Le rétablissement de l'Etat de droit dans une société en reconstruction post-conflictuelle: l'exemple de la sierra léone( Télécharger le fichier original )par Jukoughouo Halidou Ngapna Institut des Droits de l'Homme de Lyon & Université Pierre Mendès France de Grenoble - Master 2, Recherche, Histoire du Droit, Droit et Droits de l'Homme 2007 |
II. La promotion du pluralisme et la garantie de l'indépendance de la justiceUne société est dite démocratique lorsqu'elle assure la garantie de la séparation des pouvoirs (A) et où la société civile est assez forte pour assurer un contre pouvoir effectif (B). A. Garantir l'indépendance de la justiceUne véritable démocratie est une société dans laquelle la séparation des pouvoirs trouve toute son expression. Le Pourvoir judiciaire, garant des libertés individuelles, doit exercer en toute indépendance par rapport aux autres pouvoirs, surtout aux influences de l'exécutif et dans une certaine mesure de l'armée. Le système du Common Law de la Sierra Léone met sur un même pied d'égalité l'Etat et les autres personnes morales et physiques devant les juridictions. La garantie de l'indépendance de la justice est donc indispensable pour assurer l'équité de la justice et le respect des droits et libertés fondamentaux. Cette indépendance dépend fortement de la carrière des juges et des moyens apportés au fonctionnement de l'appareil judiciaire. Le moyen le plus courant pour s'assurer de la possibilité d'influencer le système judiciaire est de nommer aux postes clés le plus possible de partisans politiques du pouvoir politique en place. De la procédure de nomination et de promotion des juges dépend leur degré d'impartialité et d'indépendance. Il est donc important de s'assurer que les juges soient nommés pour leurs compétences et intégrité que pour des raisons partisanes. En Sierra Léone, la période suivant la fin du conflit était marquée par une suspicion générale au sein de la population par rapport à l'intégrité des juges. La nomination par le Gouvernement d'étrangers à la place des nationaux dans son quota de nomination des juges à la Cour spéciale est le reflet de ce manque de confiance à la fois de la part des autorités de l'Etat que des populations. Le Conseil national de la magistrature de la Sierra Léone (en anglais Judicial and Legal Service Commission : JLSC) est l'organe chargé de recruter et de nommer les juges dans leurs fonctions. C'est l'organe consultatif pour les avancements, les promotions et constitue l'instance disciplinaire de la magistrature sierra léonaise. Elle est composée de magistrats des cours supérieures (Haute cour de justice, Cours d'appel et Cour suprême), du Président de la république et du Ministre de la justice. La Commission Vérité et Réconciliation préconise l'ouverture de la composition de cet organe à d'autres personnes. Dans son rapport final308(*), la Commission souhaite l'élargissement aux membres du parlement et aux universitaires. Les nominations devraient être transparentes et permettre la participation, fusse-t-elle consultative de la société civile. Le principe fondamental de la liberté et de l'autonomie du pouvoir judiciaire est l'inamovibilité des juges. Leur maintien dans la profession et leur départ à la retraite ne doivent pas dépendre du pouvoir exécutif. En Sierra Léone, le gouvernement a pour habitude de recruter à nouveau des juges retraités pour qu'ils puissent continuer à servir. Cette pratique est contraire au principe de séparation des pouvoirs et est un risque important pour l'impartialité de ceux-ci. Il est important de faire cesser cette pratique et parallèlement, de renforcer la formation des juges, valoriser leurs salaires (pour assurer ainsi l'attractivité des postes vis-à-vis des Sierra-léonais de l'étranger) et étendre, comme le demande la CVR, leur âge de départ à la retraite à 70 ans. Il faut aussi assurer la garantie des Sierra-léonais contre l'arbitraire des juges en sanctionnant les fautes professionnelles. Le Conseil de la magistrature qui a été institué en 1991 comme organe disciplinaire des juges n'a pas encore été utilisé à cet effet. Ses compétences consultatives ont supplanté toutes les autres. Il est nécessaire de créer une commission qui se consacrerait aux fonctions disciplinaires pour sanctionner les abus et la corruption des juges et des autres personnes composant l'appareil judiciaire. Pour ce faire il est indispensable d'adopter une base légale sous la forme d'un code de la magistrature. Cette adoption n'a pas encore été faite par le Sierra Léone, ce qui est un handicap dans l'établissement d'une justice libre, indépendante et responsable. Les juridictions pénales en Sierra Léone hésitent à poursuivre les personnes soupçonnées de détournements et de corruption. Ils ont éprouvé une certaine crainte ou complaisance vis-à-vis les membres du gouvernement, les dirigeants d'établissements publics et les militaires qui commettaient des infractions à caractère économique. La collusion entre le judiciaire et l'exécutif était patente et décrédibilisait encore plus cette institution. Outre la carrière personnelle des juges, c'est la liberté du Pouvoir judiciaire entant que telle qui est mise en cause, du moins au niveau financier car les crédits attribués ne permettent pas aux juges de mener les investigations nécessaires à l'accomplissement efficace de leurs fonctions. Il faudrait garantir une autonomie budgétaire pour permettre à la justice de fonctionner librement. En effet, le budget du pouvoir judiciaire est rattaché à celui du ministère de la justice. Il serait judicieux de procéder à une autonomisation progressive des modes de financement de la justice. Le budget de la justice doit être adopté et exécuté indépendamment de celui du ministère de la justice. Un mécanisme de contrôle devrait exister au sein du Conseil de la magistrature pour parer aux éventuelles irrégularités dans la gestion des crédits. Du point de vue organique, l'Avocat général en tant que garant de l'intérêt public a des pouvoirs exorbitants dans le déclenchement, la poursuite et la défense de l'action publique. Il a aussi des fonctions consultatives à l'égard du gouvernement et de l'exécutif qu'il conseille sur des questions de droit, toujours dans le respect de l'intérêt public. C'est alors une impérieuse nécessité que de garantir le fonctionnement indépendant des services de l'avocat général. Cependant, l'avocat général tient ses bureaux au ministère de la justice, ce qui l'empêcherait d'agir sans aucune influence politique, aggravant ainsi l'idée selon laquelle l'Avocat général était plutôt le garant de l'intérêt du gouvernement et de ses membres que celui de l'Etat. * 308 Rapport final de la Commission Vérité et Réconciliation, Volume 2, chapitre, 3 § 141. |
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