2.2.
Réplication virale et troubles cognitifs
Les progrès de la biologie moléculaire ont rendu
possible le suivi régulier de la charge virale du plasma et du LCR. De
nombreux auteurs s'interrogent sur la valeur diagnostique et pronostique de la
charge virale dans l'atteinte cérébrale liée au VIH et
dans l'évaluation de la réponse aux traitements225.
Ils explorent, notamment, les liens existant entre la charge virale dans le
sang et dans le LCR et ceux qui existent entre la charge virale dans le LCR et
les troubles cognitifs. Pour certains, il n'y a pas de relation entre la charge
virale sanguine et dans le LCR226. Pour d'autres, plus nombreux, il
existe une corrélation entre la charge virale dans le plasma et celle du
LCR (voir article 3)227, 228, ce que nous avons pu
confirmer224. Une contamination plasmatique, explicable par les
altérations de la barrière hémato-encéphalique a
pourtant été suggérée. Que ces anomalies existent
aussi chez des patients asymptomatiques avec une barrière
hémato-encéphalique préservée, suggère
plutôt l'hypothèse d'une production locale de VIH-1228.
Cette idée est renforcée par les travaux de l'équipe de Di
Stephano229 qui montrent des virus à phénotypes
différents dans des échantillons de sang et de LCR, ce qui
suggére une évolution différente de l'infection dans ces
deux compartiments. Certaines études neuropathologiques renforcent les
arguments en faveur d'une production locale de virus associée à
la détérioration neurologique en montrant notamment une
antigénie p24 positive dans la substance blanche frontale (et dans la
substance grise dans un cas sur 2) chez des patients ayant une
encéphalite réplicative du VIH. Ces études montrent, de
même, une corrélation entre la charge virale
(déterminée par PCR quantitative) et l'encéphalite du
VIH198. Dans ce cas, la diminution de la charge virale dans le LCR
suivant l'administration des combinaisons antirétrovirales226, 230,
231 pourrait ne pas indiquer systématiquement un contrôle
effectif du VIH dans le système nerveux central.
En ce qui concerne les éléments apportés
par la détection et la quantification de l'ADN proviral dans le LCR, peu
d'éléments en faveur d'une éventuelle valeur diagnostique
ont été dégagés. En effet, la fréquence de
détection de l'ADN proviral dans le LCR des patients a été
estimée à 90%, indépendamment de l'existence de troubles
cognitifs232 et, de plus, la quantité d'ADN proviral dans le
LCR n'est pas plus élevée chez les patients présentant des
troubles neurologiques associés au SIDA que chez les patients sans
trouble cognitif233.
En revanche, la quantification de l'ARN pourrait
présenter plus d'intérêt. Un débat important sur la
valeur pronostique de cet outil a partagé les scientifiques.
Plusieurs observations ont été faites :
D'une part, certains patients asymptomatiques peuvent avoir
une charge virale élevée dans le LCR, sans troubles
cognitifs228, 234 et sans altération de la barrière
hémato-encéphalique228, ce qui suggère une
production locale de VIH-1. D'autre part, des résultats contradictoires
sur une éventuelle corrélation entre la charge virale dans le LCR
et les troubles cognitifs ont été trouvés.
Pour certains auteurs, il existe un lien entre la charge
virale dans le LCR et les troubles cognitifs et/ou neurologiques, surtout dans
les stades tardifs235. Dans l'étude de Di Stephano, la charge
virale dans le LCR était liée aux troubles
neurologiques229. Et Cinque et coll. ont pu montrer, par des
études neuropathologiques, qu'il existe une corrélation entre la
charge virale dans le LCR et l'encéphalopathie du VIH, ce qui
suggère une implication directe de la réplication virale à
l'origine des lésions236. Pour d'autres auteurs, ni la charge
virale du LCR, ni la charge virale dans le sang222 ne sont
directement liées à l'intensité des troubles
cognitifs227, 237. Nos travaux confirment ces résultats (voir
article 3). Cette idée est renforcée par les travaux
neuropathologiques relevant des discordances entre la quantification de l'ARN
du VIH-1 dans le cerveau et la démence : certains patients
déments ont une charge virale faible88 (Voir article 2).
Les différents résultats sur la
corrélation entre la charge virale et l'intensité des troubles
cognitifs montrent donc des résultats divergents. La plupart des auteurs
qui ne trouvent pas une corrélation directe entre les troubles
cognitifs et la charge virale montrent pourtant que la charge virale est en
moyenne plus élevée chez les patients présentant des
troubles cognitifs sévères (déments) que chez les patients
n'en ayant pas223, 224, 226, 235, 238. Ces résultats, qui
peuvent être rapprochés de ceux obtenus dans le tissu
cérébral (Voir article 2), suggèrent que des facteurs
indirects de neurotoxicité puissent intervenir dans la relation entre la
charge virale et les troubles cognitifs239 (voir chapitre I, 3.4).
En conclusion, la mise en évidence d'une charge virale
positive dans le LCR ne constitue pas un élément de diagnostique
précoce de l'encéphalopathie VIH. Cependant, l'apparition d'une
charge virale élevée dans le cerveau, quelque soit le stade de la
maladie, doit être surveillée car seules des études
longitudinales pourront démontrer que ces patients sont plus à
risque que d'autres de développer une atteinte cognitive
ultérieure225. Les premiers travaux longitudinaux sur l'effet
des thérapies antirétrovirales prouvent cependant deux points:
une réplication importante augmente le risque de complications
neurologiques ; d'autre part, les nouvelles combinaisons
thérapeutiques antirétrovirales semblent avoir
considérablement changé les données de la situation en
diminuant fortement l'incidence des affections neurologiques240.
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