3.5. Les troubles
mnésiques
3.5.1. Cadre théorique des
différents troubles mnésiques
La psychologie cognitive a permis, au cours de la
dernière décennie, de mettre en évidence l'existence d'un
polymorphisme de la mémoire. Des formes variées de mémoire
se différentient par le mode de stockage, de codage et de rappel de
l'information, ainsi que par les structures cérébrales qu'elles
mettent en jeu144. Nous allons très brièvement en
donner un aperçu (pour revue, voir le livre de Tulving traduit par B.
Deweer145). La première grande distinction observée
est celle d'une différence de durée de conservation de
l'information à laquelle s'ajoute une différence de
capacité de stockage. On observe sur ce critère la mémoire
à court terme et la mémoire à long terme (modèle
d'Atkinson et Shiffrin), ces deux stocks de mémoire fonctionnant
probablement en parallèle. On distingue actuellement la mémoire
de travail qui stocke des informations qui ne sont valables que pour
l'activité en cours, est sensible aux interférences et est
régulièrement remise à zéro. On fait aussi la
distinction entre la nature et le type de traitement qu'impliquent le stockage
des informations reçues. Sur ce mode, on a pu différencier la
mémoire déclarative et la mémoire
procédurale146 et, dans la première, la mémoire
épisodique et la mémoire sémantique147.
Chez les patients séropositifs pour le VIH-1, la
plainte mnésique est fréquente et pose souvent la question d'une
dépression sous-jacente. Il est important de déterminer
précocement si un déficit mnésique réel existe afin
d'évaluer le handicap que cela représente pour le patient dans sa
vie courante. Nous ne développerons dans ce chapitre que les troubles
mnésiques ayant été reportés dans la
littérature comme liés à la pathologie VIH-1, c'est
à dire ceux concernant principalement la mémoire de travail, la
mémoire épisodique verbale et la métamémoire.
3.5.2. La mémoire de travail
La mémoire de travail a été
définie par Baddeley148 comme un ensemble de processus dans
lequel un centre de gestion alloue les ressources attentionnelles
nécessaires à la manipulation et au traitement des informations
dans deux stocks de mémoire tampon : la «boucle phonologique»
et le «calepin visuo-spatial». Cette mémoire active, aussi
appelée «mémoire
représentationnelle»149, met ainsi en jeu d'une part des
caractéristiques verbales et d'autre part, la manipulation mentale
d'items visuo-spatiaux.
L'infection VIH est associée à un déclin
de certaines fonctions exécutives et attentionnelles qui sont en
connexion étroite avec les capacités de mémoire de
travail. Stout et collaborateurs111 ont mis en évidence un
déficit des patients séropositifs symptomatiques (non
déments) dans des tests d'empan de lecture et d'empan chiffré
inversé. Les patients asymptomatiques montrent une tendance (non
significative) à être déficitaires dans ces tests,
suggérant ainsi que ce type d'atteinte de mémoire de travail
puisse débuter aux stades asymptomatiques. Ces résultats
suggèrent en outre que la progression de la maladie est sensible
à des tâches de mémoire de travail impliquant une
manipulation des informations temporairement stockées mais
préserve la mémoire à court terme «non active»,
évaluée dans des tâches impliquant un simple stockage des
informations - empan chiffré en ordre direct, par exemple.
Les résultats obtenus par Sahakian et
collaborateurs108 portent principalement sur la capacité
d'utilisation de la mémoire de travail spatiale. Le test consistait
à retrouver des objets virtuels (sur écran d'ordinateur)
cachés dans des boîtes que l'on peut visiter au cours d'essais
successifs. Le test est conçu de telle manière qu'on
évalue les performances en fonction de la difficulté de la
tâche en présentant au sujet un nombre plus ou moins grand de
boîtes (de 3 à 8) et qu'on estime, outre le temps
d'exécution, la stratégie développée par les
sujets. Les résultats à ce test montrent que les patients
symptomatiques et asymptomatiques ne diffèrent pas entre eux. Ces deux
populations sont nettement déficitaires par rapport aux sujets
séronégatifs, uniquement lorsque la difficulté de la
tâche est accrue (8 boîtes). De même, la stratégie
développée par les sujets, qui est corrélée
positivement au nombre de bonnes réponses, est significativement
réduite chez les deux groupes de patients par rapport aux
témoins. Ce résultat est retrouvé par ces mêmes
auteurs avec la tâche de la «Nouvelle Tour de Londres» qui met
en jeu la mémoire de travail et la capacité à planifier
des mouvements : cette tâche requière d'imaginer des
déplacements de billes de couleur de façon à copier un
modèle d'arrangement spatial de ces billes. La tâche sera d'autant
plus complexe en terme d'attention soutenue et de mémoire de travail que
le nombre de mouvements nécessaire est grand. Les patients, là
encore, ne sont déficitaires que lorsque le nombre de mouvements
à imaginer est important.
Ce profil (mauvais scores aux tests de mémoire de
travail spatiale étroitement corrélés à la
complexité et l'utilisation de stratégies
autosuggérées) est typique d'un déficit
préfrontal150 et suggère que les déficits de
mémoire de travail interviennent indépendamment du stade CDC sans
prédire l'évolution de la maladie. Par ailleurs, ce type de
déficit montre qu'il est possible d'observer un dysfonctionnement du
cortex préfrontal aux stades CDC II et III108.
Le déficit au test de fluence verbale,
caractéristique des fonctions frontales151, est
fréquent bien que non systématique chez les sujets
présentant des troubles cognitifs modérés. En effet, la
réalisation de ce test, qui met en jeu la manipulation en mémoire
de travail de mots répondant à une consigne (début du mot
par une lettre ou appartenance à une catégorie) n'est pas
toujours affectée108, 119. Il a été
récemment montré, grâce à l'imagerie
cérébrale par résonance magnétique fonctionnelle
(IRMf) que la réalisation de cette tâche requière
l'activation de structures frontales : le sillon frontal inférieur
gauche, le cingulaire antérieur et le sillon frontal
supérieur152. L'activation et l'intégrité de
ces structures frontales sont également nécessaires à la
réalisation des tâches de mémoire de travail
décrites plus haut mais il semble que ce soit l'hémisphère
droit qui soit recruté153 lors de l'exécution d'un
plan d'action (planification, organisation temporelle). On ignore cependant si
les déficits des patients peuvent être liés, non à
des lésions du cortex préfrontal droit (nous avons vu plus haut
qu'il n'y avait pas de corrélation à ce niveau) mais à des
dysfonctionnements (potentiellement réversibles) de ces structures.
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