Le rétablissement de l'Etat de droit dans une société en reconstruction post-conflictuelle: l'exemple de la sierra léone( Télécharger le fichier original )par Jukoughouo Halidou Ngapna Institut des Droits de l'Homme de Lyon & Université Pierre Mendès France de Grenoble - Master 2, Recherche, Histoire du Droit, Droit et Droits de l'Homme 2007 |
B. La Commission nationale de lutte contre la corruptionEn Sierra Léone, à la fin de la guerre, l'on a pris conscience de l'ampleur du règne de la corruption dans la fonction publique. Les « dessous de table » et « cadeaux » étaient monnaie courante dans l'attribution des marchés publics, la délivrance de certains papiers officiels ou même la fourniture des prestations aux usagers de l'Etat. Les pouvoirs publics ont procédé à la création d'une Commission aux pouvoirs importants (1) qui sert d'organe d'instruction dans la répression de la corruption (2).
Etait-il nécessaire de lutter contre la corruption par la création d'une Commission ? Plusieurs arguments militent en faveur de ce choix : l'efficacité, la neutralité, l'indépendance d'un organe spécialement chargé d'une mission aussi délicate et essentielle. La corruption est une infraction pénale particulière qui nécessite la mobilisation de ressources financières et humaines importantes pour assurer le bon suivi des affaires. Les juridictions pénales sierra léonaises rencontrent des difficultés à examiner dans des délais raisonnables les affaires qu'elles connaissent. Leur confier des dossiers aussi techniques que la corruption accentuerait la lenteur judiciaire et consacrerait dans certains cas l'impunité. L'établissement d'un organe indépendant qui se consacrerait exclusivement à l'infraction pénale spéciale qu'est la corruption permettrait une spécialisation du personnel et leur focalisation sur des dossiers précis, permettant ainsi une répression efficace. Les juges sont liés à la fois organiquement et financièrement au pouvoir exécutif, ce qui accentue le risque d'un parti pris et l'impression d'impunité. La création par la loi du 3 février 2000 relative à la lutte contre la corruption de la Commission nationale est une étape importante vers la mise sur pied d'un mécanisme indépendant et équitable de répression de la corruption. Son indépendance organique, politique et financière lui permettra d'agir sans crainte contre les membres du gouvernement ou les autres agents publics ou privés qui se seraient donnés à de telles pratiques. Le choix d'une commission indépendante plutôt qu'une juridiction pénale correspond à une pratique assez répandue dans les pays africains. Souvent, pour montrer leur bonne volonté et sous la pression des institutions de Bretton Woods, les Etats créent des commissions qui ont souvent peu de pouvoir et d'impact dans l'endiguement de ce phénomène. L'article 53 de la loi relative à la lutte contre la corruption prévoit que la Commission ne devrait solliciter ni recevoir d'ordres ou de directives de la part de quelque personne que ce soit. L'impartialité de la Commission dépend principalement du mode de désignation de ses membres et de leur nombre. Lorsque la nomination des commissionnaires dépend du pouvoir discrétionnaire d'un seul, il y a risque de complaisance dans la mise en mouvement des actions contre les personnes soupçonnées de corruption. Il est donc important d'impliquer le plus de personnes possible dans le processus de nomination. La nomination des commissaires doit être le résultat d'un consensus entre les trois pouvoirs. En Sierra Léone, la loi de 2000 prévoit en son article 2 (2) que le Président de la République procède à la nomination du président de la Commission après consultation du président de l'Assemblée nationale. Cette consultation est elle obligatoire, facultative, assortie de l'avis conforme ? La loi n'en précise pas la portée. C'est une lacune considérable car, le Président peut nommer une personne de son choix sans contre pouvoir efficace en face pour suffisamment tempérer son pouvoir discrétionnaire. Deux autres données importantes pour assurer l'indépendance et l'efficacité d'une commission sont le nombre des commissionnaires et leur mandat. La loi de 2000 met en place une Commission dans laquelle seuls le président et le vice-président exercent un pouvoir effectif et disposent des avantages et immunités liés à leur rang. Leur mandat est de cinq ans renouvelables autant que nécessaire. Il aurait fallu instituer un principe d'inamovibilité du président de la Commission, car, celui-ci, pour conserver son poste risquerait de vouloir plaire au Président en étant indulgent envers lui ou ses proches pour conserver sa fonction au bout des cinq années que dure le mandat. Enfin, il est important de souligner que l'une des raisons de la prospérité de la corruption en Sierra Léone et dans les autres pays de la région est la faiblesse du pouvoir d'achat des fonctionnaires. Les agents de la Commission nationale de lutte contre la corruption doivent échapper à cette contrainte. Assurer aux commissionnaires une rémunération importante les mettrait à l'abri des tentations et permettrait de les rendre plus indépendants des éventuels corrupteurs. Le Parlement devrait prendre en compte cet aspect important dans le vote du budget et du salaire des membres de la Commission.
La principale fonction de la Commission nationale de lutte contre la corruption est de mettre en oeuvre au plan national la lutte contre la corruption (article 4). Elle est chargée de mener sur tout le territoire de la Sierra Léone une campagne de lutte contre la corruption ; cette campagne ayant pour but d'informer et de sensibiliser les populations et les fonctionnaires sur les pratiques de corruption ou les risques que cela a sur le développement du pays. La Commission peut être consultée par les membres des gouvernements (central et régionaux) sur les questions relatives à la corruption. Outre ces fonctions pédagogiques et consultatives, la Commission intervient aussi au niveau répressif en étant l'organe d'instruction des affaires relatives à la corruption.
La loi de 2000 sur la corruption définit la corruption comme le fait pour un agent de l'Etat d'accepter ou de solliciter un avantage matériel ou financier en échange d'une prestation ou abstention dans l'exercice de ses fonctions (art. 8 § 1). Cette prestation ou abstention doit être le résultat exclusif de cet avantage apporté par le corrupteur. La répression de la corruption en Sierra Léone dépend de l'autorité judiciaire qui agit avec l'aide de la Commission de lutte contre la corruption qui sert d'organe d'instruction par l'ouverture et la poursuite de l'enquête préparatoire. · Le pouvoir d'ouvrir l'enquête : la commission nationale de lutte contre la corruption a le pouvoir d'ouvrir une enquête sur tous les actes de corruption avérés qui lui parviennent. Il n'est pas nécessaire qu'une plainte soit déposée pour ouvrir une telle enquête, car, au regard de l'article 5 de la loi, il suffit d'une simple suspicion de corruption pour l'ouvrir. La Commission peut donc examiner les comptes et pratiques des ministères et établissements publics pour s'assurer de leur régularité et faire des recommandations possibles. · Le pouvoir de mener l'enquête : pour mener une enquête, la Commission dispose des mêmes pouvoirs, privilèges et immunités que la Haute Cour. Elle peut donc convoquer et entendre les témoins sous serment, exiger la production des documents et autres éléments de preuve, y compris ceux qui se trouvent à l'étranger. La Commission a le pouvoir de saisir les documents, livres et registres des comptes des sociétés, ministères et établissements publics soumises à enquête (article 16). Les personnes soumises à enquête peuvent être soumises à des restrictions de la liberté d'aller et venir315(*) et du secret bancaire (article 20). Ils doivent procéder à une déclaration de revenues (art. 17) et donner des explications sur toutes les opérations financières et bancaires exécutées par elles pendant la période incriminée. Ces dispositions touchent aussi les membres de leur famille et proches. La Commission peut aussi demander l'arrestation et la mise en détention préventive d'un suspect. Celui-ci est incarcéré dans un établissement pénitentiaire et peut demander par le biais de son avocat une libération conditionnelle auprès de la Haute Cour. Ces pouvoirs exorbitants sont garantis par al répression sévère de l'obstruction au mandat de la Commission316(*) qui est punie de peines pouvant aller jusqu'à 30 millions de leones (760 € environ) et 5 ans de prison (art. 20 et 32). Les pouvoirs de la Commission sont un challenge pour les libertés fondamentales des citoyens. Ils sont soumis au respect des règles du due process of law, telles que définies dans le Code de procédure pénale de 1965. Les suspects ont ainsi droit à l'assistance obligatoire d'un avocat, au respect des droits de la défense et à la présomption d'innocence. Les preuves recueillies de manière irrégulière par la Commission sont d'office exclues lors de l'examen de l'affaire au fond. · Le relais du ministère public : lorsque la Commission a terminé son enquête et juge que les preuves sont suffisantes pour déclencher des poursuites pénales, elle fait un rapport au Ministre de la justice et à l'Avocat général qui prennent les dispositions adéquates. L'Avocat général peut demander des informations complémentaires à la Commission avant de saisir une juridiction pénale (la Haute cour de justice pour les prévenus civils et le Conseil de la magistrature pour les prévenus issus du corps de la magistrature). Les procès sont, conformément au Common Law de caractère accusatoire et peuvent déboucher sur des condamnations sévères. La condamnation peut être privative de liberté et/ou pécuniaire. L'article 40 de la loi prévoit des peines de prison allant jusqu'à 7 ans et des amendes pouvant égaler le double des sommes ou de l'estimation des avantages obtenus par le corrompu. La lutte contre la corruption est la cheville ouvrière de la restauration de l'Etat du point de vue économique. C'est un axe important de la justice sociale à laquelle doit aspirer tous les citoyens qui ont le droit de bénéficier, de manière équitable, à la redistribution des richesses nationales. * 315 Saisie des passeports et autres documents de voyage pendant une période de trois mois renouvelables (art. 27). * 316 Faux témoignage, destruction de documents, intimidation, bris des scellés, utilisation des biens saisis, soustraction de preuves, etc. |
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