Le rétablissement de l'Etat de droit dans une société en reconstruction post-conflictuelle: l'exemple de la sierra léone( Télécharger le fichier original )par Jukoughouo Halidou Ngapna Institut des Droits de l'Homme de Lyon & Université Pierre Mendès France de Grenoble - Master 2, Recherche, Histoire du Droit, Droit et Droits de l'Homme 2007 |
B. La redynamisation de la société civileIl s'agit de réserver une place importante à la liberté d'expression et d'association (2) et à la Commission des droits de l'Homme (2).
Depuis le début des années 1990, l'Afrique a connu des changements allant dans le sens de la démocratie. L'adoption des lois consacrant la liberté d'expression a profondément redynamisé le secteur associatif. L'on a aussi assisté à la création des commissions des droits de l'Homme. Ces commissions, créées par le pouvoir exécutif, participent à l'émergence d'une véritable culture des droits de l'Homme à travers leurs fonctions pédagogiques, investigatrices et revendicatrices. Indépendantes, elles constituent un moyen de pression efficace vis-à-vis des pouvoirs politique qui seraient tentés de commettre des exactions. Travaillant en étroite collaboration avec les ONG et associations oeuvrant dans le même domaine, elles participent au monitoring national des droits de l'Homme et pourrait recevoir des plaintes/requêtes des individus qui se sentent lésés dans leurs droits. La Sierra Léone n'a pas eu l'occasion de mettre en place une commission nationale des droits de l'Homme. Elle était dans une situation d'instabilité pendant laquelle les droits de l'Homme n'étaient pas la préoccupation première. La fin du conflit et le retour à une situation de stabilité est une bonne occasion de créer un tel organe pour contribuer à la promotion et à la protection des droits de l'Homme. C'est alors que l'Accord de paix de Lomé a requis la création dans un délai de 90 jours d'une Commission nationale des droits de l'Homme autonome et quasi-judiciaire. Il a fallu attendre le 26 août 2004 pour que le Parlement adopte une loi établissant une Commission de protection et de promotion des droits de l'Homme. La nomination des membres de la Commission (section 3) obéit à une procédure particulière : le Président de la république demande au ministre de la justice et à l'Avocat général de procéder à un appel à candidatures. La sélection se fait par un panel composé des représentants du Conseil inter religieux, du Forum national des droits de l'Homme, de la société civile, du conseil des chefs traditionnels, du forum national des femmes et du Congrès national des travailleurs. Elle est dirigée par un secrétaire exécutif élu pour cinq ans renouvelables une seule fois. Elle dispose des bureaux dans chaque région pour assurer la proximité. Comme son nom l'indique, la Commission est chargée de protéger les particuliers des violations des droits de l'Homme et de promouvoir la pratique par les institutions nationales des principes du respect des droits fondamentaux. Pour exercer ses fonctions, la Commission jouit d'une indépendance organique et financière (art. 14). Elle ouvre des enquêtes de son propre chef ou sur requête d'un particulier309(*), personne physique ou morale. Ses pouvoirs d'investigation sont les mêmes que pour ceux d'une juridiction nationale : elle peut entendre des personnes et requérir des documents officiels310(*). Elle peut, après ses investigations requérir de l'Etat des compensations financières au profit des personnes victimes des violations avérées de l'Etat. La Commission des droits de l'Homme peut assister en tant que amicus curiae311(*) à des procès portant sur la violation des droits de l'Homme. Pour ce faire, la Commission procède à la nomination d'un avocat qui fera part de ses observations sur l'affaire devant la Cour (art. 12). La Commission peut être consultée par le gouvernement ou le parlement dans la préparation et l'adoption des lois qui touchent de près ou de loin aux droits de l'Homme. La Commission participe à la promotion de la culture des droits de l'Homme en Sierra Léone. Elle organise des colloques, séminaires et sessions de formation au profit des professionnels dans des domaines divers. Le Secrétariat de la Commission produit chaque année un rapport sur l'état des droits de l'Homme dans le pays. Ses activités d'enquête et de monitoring ne peuvent produire des effets positifs que lorsqu'elle est faite en collaboration avec les associations et autres corporations professionnelles.
La liberté d'expression est l'eau qui alimente le moulin de la démocratie. La culture du débat public, de la tolérance et de la dissémination des idées sont des données fondamentales qui permettent de déterminer le niveau d'ouverture d'une société. L'on peut la définir comme la liberté de dire ce que l'on pense, d'exprimer ses opinions à travers l'écriture, la presse audiovisuelle, l'art, etc. C'est à travers le critère de respect de la liberté d'expression que le niveau de démocratisation d'une société est évalué. La liberté d'association est la liberté dont disposent les citoyens de se lier avec les personnes défendant les mêmes buts ou valeurs. La liberté d'association concerne non seulement les associations proprement dites mais aussi les ONG, les syndicats et autres groupes socioprofessionnels. La liberté d'association est étroitement liée à la liberté d'expression, car, sans cette dernière, l'association entre les opinions communes n'est pas possible. Il convient de les examiner en Sierra Léone sous la coupe de la liberté d'information dont doivent disposer les médias, de l'action de proximité des associations et syndicats et surtout, dans le domaine de la justice, le rôle important à jouer par le barreau. · La liberté d'information : c'est à travers les médias que l'opinion publique se forme et s'informe. L'accès à l'information est la clé la plus importante dont disposent les citoyens pour avoir à exercer leurs droits civiques de la manière la plus éclairée possible. Mettre en place les bases d'une liberté d'information pour les médias concourt à la démocratisation de la société et au rétablissement de la confiance des populations vis-à-vis des pouvoirs publics et des médias. Le contre pouvoirs ne doit pas seulement exister dans les institutions officielles représentant les trois pouvoirs. Il existe aussi dans la société dite civile à travers le droit à l'information. Cette liberté d'information des médias suppose la liberté de la recherche de l'information. Il s'agit de donner les moyens aux médias de mener des investigations dans le respect de la vie privée et de la sécurité de l'Etat. · L'action de proximité des associations et syndicats : la Sierra Léone a une grande tradition du syndicalisme. Elle a été l'un des plus importants soutiens des acteurs syndicaux africains lors des luttes pour l'indépendance. L'Université de Fourah Bay, crée en 1827, a fourni dans ce secteur une très grande contribution donnant lieu à une culture syndicaliste qui s'est malheureusement effritée juste après les indépendances. La fin de la guerre civile a marqué un tournant important dans le dynamisme associatif avec, il faut le souligner, l'influence des ONG internationales qui se sont installées dans le pays. Les associations sont réputées être le plus possible en contact avec la population et donc de leurs préoccupations. Des rapports nouveaux doivent être mis en place entre les décideurs et la société civile qui participera à la vie sociale à travers les consultations dans les nominations et le choix des politiques économiques et sociales. Les ONG et associations sont indispensables dans l'équilibre et l'arbitrage entre les pouvoirs d'une part et d'autre part entre les citoyens et l'Etat d'autre part. Le développement durable, la défense des droits de l'Homme et la protection de l'environnement sont leurs principaux champs d'intervention. Des moyens financiers et juridiques importants doivent être dirigés vers la réalisation de ces objectifs. · L'activité du barreau sierra léonais : le barreau de Sierra Léone a manqué une occasion de marquer se son empreinte l'évolution des institutions. La création de la Cour spéciale a été une raison d'espérer que leur participation soit plus importante. Cependant, des avocats qui ont été impliqués dans le processus juridictionnel, très peu sont Sierra léonais alors que le barreau est richement fourni. Les avocats sierra léonais se sont plutôt illustrés par leur hostilité à l'institution. Ils ont notamment introduit une requête en inconstitutionnalité contre la loi instituant la Cour spéciale. Ils ont, par la suite, démissionné massivement des postes qu'ils occupaient au sein des organes de la Cour, ce qui n'a pas joué en leur faveur. Le rôle de veille que doit jouer le barreau dans une société démocratique est indéniable. Entant que spécialistes du droit, ils ont la responsabilité de promouvoir et vulgariser le droit, d'assister les populations démunies et concourir à la faciliter l'accès de tous à la justice. Le pari de mettre en place une société respectueuse des droits de l'Homme passe par une ouverture et une démocratisation des institutions publiques. La séparation des pouvoirs doit permettre un équilibre des décisions et la prévention des abus. Cet équilibre doit être surveillé à l'extérieur par une société civile, plus proche des préoccupations des populations et à même de défendre leurs droits. Cette démocratisation permettant le contrôle du respect des droits de l'homme aide à mettre en place les bases de la bonne gouvernance. * 309 Article 7 (2) (a) de la Human Rights Commission of Sierra Leone Act de 2004. * 310 Sauf sur des affaires déjà connues par les juridictions nationales ou en cours d'instruction (art. 16). * 311 L'Amicus curiae, locution latine signifiant « amie de la Cour » est une personne qui fait part de ses observations pour éclairer la Cour sur des sujets relevant de sa compétence, comme l'UNICEF l'a été devant la Cour spéciale pour les affaires relatives aux droits des enfants. Cette participation ne fait pas de la Commission une partie au conflit qui peut prétendre à un droit patrimonial ou extra patrimonial. |
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