Le rétablissement de l'Etat de droit dans une société en reconstruction post-conflictuelle: l'exemple de la sierra léone( Télécharger le fichier original )par Jukoughouo Halidou Ngapna Institut des Droits de l'Homme de Lyon & Université Pierre Mendès France de Grenoble - Master 2, Recherche, Histoire du Droit, Droit et Droits de l'Homme 2007 |
B. L'établissement d'une police et d'une armée républicainesStatutairement, les organes de sécurité de l'Etat et des citoyens sont à l'avant-garde de la protection des droits de l'Homme. Or ils ont été parmi les plus grands violateurs pendant le conflit armé. Pour rétablir l'Etat de droit en Sierra Léone, l'exclusion des rangs de la police et de l'armée tous ceux qui, d'une manière ou d'une autre se sont rendus coupables d'abus envers la population est désormais d'actualité (1) alors que leur formation nécessite une intégration des principes des droits de l'Homme (2).
Dans les sociétés qui sortent d'un passé marqué par les violations graves des droits de l'Homme, l'une des manières de faire face aux violations passées des droits de l'Homme par les régimes politiques antérieurs est d'écarter de la fonction publique ceux qui ont collaboré ou perpétué ces violations. Dès la chute du mur de Berlin, les Etats postcommunistes d'Europe de l'Est ont entamé la décommunisation de leurs institutions en écartant ceux qui ont collaboré avec les services de sécurité des régimes précédents. En République Tchèque, en Pologne et en Allemagne de l'Est pour ne citer que ceux-ci, de nombreux agents, dès lors que leurs noms figuraient sur des listes des services secrets en tant que collaborateurs ou informateurs, étaient relevés de leurs fonctions. Cette forme de lustration était basée comme le relève Mark FREEMAN301(*) sur la responsabilité collective et non individuelle, le caractère expéditif de la procédure faisant de la lustration un système décrié par les défenseurs des droits de l'Homme. Des lois ont été adoptées pour réguler la lustration en instituant des institutions spéciales chargées de mener le processus de façon contradictoire et transparente. La lustration ou vetting302(*) a l'avantage de garantir le respect des droits de l'Homme et d'augmenter la confiance de la population envers les nouvelles institutions. Généralement, l'uniforme de la police ou de l'armée n'est plus synonyme de respect ou d'assurance. Les militaires étaient considérés comme des sobels, soldats le jour et rebelles la nuit à cause des exactions qu'ils commettaient aux cotés des rebelles sur les populations civiles pendant la guerre. L'image des représentants de la force publique auprès des populations civiles s'est détériorée jusqu'au mépris. Ecarter les « brebis galeuses » des effectifs des forces de l'ordre est une nécessité pour renouer les liens de confiance entre celles-ci et la population. En Sierra Léone, il n'était pas envisageable de mettre en place un mécanisme de vetting à la fin de la guerre dans une société encore fragilisée. Le vetting est un facteur de division dans une société qui, comme toutes les autres sociétés africaines, est une société de consensus et non de contentieux. Les différent acteurs de la transition, notamment la Commission vérité et réconciliation étaient unanimes sur la dangerosité du vetting qui pouvait être utilisé comme une arme de lutte contre les opposants politiques. Au lieu de purger la police et l'armée des violateurs des droits de l'Homme, il a été jugé opportun par les autorités publiques de procéder à la formation des militaires, policiers et autres agents de l'Etat au respect des principes des droits fondamentaux de l'Homme.
La volonté de ne pas exclure certain membres de la police et des forces armées répondait à plusieurs préoccupations de la Sierra Léone. En effet, les corps armés de la République manquaient du personnel capable de maintenir l'ordre et la sécurité de l'Etat à la fois contre les agressions extérieures que contre les tentatives de déstabilisation de l'intérieur. L'armée a recruté pendant la guerre des miliciens et combattants très jeunes à qui l'on a appris que le maniement des armes, lesquelles armes étaient leur seule source de revenus. Un vetting dans les rangs de l'armée et de la police causerait une certaine instabilité à l'intérieur du pays s'il n'y avait pas de contrepartie fiable pour les soldats démobilisés. Deux axes d'intervention ont été mis en place par la Sierra Léone en coopération avec les partenaires étrangers : la formation d'une partie importante des membres des forces de l'ordre et l'intégration des autres dans les programmes de DDR303(*). · Les programmes de formation Les Sierra Léonais ont eu une très grande réputation en matière de formation des membres de l'armée et de la police. Cependant, la guerre a démobilisé et éparpillé les ressources humaines dans ce domaine. Les missions de maintien de la paix des Nations unies et la coopération britannique vont contribuer fortement à la formation des forces de l'ordre dans les domaines opérationnels, et surtout du respect des droits de l'Homme. Arrivée en Sierra Léone le 22 octobre 1999, avec pour mandat officiel de coopérer avec le gouvernement dans l'observation du cessez le feu de l'accord de Lomé et de l'assister dans le désarmement, la démobilisation et la réinsertion des anciens combattants, la MINUSIL a orienté sa mission vers le domaine de la formation des nouveaux membres de l'armée et de la police304(*). La section des droits de l'Homme de la Mission, s'est impliquée dans la création et la dissémination d'un ensemble de règles du droit international humanitaire et des droits de l'Homme au sein de la police et de l'armée. Des séminaires de formations se sont tenus dans la plupart des casernes et centres d'instruction pour la formation, dans un premier temps d'officiers et ensuite d'hommes de rangs pour la plus large assimilation des règles internationales. La Mission devait former dans un délai bref des militaires et policiers capables de prendre progressivement la place des agents des contingents de la MINUSIL et des troupes anglaises. Dans son dernier rapport sur la Mission, Kofi ANNAN faisait état de la progression de cet objectif et de son achèvement en 2006. Selon ce rapport, 4 000 des 9 600 policiers que comptait la police sierra léonaise étaient formés par le concours de la MINUSIL305(*). Cet effort allait continuer dans le cadre de l'instauration du bureau intégré des Nations unies en Sierra Léone306(*). Les britanniques quant à eux ont participé à la formation des officiers, formateurs et instructeurs de la police qui devaient par la suite prendre le relais dans l'institution des bureaux régionaux et locaux de sécurité. Ils ont aussi participé à la restructuration de l'armée pour lui donner une taille raisonnable pour un pays aux proportions de la Sierra Léone. · La restructuration de l'armée A la fin de la guerre, l'armée sierra léonaise comptait plus de 15 000 hommes répartis en milices, groupes d'intervention et militaires professionnels. Il a fallu faire une distinction entre les militaires recrutés de façon régulière et ceux qui ne l'étaient que de fait. Cette première étape a permis de mettre un plan d'action permettant à terme de réduire cet effectif à 10 500. L'Equipe militaire internationale consultative en matière s'instruction (IMATT) dirigé par la Grande Bretagne est chargée de concourir à la sélection du personnel capable d'assumer les fonctions de l'armée et d'assurer la formation au moins jusqu'en 2010. Les personnes non retenues intègrent les programmes de DDR. Ces programmes sont l'un des plus grands succès de la gestion post-conflictuelle en Sierra Léone. Cofinancés par les Nations unies (notamment à travers le budget de la MINUSIL et du PNUD), la Grande Bretagne, les Etats-Unis, la Norvège et bien d'autres Etats ayant participé au comité de gestion de la Mission. Le principe était basé sur le volontariat307(*). Le DDR se déroule sur trois principales phases : la démobilisation, le désarmement et la réinsertion. - La démobilisation : les anciens combattants sont regroupés dans des camps de recensements où il leur est attribué des affectations ; - Le désarmement : il intervient juste après la démobilisation. Les anciens soldats rendent des armes contre une somme forfaitaire. Ils sont répartis ensuite par groupes plus restreints pour évaluer leurs besoins en formation, réhabilitation et reconstruction morale ; - La réinsertion : c'est l'ultime phase du processus. Il s'agit de trouver un moyen de resocialiser les ex-combattants. Ils choisissaient des programmes de formation qui leur permettrait d'avoir un revenu. Elle consistait aussi à la réintégration des ex-soldats dans leurs sociétés d'origine. Les différents acteurs sociaux interviennent donc pour les préparer psychologiquement à affronter les regards quelquefois inquisiteurs des populations. Le procédé se faisait aussi dans l'autre sens, à la direction de la société pour qu'elle les intègre sans heurts majeurs. La réinsertion des anciens combattants dans la vie civile active est une donnée importante dans la garantie de la stabilité de la société. Leur retour dans un environnement prêt à les accueillir et où ils peuvent jouer un rôle économique, politique et social déterminant nécessite l'établissement d'une société gouvernée par le pluralisme. * 301Mark FREEMAN « Qu'est ce que la justice transitionnelle ? » Communication lors du Séminaire sur l'essentiel de la justice transitionnelle organisé par le Centre International pour la Justice Transitionnelle, Bruxelles, juin 2006. * 302 L'expression anglaise « vetting » est préféré par les auteurs et professionnels de la justice transitionnelle, car elle se différencie de la lustration par sa procédure quasi judiciaire et individualisée. * 303 DDR : Démobilisation, Désarmement et Réinsertion. Il y avait deux programmes : le national (NCDDR) et celui de l'ONU (UNDDR). * 304 Ceci suite aux multiples recommandations du Secrétaire général des Nations unies au Conseil de sécurité. Kofi ANNAN demandait au Conseil d'élargir le mandat de la Mission vers une formation de la police et de l'armée. (Cf. Lettre du SG des Nations Unies au Conseil de Sécurité du 28 décembre 1999). * 305 Voir notamment le XXVIIème rapport du Secrétaire Général sur la Mission des Nations Unies en Sierra Léone, § 28. 12 décembre 2005. * 306 Le Bureau Intégré des Nations unies en Sierra Léone est une sorte de super bureau du PNUD qui est en fait une représentation du Secrétariat général sur place. Il est chargé d'assurer le suivi des actions de la MINUSIL et assure la veille au niveau sécuritaire. Il comporte une aile d'observateurs militaires (90 hommes) basés à Freetown et qui coopèrent avec les autres missions dans la sous région (Libéria et Côte d'ivoire). * 307 Des mesures incitatives ont été prises pour assurer la participation du plus grand nombre de personnes au processus. Cela partait des gratifications accordées lors de l'abandon des armes et des programmes de formation. |
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