictions ont été entreprises par le Conseil de sécurité sur les importations des diamants provenant de l'Angola en 1998. Seuls les diamants ayant suivi un processus de certification internationale peuvent légalement être vendus sur le marché international. C'est sur ces bases que le Conseil de sécurité a voté les sanctions contre la Sierra Léone, le Libéria et la République Démocratique du Congo. Le Processus de Kimberley est le produit des pressions faites par la communauté internationale sur l'Afrique du Sud et les pays d'Afrique Australe sur le contrôle des exploitations de diamants. Lancé en 2000, le Processus compte aujourd'hui 44 Etats319(*) (et l'Union Européenne) importateurs et exportateurs de diamants, qui représentent 99 % de l'exploitation mondiale des diamants, et qui ont signé en novembre 2002 un engagement de respecter ce mode de certification dans leurs pays. Le principal engagement du Processus de Kimberley est celui de ne pas importer ni exporter, encore moins servir de transit aux diamants des pays ou vers les pays n'ayant pas adopté le processus de certification internationale reconnu en Suisse le 5 novembre 2002. Ce processus permettra d'éviter d'une part que les ressources minières soient détournées au profit des individus, et d'autre part, ce qui est le plus important, qu'elles ne servent plus à financer l'achat d'armes et des munition qui alimentent les conflits. La Sierra Léone est membre du sous-groupe pour les extractions alluviales et coordinateur pour l'Afrique de l'Ouest du Processus de Kimberley. En 2001, pendant que le pays était encore sous l'effet des sanctions des Nations unies, le gouvernement sierra léonais a suspendu pour trois mois toutes les exportations de diamants pour mettre en oeuvre sa législation avec le Processus. Deux années plus tard, le Conseil de sécurité a observé avec satisfaction que le processus de certification pouvait permettre le contrôle de l'exploitation des ressources diamantifères et a levé l'interdiction de l'exportation des diamants. La mise en oeuvre de ce processus permet, comme le rappelle l'ambassadeur PEMAGBI de « mettre sur pied des mécanismes efficaces aux niveaux national, régional et international pour garantir que les bénéfices tirés du commerce de ces pierres précieuses profitent pleinement aux populations des pays producteurs de diamants320(*) ». La Sierra Léone est à l'avant-garde de l'harmonisation des législations au niveau sous régional entre les pays de la Mano River (Libéria, Sierra Léone et Guinée). Cette harmonisation était indispensable, car malgré les contrôles stricts aux frontières, des grandes quantités de diamants sierra léonais et libériens traversaient encore les frontières vers la Guinée qui n'était sous aucune interdiction. Ces efforts ont permis à la Sierra Léone de passer de 10 millions de dollars en 2000 à 142 millions en 2005. Ces ressources non négligeables lui permettront de mobiliser des crédits pour le financement des projets de développement local. * 317 Comme l'a prévu la loi du 18 juillet 1999 ratifiant l'Accord de paix de Lomé en son article 5, § 2. * 318 Même pendant sa présence à Freetown, celui-ci a parasité les réunions et posé son veto chaque fois qu'une décision gouvernementale était susceptible de toucher aux zones diamantifères qu'il contrôlait. * 319 Angola, Arménie, Australie, Biélorussie, Botswana, Brésil, Bulgarie, Canada, République Centrafricaine, République populaire de Chine, République démocratique du Congo, Côte d'Ivoire, Croatie, Ghana, Guinée, Guyana, Inde, Indonésie, Israël, Japon, République de Corée, Laos, Lesotho, Malaisie, Île Maurice, Namibie, Nouvelle-Zélande, Norvège, Roumanie, Russie, Sierra Leone, Singapour, Afrique du Sud, Sri Lanka, Suisse, Tanzanie, Thaïlande, Togo, Ukraine, Émirats arabes unis, États-Unis d'Amérique, Venezuela, Viêt Nam et Zimbabwe. * 320 Déclaration de Joe PEMAGBI, représentant de la Sierra Léone à l'Assemblée générale des Nations unies lors des 64ème et 65ème séances plénières du 4 décembre 2006 (source www.onu.org). |
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