1.2. Effets des
associations incluant une antiprotéase ou un NNRTI sur les troubles
cognitifs
Les inhibiteurs de protéase agissent sur la
protéase, enzyme permettant la maturation des virions produits par la
cellule infectée). Sans cette maturation, les virions produits ne sont
pas viables et ne peuvent donc pas infecter une autre cellule.
Les premiers inhibiteurs de protéase font leur
apparition, en France, vers le deuxième trimestre de l'année
1996. Leur introduction dans le traitement des patients correspond à une
véritable révolution dans la stratégie de traitement. A
présent, le but deviens d'inhiber au maximum la réplication
virale en s'attaquant aux différentes phases du cycle du VIH (voir
chapitre 1, 3.1.3. « Cycle de réplication du VIH et mode
d'action des traitements »).
On parle donc de «combinaisons
thérapeutiques », des associations thérapeutiques
incluant au moins une antiprotéase ou un inhibiteur non
nucléosidique de transcriptase inverse et deux antirétroviraux.
Ces « combinaisons thérapeutiques » vont soulever
d'immenses espoirs thérapeutiques.
Depuis l'introduction de ces associations de molécules
dans le traitement des patients, une amélioration importante de
l'état des malades a été observée. Ces
progrès se font aussi bien sur le plan de l'amélioration de
l'état général du patient que sur le plan des pathologies
opportunistes ou des symptômes comme les diarrhées
chroniques282. Le taux de survie des patients est ainsi fortement
améliorée.
Cependant, ces traitements montrent aussi des limites en ce
qui concerne le problème particulier de l'infection du système
nerveux central par le VIH-1. Dans un article postérieur à
l'apparition des antiprotéases, McArthur107 met notamment
l'accent sur le fait que les différentes molécules
antirétrovirales, et notament les inhibiteurs de la protéase,
passent peu la barrière hémato-encéphalique (de 10
à 40%) et que celles qui passent le mieux ont des effets secondaires
tels qu'elles sont probablement très peu utilisées aux doses
effectives sur le virus présent dans le cerveau (pour revue sur l'action
des différentes molécules dans le SNC, voir Enting et
coll.283). Cette question est essentielle car la force principale
des combinaisons thérapeutiques consiste en leur capacité
à inhiber de façon prolongée la réplication virale,
pour prévenir l'apparition de souches mutantes. Or, s'il se trouve que
la pénétration des médicaments est difficile dans le
système nerveux central, il pourrait alors subsister une activité
réplicative pourvoyeuse à terme de souches mutantes devenant
progressivement des virus résistants. Les avis à ce sujet restent
partagés car d'autres considèrent qu'en diminuant fortement la
charge virale plasmatique, les thérapies diminuent aussi le passage de
nouveaux virus dans le système nerveux central. Dans ce cas, beaucoup
d'autres paramètres vont intervenir comme l'ancienneté de la
maladie, la charge virale dans le système nerveux central avant
traitement, l'efficacité des traitements antérieurs, les souches
de virus existantes, et le délai avant traitement. Le risque de
pathologies neurologiques est aussi lié à l'intensité de
l'activation microgliale dans le système nerveux central, qui induit une
réactivation de l'infection latente dans ces cellules avec une possible
réinfection périphérique et une sécrétion
des cytokines inflammatoires. Ce risque n'est donc probablement pas totalement
écarté. De plus, le fait que seul un sous-groupe de patients
souffrent de pathologies neurologiques suggère une composante
génétique75. Ces considérations reposent le
problème du cerveau comme "réservoir" du VIH-1.
Nous avons vu, dans les chapitres précédents
(chapitre I, 3.4 « Neuroinvasion et aspects
neuropathologiques » ; chapitre II, 3.1.2
« Paramètres biologiques et troubles cognitifs » et
chapitre III) que les études d'imagerie cérébrale et de
neuropathologie post-mortem ne retrouvent pas de relation entre ces marqueurs
morphologiques et l'intensité des troubles cognitifs. Ceci rend
très complexe l'exploration du rôle joué par les
combinaisons thérapeutiques sur l'apparition ou sur l'évolution
des troubles cognitifs. Nous manquons notamment de recul pour évaluer
l'évolution future des troubles modérés vers la
démence associée au SIDA, puisque la valeur accordée aux
paramètres d'immunosuppression a été bousculée
depuis l'introduction des combinaisons thérapeutiques.
Il existe encore trop peu d'études pour avoir une
idée claire et objective de l'effet des combinaisons
thérapeutiques sur les troubles cognitifs. Cependant, les premiers
résultats sont très encourageants. La fréquence de ces
troubles, évaluée à 20,6 % avant trithérapie
(inclusions jusqu'en décembre 95)35 aurait
considérablement diminué, selon Ferrando et collaborateurs (22%
de patients ayant des troubles cognitifs sous combinaisons
thérapeutiques contre 54% antérieurement)284.
Cependant, ces auteurs n'ont pas exclu de cette étude les patients
présentant des pathologies opportunistes du SNC. Or, on sait que la
fréquence des pathologies opportunistes a elle-même diminué
avec les nouvelles thérapies. Cette étude, bien que
récente, nous renseigne donc assez peu sur l'effet du VIH lui-même
sur les troubles cognitifs lorsque les patients sont traités par
trithérapies.
Lors du dernier congrès de l'Américan Academy of
Neurology, Sacktor et coll.138 annonçaient cependant une
réduction de l'incidente de la démence du SIDA aux Etats Unis de
21.1/1000 personnes années en 90-92 à 17.4/1000 personnes
années en 93-95 et 14.7/1000 personnes années en 96-97. Soit des
résultats très favorables. Cependant il faut noter que la
diminution de l'incidence était antérieure à
l'arrivée des antiprotéases, ce qui laisse penser que d'autres
facteurs interviennent dans la prévention de cette pathologie.
Dans une autre étude très récente, Tozzi
et coll.285 décrit, sur 26 patients, une diminution de la
fréquence des troubles cognitifs de 80% (initialement) à 50% six
mois plus tard et à 21.7 quinze mois plus tard. Parmi les fonctions
explorées, les troubles de la concentration et de la rapidité des
processus centraux diminuaient de 65.4% à 21.7% et ceux de la
mémoire de 50 à 8.7%. Une amélioration significative des
niveaux de base était observée en ce qui concerne la
concentration, la rapidité des processus centraux, la flexibilité
mentale, la mémoire, le contrôle moteur fin, les habileté
visuospatiales et le habiletés visuo-constructives. Chez les patients
qui s'étaient améliorés, on constatait
parallèlement qu'ils avaient une baisse de la charge virale plus
importante.
Ces résultats sont concordants avec d'autres
études très récentes qui font état d'un
amélioration du ralentissement psychique et moteur sous
antirétroviraux286-288. Les résultats des
études sur la charge virale qui montrent que ces associations de
molécules peuvent permettre de rendre la charge virale plasmatique
indécelable (voir chapitre III.3) et ceux des techniques d'imagerie
(voir chapitre III.4) renforcent l'idée d'une action
bénéfique des combinaisons thérapeutiques sur le
système nerveux central. Enfin Price et coll. 137 soulignent
l'effet globalement bénéfique des combinaisons
thérapeutiques sur les troubles neurologiques et sur la survie des
patients, tout en précisant que des mauvaises performances neurologiques
restent très indicatrices de mauvais pronostic. Finalement Dore et coll.
289 remarquent que la diminution de l'incidence de la démence
du SIDA est inférieure à la diminution des autres pathologies
neurologiques, laissant penser que cette diminution est en grande partie
liée à l'amélioration de l'état
général des patients et l'augmentation du taux de lymphocytes
CD4. Les combinaisons thérapeutiques ayant en fin de compte moins
d'impact sur la démence que sur les pathologies neurologiques
opportunistes à cause de la mauvaise pénétration des
médicaments dans le système nerveux central.
Ces nouvelles données sur l'effet des combinaisons
thérapeutiques, et en particulier le fait qu'une amélioration des
troubles cognitifs est observée chez des patients ayant des associations
de médicaments incluant ou n'incluant pas d'antiprotéases,
laissent penser à un effet indirecte des traitement sur les troubles
cognitifs. C'est probablement l'efficacité globale des combinaisons
thérapeutiques sur l'inhibition de la réplication du virus et sur
l'amélioration de l'état général des patient qui
est la plus pourvoyeuse d'amélioration. Cependant, nous avons vu plus
haut les limites que ces molécules pourraient avoir dans le cas
particulier de l'affection du système nerveux central. Certains auteurs
proposent déjà des stratégies complémentaires dans
le traitement des troubles cognitifs. Swindells et coll., notamment, envisagent
que « l'avenir des traitements contre la démence, passera
peut-être par une surveillance des macrophages immuno-compétants,
plus encore que de la charge virale dans le cerveau, et le développement
de traitement anti-inflammatoires et
neuroprotecteurs »290.
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