Le rétablissement de l'Etat de droit dans une société en reconstruction post-conflictuelle: l'exemple de la sierra léone( Télécharger le fichier original )par Jukoughouo Halidou Ngapna Institut des Droits de l'Homme de Lyon & Université Pierre Mendès France de Grenoble - Master 2, Recherche, Histoire du Droit, Droit et Droits de l'Homme 2007 |
Section 2 : Renouer avec la bonne gouvernanceLa Sierra Léone, comme la plupart de pays africains, a plus que jamais besoin d'assainir la gestion de ses finances. La bonne gouvernance économique et politique est désormais, avec le respect des droits de l'Homme des critères essentiels pour la mobilisation des moyens financiers de la part des institutions financières internationales. Cette bonne gouvernance suppose une lutte indispensable contre la corruption (I) et la bonne redistribution des richesses (II). I. L'indispensable lutte contre la corruptionIl s'agit de prévenir les détournements des biens publics par un contrôle strict des comptes (A) et l'établissement de la Commission nationale de lutte contre la corruption (B) pour assurer la répression. A. Le contrôle des comptes publicsToute démocratie est dotée d'une institution chargée du contrôle indépendant de l'État, et cette dernière est un élément important de sa structure démocratique. Ce contrôle est défini selon deux modalités, le contrôle proprement dit et l'évaluation. Le contrôle se borne à vérifier la mesure dans laquelle les objectifs d'un programme ont été atteints, ainsi qu'à analyser les moyens employés pour atteindre ces objectifs. Jamais un contrôle ne met en doute les objectifs alors que le principe même de l'évaluation est de poser une critique de l'opportunité des objectifs à atteindre. Il convient donc de revenir sur les principes de tout contrôle des comptes publics (1) avant de relever le rôle et l'impact du Bureau du vérificateur général de Sierra Léone (2).
Les travaux publics jouent un rôle important dans les économies de tous les pays en développement. Ils absorbent une part importante des ressources publiques, et les infrastructures que finance l'État sont essentielles au développement économique du pays. Vu la nature et de l'ampleur de ces travaux, leur contrôle représente une tâche stimulante et complexe. Il est important que cette tâche soit assurée par un organisme public, indépendant ou non des organes ou instituions qu'il contrôle, que ce soit au niveau du pouvoir central ou décentralisé. Dans la mise en oeuvre des compétences des gouvernements locaux, un audit des comptes et une évaluation des politiques nécessitent une expertise dont ne disposent pas les conseils municipaux. C'est pourquoi la Sierra Léone a opté depuis 2002 pour le recours au cabinet d'audit pour les contrôles et audits dans le domaine de l'enseignement312(*). L'intervention des acteurs de la société civile est aussi importante pour apporter plus de crédibilité et de transparence. Le contrôle proprement dit des finances publiques se fait, comme nous l'avons dit plus haut en amont et en aval de tout usage financier. Dans la recherche des ressources par l'emprunt, l'Etat Sierra Léonais est soumis au contrôle strict du Parlement qui peut, par une résolution, autoriser le Gouvernement à conclure un accord de prêt pour le financement des opérations publiques. Le Gouvernement ne peut donc recourir à un emprunt en dehors du cadre législatif, car, en effet, l'accord signé doit être déposé au Parlement pour ratification à la majorité qualifiée. Le Gouvernement, par le biais des ministres compétents a le devoir de déclarer les revenus de l'Etat au Parlement, y compris ceux qui proviennent des dons et aides financières des organismes et partenaires internationaux avant de les déposer obligatoirement dans un compte ou des fonds prévus à cet effet. En aval, l'évaluation des projets, le contrôle ou la vérification doivent respecter des critères importants pour assurer leur efficacité. Il s'agit entre autres d'une indépendance et d'une responsabilité appropriées à l'égard des fonctions de vérification, de l'amélioration de l'efficacité des institutions ou organes de contrôle grâce à la nomination d'employés professionnels compétents, des relations avec des agents d'observation d'autres organismes gouvernementaux afin de garantir un partage des compétences et des idées et de s'assurer qu'ils deviennent plus habiles à déceler les cas de fraude et de corruption, de l'application de procédés adéquats sur le plan financier et d'un suivi adéquat des rapports de vérification, ces rapports devant être techniquement exacts et communiqués d'une manière claire et compréhensible. Selon l'Organisation internationale des institutions supérieures de contrôle des finances publiques (INTOSAI), les organes de contrôle ont entre autres pour mission de : « s'efforcer d'améliorer la réglementation des marchés publics afin de garantir que l'on applique et que l'on observe strictement les règles relatives à la concurrence de manière à éviter les cas de fraude et de corruption; veiller à l'existence de mécanismes de financement de manière à garantir que les projets sont mis en oeuvre dans les délais fixés et à éviter les dépassements de coûts qu'entraînent les prolongations de délai; planifier la mise en oeuvre de projets de travaux publics dans le cadre des activités de développement durable, afin de garantir leur utilité sociale; renforcer les mécanismes de contrôle interne efficaces et permanents dans le secteur des travaux publics et de permettre aux institutions de contrôle qui travaillent dans le secteur des travaux publics de recourir au besoin à des spécialistes de l'extérieur313(*) ». Cette vérification épouse deux principales formes : la vérification judiciaire et la vérification intégrée. · La vérification judiciaire : elle ne se limite pas aux enquêtes en cas d'irrégularité ou de fraude. Elle est sujette à la fois à l'expertise des contrôleurs que des vérificateurs. La compétence de la vérification judiciaire appartient à une juridiction qui pourra l'exercer y compris à l'égard du pouvoir judiciaire. La vérification judiciaire s'attèle à mettre en place des méthodes d'évaluation des risques, des déclarations relatives à l'état des créances et au contrôle interne, à faire des directives au secteur public sur la gestion des risques détectés et les procédures de dénonciation. C'est à partir de ces bases de données établies qu'un éventuel dossier d'instruction peut être mis en place pour être transféré au bureau de l'Avocat général. · La vérification intégrée : ce sont des vérificateurs qui appartiennent aux institutions soumises à contrôle. Ces vérificateurs généraux jouissent d'une complète indépendance et produisent des rapports à la destination soit du Gouvernement soit du Parlement ou les deux à la fois. Ce mode de vérification a le mérite d'être plus régulier et spécifique, les vérificateurs ne s'intéressant qu'aux entreprises publiques ou organismes déterminés. Elle permettra aussi de maintenir une interaction plus complète avec les clients ou partenaires de ces institutions. Les principes de vérification appellent à la fois une centralisation et une dose de décentralisation des procédés. La décentralisation intervient au niveau du contrôle intégré avec les administrations locales, les organismes et les entreprises publics. La centralisation concernant les procédés judiciaires et surtout la création d'un organisme indépendant de contrôle des finances publiques. C'est ce que la Sierra Léone a institué dès les premières années de son indépendance.
Un an après l'indépendance de la Sierra Léone, le Parlement a adopté une loi de vérification qui institue un organe chargé de contrôler la gestion des comptes publics de l'Etat par le Gouvernement, les entreprises et les établissements publics. Le régime juridique de cet organisme a progressivement évolué jusqu'à l'adoption de la Constitution de 1978 qui fixe ses contours modifiés par la Constitution de 1991 et la Loi sur la comptabilité et les budgets de 1998. Le Bureau du vérificateur national dispose d'une indépendance organique et fonctionnelle qui lui permet de mener sa mission avec efficacité. · Organisation et mandat Le mandat du Bureau général du vérificateur de la Sierra Léone est de vérifier de manière indépendante l'ensemble des activités et opérations financières du gouvernement, des entreprises et établissements publics ainsi que des personnes morales de droit privé ayant reçu des subventions de l'Etat314(*). Le Bureau a l'obligation de produire en temps opportun des rapports au parlement. Le cabinet du président et le ministère des finances sont informés des activités de la Commission avec la possibilité de saisir l'Avocat général en cas de constatation de fraudes ou d'irrégularités. Le Bureau du vérificateur est organisé au niveau central autour du vérificateur nommé par le Président de la République après consultation du Parlement qui ratifie cette nomination par un vote à la majorité qualifiée. Les quatre sous-vérificateurs qui le secondent dans son travail ont des fonctions principalement administratives, sont chargés des finances et de l'administration, des pensions, des organismes parapublics, et de la formation et de la recherche. Au niveau décentralisé, les bureaux régionaux examinent les comptes des organes décentralisés de l'Etat.
· Indépendance L'efficacité du travail du Bureau dépend de son indépendance vis-à-vis de toute influence des trois pouvoirs. Le Président de la République nomme le Vérificateur général qui exerce ses fonctions jusqu'à l'âge de 65 ans. Il peut être démis de ses fonctions avant ce terme pour des raisons motivées et défendues devant le Parlement qui ratifie cette destitution par un vote à la majorité des deux tiers de ses membres article (119 § 14 de la Constitution de 1991). Il exerce ses fonctions à l'écart des de toute influence et ne doit ni recevoir, ni solliciter d'instructions de la part de quelque organe ou personnalité qu'il soit (art. 119 § 6) et est soumis au contrôle d'un comité composé de parlementaires et membres de la société civile.
Le Bureau du Vérificateur général a été transformé en 1998 en Service national de vérification, mais garde ses mêmes attributions. Il a contribué de manière significative à l'assainissement des comptes publics et est un des maillons les plus importants dans la chaîne institutionnelle chargée d'établir la bonne gouvernance aux cotés de la Commission nationale de lutte contre la corruption. * 312 La société privée KPMG est associée depuis 2002 à l'audit des comptes dans le domaine de l'enseignement. Pour une commission de 10% sur les subventions accordées par l'Etat et ses partenaires aux établissements scolaires, elle assiste les gouvernements locaux dans le contrôle de leur utilisation. Voir Sali KPAKA et Joshua KLEMM, Enquête sur la traçabilité des dépenses publiques en éducation, étude de l'ONG National Accountability Group en 2005. * 313 Inga-Britt AHLENIUS, Les contrôles de gestion, les évaluations et les institutions supérieures de contrôle des finances publiques, Revue Internationale de la Vérification des Comptes publics, publié par l'INTOSAI, numéro de janvier 2000. * 314
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