Le rétablissement de l'Etat de droit dans une société en reconstruction post-conflictuelle: l'exemple de la sierra léone( Télécharger le fichier original )par Jukoughouo Halidou Ngapna Institut des Droits de l'Homme de Lyon & Université Pierre Mendès France de Grenoble - Master 2, Recherche, Histoire du Droit, Droit et Droits de l'Homme 2007 |
II. Faits tombant sous la juridiction de la CourL'article 2 à 5 des Statuts de la Cour spéciale ont prévu la punition de deux catégories de crimes : les crimes internationaux, notamment, la violation des règles du droit international humanitaire (A) et les crimes du droit interne sierra léonais (B). A. Violation du droit international humanitaireLa plupart des conflits actuels, comme celui de la Sierra Léone, sont à caractère interne : deux ou plusieurs groupes armés se battent soit entre eux, soit contre un gouvernement à l'intérieur d'un même pays. Les violations des règles minimales prévues dans le droit de Genève (1) et les autres violations graves du droit humanitaire (2) sont des crimes susceptibles d'être commis. C'est donc ce que se propose de juger la Cour spéciale. Le droit de Genève243(*), encore appelé droit de la guerre ou jus ad bellum, est constitué d'un ensemble de règles minimales d'humanité à respecter dans la conduite des hostilités. Les 4 conventions de Genève de 1949 prévoient et règlementent la guerre entre Etats souverains. L'article 3 a été introduit dans les quatre Conventions 244(*)pour régler des situations en « cas de conflit armé ne présentant pas in caractère international et surgissant sur le territoire d'une Haute Partie contractante ». En 1977, deux protocoles additionnels ont été introduits pour préciser la protection des victimes des effets de guerre et, fait nouveau, pour étendre aux conflits non internationaux les prescriptions concernant les conflits interétatiques245(*). L'article 3 commun aux Convention de Genève comporte « les conditions minimales d'humanité » selon la CIJ246(*) selon lesquelles toutes les personnes, qui ne participent pas ou plus aux hostilités soient traitées sans aucune discrimination avec humanité. Il préconise que les violences contre l'intégrité physique et la vie des personnes, les traitements cruels, inhumains et dégradants, la torture, la prise d'otages soient prohibés en « tout temps et en toutes circonstances ». En outre, il assure des garanties de jugement équitable pour les personnes soupçonnées de crimes et que les personnes malades et blessés puissent être recueillies et soignées. L'article 3 traite des questions liées au traitement des personnes aux mains des parties au conflit et non la conduite des hostilités, les règles qui gouvernent les conflits et qui déterminent qui doit faire l'objet d'attaques ou non. Il s'applique à toutes les parties, y compris les personnes appartenant aux forces non gouvernementales. C'est une première en matière du droit international, car des obligations internationales pèsent directement sur des entités infra étatiques, sans pour autant jouer sur leur statut juridique. Enfin, une organisation impartiale comme le Comité international pour la croix rouge pourrait intervenir pour assurer le contrôle de l'exécution par les parties des dispositions de l'article 3. Le Protocole II de 1977 viendra développer et compléter cet article en y enjoignant des règles relatives à la conduite des hostilités. Il prévoit notamment des obligations pesant, dans le cadre d'un conflit armé non international, à la fois sur les forces gouvernementales et les « groupes armés organisés qui, sous la conduite d'un commandement responsable, exercent sur une partie de son territoire un contrôle tel qu'il leur permette de mener des opérations militaires continues247(*) ». Les forces du RUF, de l'AFRC et de la CDF rentrent dans cette catégorie juridique décrite dans le Protocole. Elles étaient organisées de manière hiérarchique et jouissaient d'un contrôle et d'une autorité effectifs sur des zones du pays. L'organisation hiérarchique du RUF était axée autour du Conseil de guerre dirigé par Foday SANKOH et un groupe restreint de personnalités telles Sam Mosquito BOCKARIE, Issa SESSAY ou encore Johnny Paul KOROMA qui les rejoignit après le prise du pouvoir de l'armée et le ralliement entre le RUF et l'AFRC. Le Conseil de la CDF était dirigé par Hinga NORMAN assisté de Moïnina FOFANA et Allieu KONDEWA. C'est principalement en ces qualités que ces différentes personnes ont été inculpées par le Procureur, car, l'organisation hiérarchique de ces groupes armés était sans équivoque et l'exercice de l'autorité assurée par ces personnes. Les inculpations ont aussi été faites en fonction des actes matériels commis par ces personnes elles mêmes ou à travers ceux qui étaient sous leur commandement. Il s'agit de la base juridique des articles 13 et suivants du Protocole II qui règlementent la tenue des hostilités. Le conflit sierra léonais était basé sur la terreur, il s'agit des tactiques de guérilla qui ciblent systématiquement la population civile pour saper son moral et celui des troupes adverses. Lorsque l'un des groupes armés prenaient une localité, les populations civiles subissaient des représailles pour leur supposée coopération avec la partie ennemie. Des pillages et extorsions étaient régulièrement exécutés contre ces populations car, c'est sur ces ressources que les rebelles, soldats et miliciens se payaient. Les Statuts de la Cour spéciale reprennent génériquement toutes ces dispositions pertinentes de l'article 3 commun et du Protocole II aux Conventions de Genève au moyen de l'article 3 intitulé « Violations of Article 3 Common to the Geneva Conventions and of Additional Protocol II ». Les rédacteurs de se sont pas limités à ces infractions ; au contraire, ils ont inclus d'autres infractions au droit international humanitaires qui ne sont pas mentionnées dans ces textes.
Il a déjà été relevé que l'un des objectifs primordiaux de la création de le Cour spéciale était un moyen pour les Nations unies d'envoyer un signal fort et dissuasif aux protagonistes des conflits armés. Le message était clair : répondre avec sévérité aux atteintes au faites au personnel humanitaire et surtout aux forces de maintien de la paix mandatées par l'ONU. La prose d'otages du personnel humanitaire, les attaques intentionnelles dirigées contre lui, le matériel destiné aux missions humanitaires et de protection des populations civiles constituent au sens de l'article 4-b du statut des infractions graves du droit humanitaire punissables par la Cour. Cette incrimination est directement dirigée contre la prise d'otages des 500 casques bleus des Nations unies par les rebelles du RUF le 2 mai 2000. La question de genre occupait aussi une part importante dans la détermination de la compétence ratione materiae de la Cour. C'est ainsi que les Statuts de la Cour prévoient la punition comme crimes de guerre les violences sexuelles exécutées pendant les opérations militaires comme crimes de guerre. L'article 2-g les énumère de manière indicative: il s'agit du viol, de l'esclavage sexuel, de la prostitution forcée, des grossesses forcées et toute autre forme de violence sexuelle. Le viol doit être entendu, tel que le définit le TPIY dans l'affaire FURUNDZIJA248(*) comme tout acte de pénétration sexuelle « accompli en faisant usage de la force ou de la menace, celle-ci pouvant être implicite ou non, et qui doit donner à la victime des raisons de craindre qu'elle-même ou une tierce personne ne soit victime de violences, de mesures de coercition, ou de mise en détention ou d'une oppression psychologique ». Il s'agit donc, pour constituer l'infraction de viol de rechercher l'élément matériel qui est tout acte de pénétration sexuelle par l'emploi de la force ou de la menace et l'élément moral qui est l'intention de l'agresseur d'agir contre la volonté de la victime. Cette violation de « l'autonomie sexuelle » a été utilisée comme arme de guerre par les rebelles pendant le conflit armé. Les pratiques de virgination249(*) étaient destinées à rendre les filles ainsi violées indigne d'être mariées. Les organisations de défense des droits de l'homme se sont réjouies de cette incrimination et ont prêté leurs services en répondant à l'invitation d'amicus curiae devant la Cour. Comme autre violation grave des droits de l'homme, les Statuts (article 4-c) retiennent la conscription des mineurs de mois de 15 qui est déjà présente dans les Protocoles de 1977250(*). Cette interdiction est réaffirmée par la Convention internationale relative eux droits de l'enfant de 1989 qui définit les obligations des Etats vis-à-vis du droit humanitaire, notamment en ce qui concerne les enfants. Les Etats prennent toutes les mesures possibles pour assurer que les mineurs de moins de 15 ans ne prennent pas part directement aux hostilités. Pour ce faire, ils doivent d'abstenir de les recruter dans leurs forces armées et les protéger de tous les méfaits de la guerre. Les stipulations de l'article 38 ne permettent pas une protection effective des enfants du recrutement dans l'armée car, l'enfance ne se limite pas à l'âge de 15 ans. C'est pourquoi l'adoption du Protocole facultatif de la CIDE relatif à la participation des enfants aux conflits armés instaure une nouvelle nuance. Il interdit le principe de recrutement forcé ou obligatoire des jeunes de moins de 18 ans dans les forces armées (article 2). Cette interdiction ne concerne que l'engagement obligatoire, le recrutement volontaire restant tout de même possible mais à des conditions strictes pour les mineurs de 15 - 18 ans. Si le Protocole facultatif élève l'âge du recrutement forcé, il laisse à 15 ans celui du recrutement volontaire. Il est légitime de s'interroger sur la pertinence de cette distinction car, dans la plupart des systèmes juridiques des Etats partis, le consentement d'un mineur est nul, la majorité ne s'obtenant qu'à 18 ans. Le manque de précision de l'article 22 (2) de la Charte africaine des droits et du bien-être de l'enfant qui se contente de prohiber le principe de toute participation et recrutement des enfants sous les drapeaux sans pour autant fixer un âge limite, les Etats pouvant décider de l'âge au gré de leurs convenances. L'interdiction est complète pour les forces armées non étatiques pour qui il n'est « en aucune circonstance [permis d'] enrôler ni utiliser dans les hostilités des personnes âgées de moins de 18 ans ». Le Statut de Rome qualifie de crime de guerre le recrutement des enfants de moins de 15 ans aux fins de participation au conflit armé. Cette participation est définie (article 2) comme une implication directe aux activités militaires liées au combat comme l'espionnage, le renseignement, le portage, la tenue de check points, etc. Le recrutement des enfants soldats, les crimes sexuels ainsi que les autres violations graves des principes élémentaires d'humanité dans le cadre du conflit sierra léonais nécessitaient une définition précise dans les textes fondateurs de la Cour. Les Statuts se sont contentés de reprendre les principes retenus dans les Conventions de Genève et les autres textes internationaux pertinents en la matière. Les juges ont donc la responsabilité de construire une jurisprudence édifiante sur ces sujets, surtout en ce qui concerne la participation des enfants au conflit armé, car c'est la première fois qu'une juridiction internationale juge le crime de recrutement d'enfants-soldats. Créée en Sierra Léone, composé de juges internationaux et sierra léonais, chargé de poursuivre les crimes commis sur le territoire sierra léonais en application du droit international, la Cour spéciale a aussi la compétence de juger des crimes du droit interne qui ont été commis pendant le conflit armé. * 243 Le droit de Genève comprend la Convention de Genève relative à l'amélioration du sort des blessés et des malades dans les forces armées de campagne (I) celle relative à l'amélioration du sort des blessés, des malades et des naufragés des forces armées sur mer (II) celle relative au traitement des prisonniers de guerre (III) et à la protection des personnes civiles en temps de guerre (IV) et les deux protocoles additionnels de 1977 (protection des victimes des conflits armés internationaux (I) protection des victimes des conflits armés non internationaux (II). * 244 L'ensemble des Conventions de Genève comporte des centaines d'articles règlementant les règles des conflits armés internationaux. L'article 3 commun à ces conventions qui concerne les conflits armés à caractère non international constitue une enclave qui est appelée à juste titre par la plupart de théoriciens comme une mini convention. * 245 L'ensemble du droit de Genève est considéré comme des règles coutumières internationales de par leur ratification large. En effet, l'Etat de Nauru et les Îles Marshall sont les deux seuls pays à ne pas avoir ratifié ces textes. * 246 CIJ, Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci, Nicaragua c. Etats-Unis, 27 juin 1986. P 114 § 218. * 247 Article premier paragraphe 2 du protocole additionnel II. * 248 Procureur c. Anto FURUNDZIJA, 10 décembre 1998. * 249 Voir, « We'll kill you if tou Cry » op cit. * 250 l'article 4 (3) (C) du Protocole II stipule : « les enfants de moins de 15 ans ne devraient pas être recrutés dans les forces armées ou groupes armés, ni autorisés à prendre part aux hostilités » |
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