Le rétablissement de l'Etat de droit dans une société en reconstruction post-conflictuelle: l'exemple de la sierra léone( Télécharger le fichier original )par Jukoughouo Halidou Ngapna Institut des Droits de l'Homme de Lyon & Université Pierre Mendès France de Grenoble - Master 2, Recherche, Histoire du Droit, Droit et Droits de l'Homme 2007 |
B. Violation du droit sierra léonaisLe caractère hybride de la Cour spéciale pour la Sierra Léone se remarque en plus de sa composition par le fond du droit applicable. L'incorporation des infractions relatives au droit interne de la Sierra Léone était une façon de prendre en compte certaines spécificités locales qui échappent au droit international. Tandis que le droit international des droits de l'homme et le droit international humanitaire prennent en compte les infractions relatives aux personnes et biens à caractère civil, ils ne prévoient pas un système de réparation pour les victimes identifiées. Faire recours au droit interne permettra de les graduer en fonction des coutumes locales. Selon l'article 5 du Statut de la Cour spéciale, les infractions relatives au droit national relatives à la Prevention to Cruelty to Children Act de 1926 et la Malicious Damage Act de 1861, deux lois datant de l'époque coloniale. · La Prevention to Cruelty on Children Act de 1926251(*) La guerre civile en Sierra Léone a été tristement célèbre pour les pires abus commis sur les civils et surtout les enfants. Les pires atrocités ont été commises contre eux du fait de leur fragilité et de la facilité avec laquelle les adultes pouvaient les utiliser. Que ce soient les enfants soldats, les bush wives ou les simples victimes des pires atrocités du conflit, ceux-ci ont profondément été marqués par l'issue du conflit. Être recruté comme enfant-soldat est déjà en soi une violence, être drogué de force, violé, et poussé au crime ou parricide l'est encore plus. C'est alors un signe, un hommage à toutes ces innocentes victimes de la part de la juridiction chargée de punir ceux qui ont mis en scène cette effroyable tragédie que de trouver dans le droit interne, des normes pour qualifier les infractions les punir. L'article 4 de la loi de 1926 définit un enfant comme toute personne âgée de mois de 16 ans. L'esprit de la loi écarte toute responsabilité pénale de l'enfant en deçà de cet âge car ne punit les abus faits aux enfants que par les adultes qui les ont en leur pouvoir, de facto ou jure et qui portent atteinte volontairement à leur intégrité physique ou morale ou les exposent à de tels abus. De toutes les dispositions de la loi relatives aux abus faits aux enfants, la Cour spéciale a retenu les abus sexuels comme prévus aux articles 6, 7 et 12.
La répression de l'atteinte à l'intégrité physique et morale des enfants pendant la guerre en Sierra Léone est insuffisante lorsqu'elle s'appuie sur ces trois dispositions légales. La loi, adoptée en 1926, lorsque la Sierra Léone était encore sous domination coloniale n'est pas adaptée aux nouvelles spécificités. D'abord, La notion de mineur a évolué et ne concerne plus seulement les enfants de mois de 16 ans. Ensuite, dans l'évaluation du niveau de la peine, les juges doivent palier à l'absence de précision de la loi et prendre en compte tout un ensemble d'éléments qui aggravent l'infraction comme la réunion et la violence. Enfin, devant le silence du législateur de 1926 sur le cas des enfants de sexe masculin, le juge devrait les mettre au même niveau de protection que les filles. Des infractions complémentaires comme l'esclavage sexuel, l'administration de substances nocives aux enfants doivent être pris en compte pour assurer une répression plus complète. · La Malicious Damage Act de 1861 Le parlement britannique a adopté en 1861 la Malicious Damage Act pour faciliter le maintien de l'ordre public en métropole et dans les colonies de l'empire. C'est l'une des premières lois à consacrer la garantie de la protection du droit de propriété. Elle édicte des sanctions pénales sévères contre ceux qui mettent en périt la propriété de l'Etat, et de manière horizontale celle des citoyens contre les abus des particuliers. Adoptée avant l'indépendance de l'Irlande, elle y est encore en vigueur aussi bien qu'au Canada, à Trinidad et dans plusieurs autres anciennes colonies britanniques comme la Sierra Léone. Modifiée à plusieurs reprises en Angleterre, la loi ne concerne aujourd'hui plus que les infractions relatives au secteur des transports. La Cour spéciale retient comme infraction tombant sous sa juridiction celles que la loi de 1861 punit aux articles 2, 5 et 6, respectivement pour les destructions par le feu des immeubles privés et publics. L'article 2 élève au rang de crime le fait de mettre volontairement le feu sur une habitation sachant qu'il y a des personnes et punit cette infraction de la réclusion criminelle à perpétuité. Il n'est pas nécessaire qu'il y ait mort d'homme pour caractériser l'infraction. Il suffit en effet que celui qui commet l'infraction ait agit en connaissance de cause, quel que soit son mobile. Pendant la guerre de nombreux cas de regroupement de personnes dans des maisons et lieux de culte pour les incendier ont été relevés. De façon complémentaire le législateur aurait pu inclure, soit comme infraction à part entière, soit comme infraction connexe ou encore fait aggravant l'incendie d'un lieu de culte qui est puni par la loi de 1861 à son article premier par les mêmes peines. La destruction par les mêmes moyens des bâtiments publics constitue également un crime punissable de l'emprisonnement à perpétuité. Il n'est plus ici nécessaire de démontrer (art 5) que l'accusé avait eu connaissance de la présence de personnes à l'intérieur de l'immeuble en question. Cette caractéristique particulière est le résultat du contexte de l'époque où la couronne britannique voulait réaffirmer son statut et défendre ses biens dans les colonies et en métropole. La destruction des bâtiments privés autres que habitation et qui ne contenaient pas des personnes est considérée comme crime de moindre gravité punissable au maximum de 14 ans de prison (article 6). * 251 Qui est en effet une ordonnance du Gouverneur de la Sierra Léone. * 252 Voir notamment « We'll Kill You If You Cry »: Sexual violence in The Sierra Leone conflict de Human Rights Watch et Sexual and Gender-based violence in Sierra Leone de Physicians for Human Rights, rapports cités précédemment. |
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