WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

Le rétablissement de l'Etat de droit dans une société en reconstruction post-conflictuelle: l'exemple de la sierra léone

( Télécharger le fichier original )
par Jukoughouo Halidou Ngapna
Institut des Droits de l'Homme de Lyon & Université Pierre Mendès France de Grenoble - Master 2, Recherche, Histoire du Droit, Droit et Droits de l'Homme 2007
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

B. L'amnistie, mesure nécessaire au rétablissement de la paix

L'amnistie est le synonyme du pardon légal, il s'agit d'octroyer l'impunité des poursuites pénales contre des personnes ayant commis des infractions. Elle se fait généralement par une loi. En ce qui concerne les situations de justice transitionnelle, il est important de fixer des conditions limitées à l'amnistie (1) pour laisser la porte ouverte à des poursuites pénales le moment propice (2).

1. Les conditions strictes d'amnistie.

L'amnistie a longtemps été utilisée dans les négociations comme un moyen d'obtenir un cessez-le-feu ou la fin d'un régime oppresseur. Au Chili ou en Argentine, le départ des militaires du pouvoir a été obtenu par l'assurance que le Parlement allait voter une loi d'amnistie. La principale raison des avancés des accords de Lomé était le compromis trouvé par le président EYADEMA. Il s'agissait d'octroyer une amnistie à tous les protagonistes du conflit leur permettant de rendre les armes et de participer à la gestion du pouvoir. Cet accord, le plus décrié est révélateur de la controverse qui entoure la question de l'amnistie. Deux idées principales se dégagent des débats : la première, celle qui a longtemps prévalu, soutient que l'amnistie est un moindre mal si elle vise l'objectif d'obtenir la cessation des hostilités. La seconde idée quant à elle, considère que le droit des victimes à obtenir la condamnation de leurs bourreaux est un impératif supérieur qui ne saurait être éludé.

Dans tous les cas, l'effet de l'amnistie est l'effacement de toute possibilité de poursuites pénales et la réhabilitation des coupables des personnes ayant violé une disposition pénale. Traditionnellement, le principal objectif de l'amnistie est la recherche de la paix sociale en prescrivant l'oubli des crimes passés pour construire le vivre ensemble commun. L'amnistie peut être individuelle, c'est-à-dire qu'elle vise une personne et des faits précis. Celle-ci est très rarement utilisée dans le cadre de conclusion d'un processus de paix. Elle peut aussi et surtout être collective, concernant surtout des personnes qui, avec un dessein commun ou non, ont participé à certains évènements. Il n'y a donc pas de poursuite pénale possible, il y a total oubli - du moins au niveau du droit - des actes amnistiés, quelle que soit leur gravité.

Contrairement à d'autres types de mécanisme d'impunité, l'amnistie est plus solennelle. Elle est en effet adoptée par le Parlement, ce qui lui donne une certaine force car, c'est au moyen d'une future loi qu'il faudra l'abolir, ce qui n'est pas aussi évident. Cette politisation de la justice pénale est perçue comme un encouragement à l'impunité, car est en contradiction avec les obligations positives des Etats de poursuivre les personnes responsables des violations graves des droits de l'homme. Cette impunité peut aussi être perçue comme l'incitation à la commission d'autres infractions pénales, le sentiment d'impunité pouvant être véhiculé dans l'esprit de la loi.

L'amnistie peut aller contre les objectifs de réconciliation qu'elle vise prétendument. En effet, c'est une violation du droit des victimes à être reconnues comme telles et à prétendre à une réparation. Elles ne peuvent plus poursuivre les personnes responsables des violations graves des droits de l'Homme qu'elles ont subies et obtenir la justice pour leurs souffrances. Tant que ce sentiment prévaudra, les victimes resteront repliées dans une rancoeur peu propice à la reconstruction sociale.

Le droit international ne règle pas directement la question de l'amnistie. Il est question, dans la plupart de textes internationaux, de rappeler et de privilégier les obligations de poursuivre les auteurs d'abus graves des droits de l'homme. Ces obligations consistent en l'adoption des mesures législatives en vue de prévenir les violations de les punir pénalement ou d'extrader les personnes suspectes vers les juridictions - nationales ou internationales- compétentes pour les juger. Tout de même, deux déclarations de l'Assemblée générale des Nations unies prévoient l'inefficacité de l'amnistie. Les principes relatifs à la prévention efficace des exécutions extrajudiciaires, arbitraires et sommaires et aux moyens d'enquêter efficacement sur ces exécutions prévoient au paragraphe 18 qu'une « immunité générale ne pourra exempter de poursuites toute personne présumée impliquée dans des exécutions extrajudiciaires arbitraires ou sommaires ».

L'amnistie et la justice ne sont pas totalement incompatibles. Souvent même, la carte de l'amnistie est utilisée comme préalable à la recherche des objectifs de justice et de vérité. L'Afrique du Sud est un cas particulier de combinaison des objectifs de réconciliation, de paix et de justice. La Commission Vérité et Réconciliation n'accordait l'amnistie aux responsables des crimes du régime d'apartheid que lorsque ceux-ci coopéraient pleinement avec elle. L'objectif était de rechercher la vérité à ces victimes qui exprimaient le désir de pardonner sans savoir à qui adresser leur pardon232(*) et ne cherchaient après tout qu'à retrouver des informations sur ce qui était advenu de leurs proches disparus.

L'octroi de l'amnistie ne doit donc se faire que de manière alternative. C'est-à-dire que le but principal ne doit pas être la recherche de l'impunité des différents acteurs. Elle ne doit intervenir qu'en complément des autres outils comme les poursuites pénales, la recherche de la vérité et la réparation. Il est nécessaire de faire le moins de concessions possibles en délimitant strictement le domaine que couvrira l'amnistie. Il s'agit des crimes amnistiables, des personnes qui pouvant en bénéficier, de la période couverte et de la procédure à suivre pour l'obtenir. L'amnistie viendra toujours en contrepartie d'éléments nécessaires à la recherche de la vérité et de la justice. Il sera par exemple question des informations sur les fosses communes ou les personnes portées disparues ainsi que le dépôt des armes par exemple. L'on prendra aussi en compte les particularités des crimes internationaux qui sont insusceptibles d'être amnistiés233(*). Enfin, une possibilité doit aussi être laissée à des poursuites postérieures en définissant des conditions souples de révocation de la Loi ou en délimitant l'espace temporel de manière limitée.

Les intérêts des victimes doivent être pris en compte pour la réalisation de l'amnistie. Celle-ci bien qu'en limitant les poursuites au pénal doivent laisser les possibilités pour elles de recourir au civil affin de réparer leurs tors ou de se faire restituer leurs biens, ce qui ne semble pas avoir été le cas de la Sierra Léone.

2. La loi de ratification de 1999 ou le blanc seing pour les criminels de guerre

Jamais un accord de paix garantissant l'amnistie pour les criminels de guerre n'a suscité autant de réprobation de la part des observateurs. Les journalistes et les défenseurs des droits de l'homme ont déploré cette « consécration de l'impunité pour les crimes de guerre en Sierra Léone » et souligné que la déclaration du représentant du Secrétaire général n'était pas suffisante.

C'est à l'article IX de la loi de ratification des Accords de Lomé que les dispositions d'amnistie ont été prises : le premier caractère de cette amnistie est personnel. Il s'agit de d'assurer l'impunité pour Foday SANKOH234(*), les combattants du RUF, de la CDF et de l'ancienne junte AFRC. Les crimes couverts sont tous ceux commis pendant le conflit armé, depuis son début (en 1991) à la date de signature de l'accord de paix (7 juillet 1999) et de prendre «les mesures législatives et autres nécessaires à garantir l'immunité aux anciens combattants, exilés et autres personnes se trouvant actuellement en dehors du territoire pour des raisons relatives au conflit armé235(*)». L'élément matériel de l'amnistie était constitué de tous les crimes commis par les combattants dans la poursuite de leurs objectifs militaires et surtout, l'interdiction de toute poursuite judiciaire, de la prise de tout acte administratif en rapport avec la punition de ces faits. En plus de l'impunité, la loi réclame le pardon sans contre partie236(*), c'est-à-dire sans action de la part des responsables de ces crimes envers les populations victimes.

La mise en place de la Cour spéciale jugeant à la fois sur les bases juridiques internationales et internes allait poser des questions relatives à la portée de la Loi d'amnistie. A vrai dire la question de la Loi d'amnistie se posant pour les crimes de droit commun avait des incidences limitées car il était possible de poursuivre les accusés sur ces bases car, ce sont les mêmes acteurs qui ont poursuivi le conflit de 1999 à la fin du conflit en 2001, période qui n'est pas couverte par l'amnistie. En ce qui concerne les crimes internationaux, la Cour spéciale elle-même a eu à trancher la question. Dans une décision du 13 mars 2004237(*), les juges de la Cour spéciale ont estimé que les prétentions des accusés Morris KALLON et Brima Bazzy KAMARA selon lesquelles l'article IX de l'accord de paix de Lomé interdisait toute poursuite contre eux étaient infondées. Cette décision a été considérée par Amnesty International238(*) comme un précédent historique pour les pays, car ils ne peuvent plus prendre des lois interdisant aux juridictions internationales ou nationales compétentes pour juger des crimes qu'eux ne veulent punir.

L'idée selon laquelle il ne peut y avoir d'impunité pour les crimes les plus graves a été fréquemment réitérée par le secrétaire général des Nations unies239(*). Elle est largement étayée par une jurisprudence abondante et uniforme de la part des tribunaux internationaux et par les interprétations autorisées faites par les organes internationaux, qui sont arrivés à la conclusion que les amnisties nationales portant sur des crimes au regard du droit international sont interdites et n'ont aucun effet juridique sur quelque tribunal que ce soit, y compris sur les tribunaux de l'État où l'amnistie a été accordée240(*). C'est d'ailleurs sur la déclaration restrictive du représentant de Kofi ANNAN que la Cour s'est basée pour prendre sa décision de considérer que l'amnistie était « sans effet » car, « la déclaration interprétative ajoutée par le représentant du Secrétaire général des Nations unies est conforme au droit international, et constitue une indication suffisante des limites de l'amnistie octroyée par cet accord241(*) ».

La Cour a donc retenu la déclaration interprétative du Secrétaire général comme élément ayant une portée juridique suffisante pour appuyer sa décision. En procédant ainsi, elle valide l'opinion de certains juristes242(*) selon laquelle le droit coutumier international n'est pas tout à fait contre le fait qu'un Etat donne effet juridique à une amnistie portant sur les crimes de guerre. La décision de la Cour aurait beaucoup apporté à la construction théorique du droit pénal international en consacrant comme principe l'interdiction de l'amnistie pour les crimes de guerre, quelle que soient les circonstances et même s'il n'y a pas eu un représentant de la communauté internationale pour faire valoir à chaque signature d'un accord prévoyant des amnisties qu'elles ne s'appliquent pas aux violations graves du droit international humanitaire.

Une fois le bouclier de l'amnistie écarté, il convient à présent de préciser plus concrètement les faits qui sont punis par la Cour.

* 232 Dans Il n'y a pas d'avenir sans pardon publié aux éditions Albin Michel en 1999, Desmond TUTU présente la philosophie et l'intérêt de la création de la Commission. Les conditions de l'amnistie étaient entre autres la sincérité des déclarations et le caractère politique du crime, les crimes crapuleux ne pouvant être couverts.

* 233 La déclaration écrite du représentant du Secrétaire Général aux Accords de paix de Lomé selon laquelle l'amnistie «ne s'appliquera pas aux crimes internationaux de génocide, aux crimes contre l'humanité et autres graves violations du droit international humanitaire» est révélatrice de cette volonté.

* 234 Nommément cité dans le libellé de l'article IX § 1.

* 235 Article IX § 3 traduit par nos soins.

* 236 « The government of Sierra Leone Shall grant and absolute free pardon and reprieve... » proclame la loi à chaque fois qu'il s'agissait de définir la portée de cette loi.

* 237 Cas n°SCSL-2004-15-AR72 (E) et cas n°SCSL-2004-16-AR72 (E), décision n°SCSL-04-15-PT-060-I et décision n°SCSL-04-15-PT-060-II (rejet de l'amnistie). Cette décision a été publiée le 15 mars 2004.

* 238 Amnesty International, « Une décision historique du Tribunal spécial pour la Sierra Leone : les crimes au regard du droit international ne peuvent être amnistiés », document public, Londres, 18 mars 2004.

* 239 «Les juges de la Cour pénale internationale incarnent "notre conscience collective", a déclaré le Secrétaire général à la réunion inaugurale de La Haye», communiqué de presse SG/SM/8628, L/3027, 11 mars 2003.

* 240 Voir Amnesty International, «Sierra Leone: Special Court for Sierra Leone: Denial of right to appeal and prohibition of amnisties for crimes under international law», Londres, 31 octobre 2003.

* 241 Décision n° CSSL-04-15'PT-060-II, rejet de l'amnistie, § 89.

* 242 Voir notamment Antonio Cassese, International Criminal Law, Oxford University Press, Oxford, 2003, p. 315.

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Un démenti, si pauvre qu'il soit, rassure les sots et déroute les incrédules"   Talleyrand