Essai sur la diffusion du modèle européen du procès équitable à la politique uniforme de résolution des litiges relatifs aux noms de domaine " UDRP "par Yassin EL SHAZLY Université Lumière-Lyon 2 - Master 2 recherche, mention ? Droits de l?Homme ? 2006 |
B. La corégulation ; une nouvelle voie émergenteOn peut constater que la nature complexe marquée par l'absence d'une normativité étatique centrale rend impossible le jeu d'un acteur unique qui peut pretendre organiser l'ordre juridique sur le réseau. Autrement dit, il n'y a pas une seule autorité qui pourrait assurer globalement la régulation de l'Internet. Ajoutons a cet égard, que l'absence d'une hétérogénéité parmi les acteurs du réseau complique également l'élaboration de codes de conduite. Par conséquence, une éventuelle régulation de l'Internet exige une coopération entre les pouvoirs publics et les acteurs privés, a l'échelle nationale et aussi internationale. Cette coopération se retrouve dans le modèle de la corégulation qui réside sur l'idée d'une régulation d'origine privée et corporatiste selon un partenariat entre les acteurs privés et les autorités étatiques. D'une manière générale, la corégulation repose a mi~chemin1 entre la souplesse de l'autorégulation et la rigidité de la réglementation étatique. Elle essaie de créer un espace d'échanges entre tous les acteurs de l'Internet, d'origine privée ou publique; une coopération entre les usages, les entreprises et les pouvoirs publics. En d'autres termes, la corégulation vise a créer un cadre spécifique pour articuler les normes étatiques et les dynamiques de l'autorégulation. Cette approche mixte qui s'appuie sur les Etats et les acteurs privés est seulement apte a apprendre la complexité soulevée par l'Internet et iPriscilla DE LOCHT et Christophe LAZARO, op. cit., p. 322. fournir un cadre adéquat pour son évolution a travers d'un <<droit négocié >> 1 qui se produit par la négociation entre tous les acteurs. L'autorégulation ou la corégulation reposent sur la création de normes que l'on peut qualifier comme du <<soft law>> caractérisé par son origine privé et une certaine adaptation avec l'environnement qu'il régit. Ce soft law s'appuie sur un consensus entre les acteurs de l'Internet afin de créer des normes qui pouvant remplir les lacunes du droit étatique. Cette méthode de régulation donne la possibilité de créer une stratégie globale pour la régulation de l'Internet. D'une part, elle permet de trouver le point d'équilibre entre le respect des normes étatiques et l'efficacité des normes privées. D'autre part, la corégulation surmonte l'obstacle de la multiplicité des codes de conduite existant déjà dans l'environnement numérique en créant un standard de normes. Autrement dit, la corégulation a une vocation codificatrice2 qui essai de créer une certaine uniformisation dans le monde virtuel. Comme l'autorégulation, la corégulation cherche la standardisation des comportements, mais d'une manière plus stable et uniforme. Or, il faut noter que cette instance ne doit pas agir selon une logique de réglementation avec des pouvoirs publics, mais dans une logique de concentration, en participant a l'élaboration des règles avec les différents acteurs concernés, y compris les internautes et les entreprises. La corégulation construit une << approche coopérative de la régulation>> entre la société civile et les pouvoirs publics, mais moins qu'un interventionnisme étatique radicale. De même, elle ne laisse pas complètement aux acteurs privés la liberté de choix des normes qu'ils doivent respecter dans leurs activités concernées ; c'est une << autorégulation réglementée >>3 La corégulation valorise juridiquement l'autorégulation et en même temps, elle donne a l'Etat l'opportunité d'observer les usages et coutumes des acteurs privés et de participer effectivement dans l'élaboration des normes de l'Internet. A cet égard, le Forum des droits sur l'Internet (FDI) qui a été adopté récemment en France est un exemple orthodoxe de la logique de la corégulation. Cette instance est plus réaliste que la réglementation étatique. Le forum met en avant la contribution civique des acteurs privés a la normativité du monde en réseau. Il favorise l'adaptation de l'ensemble du 1 Philippe AMBLARD, op. cit., p. 15. 2Priscilla DE LOCHT et Christophe LAZARO, op. cit., p. 324. 3 Thomas SCHULTZ, op. cit., p. 139. droit et des pratiques dans le réseau1. Dans son rapport <<Du droit et des libertés sur l'Internet>> présenté au Premier ministre, Lionel Jospin, Christian PAUL confirme l'intérêt de la création d'un tel organisme face a l'échec de la réglementation étatique 2. Le FDI n'est pas une réunion par hasard, un rendez-vous de circonstances. L'une des principales originalités du FDI est son statut, puisqu'il s'agit non pas d'une autorité administrative indépendante3 mais d'une association sans but lucratif de type loi 1901. Autrement dit, c'est un organisme privé, distinct de l'autorité publique4. En plus d'être un espace de discussion, c'est aussi un lieu de construction, d'engagement et de responsabilité. Le forum n'est pas un moyen de cautionner l'action publique ni une sorte de porte-parole da la société civile. A ce titre, la décision de la régulation de l'Internet ne peut plus être imposée par un nombre limité d'acteurs, publiques ou non. Toutefois, il faut remarquer que le FDI n'est pas une délégation de compétence de l'Etat a cette instance, le forum ne dispose d'aucune prérogative policière ni judiciaire. Il s'agit d'une perspective mixte oü il y a une reconnaissance possible d'une égalité entre l'Etat et les acteurs privés sur le plan de la 1 Isabelle FALQUE-PIERROTIN, << La gouvernance du monde en réseau>> in Gouvernance de la société de l'information: loi, autoréglementation, éthique, op. cit., p. 111 et s. 2Dans son rapport, M. Christian PAUL indique que .les Etats et les institutions démocratiques ne sontpas les mieux a même de réguler les activités sur l'Internet, parce qu'ils sont trop lents, trop peu aufait des réalités techniques et commerciales, et cantonnés dans leurs frontières. Il reviendrait alors aux acteurs économiques - en pratique, les entreprises, conscientes du fait que leur rentabilité a terme repose sur la confiance des consommateurs - de proposer, voire d'imposer des codes éthiques et des pratiques d'autorégulation, que la loi ou la jurisprudence peuvent ensuite venir consacrer . Rapport au Premier Ministre, Du droit et des libertés sur l'Internet: La corégulation, contribution française pour une régulation mondiale, Christian PAUL, député de la Nièvre, Mai 2000, p. 14, disponible sur le site du Centre national de recherche scientifique CNRS http://cat.inist.fr/?aModele=afficheN&cpsidt=14176242 3 Il n'y a pas en France une autorité existante qui a une compétence générale pour régler l'ensemble des activités de la société de l'information. Par contre, ily a une pléthore d'autorités dans la matière; Conseil supérieur de l&audiovisuel (CSA) http://www.csa.fr/index.php, Commission Nationale de l&Informatique et des Libertés (CNIL), créée par la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative a l&informatique, aux fichiers et aux libertés, http://www.cnil.fr/. 4 Pour garantir son indépendance vis-à-vis de tout groupement d&intérêts particuliers, Le Forum des droits sur l&Internet est financé majoritairement par une subvention de l&Etat a hauteur de 7,35 millions de francs pour l&année 2001 et 1,14 million d&euros en 2002 et 2003. Le versement de cette subvention intervient dans le cadre d&une convention triennale entre l&Etat et l&association. Le Forum est investi de trois grandes missions : la concertation entre les acteurs, l&information et la sensibilisation du public et la coopération internationale. Par ailleurs, l&association reçoit des cotisations de ses membres; http://www.forumInternet.org/quisommesnous/organisation.phtml# production du droit, qui prend la forme d'une démocratie participative en facilitant le dialogue et l'échange entre tous les acteurs de l'Internet, y compris l'Etat: Lieu permanent de dialogue et de réflexion visant au développement harmonieux des règles et usages de ce nouvel espace ))6. De ce fait, il semble que l'Etat ne doit pas tout réglementer2, mais mettre sur pied des lieux de dialogue et de veille oü tous les acteurs intéressés pourront confronter leurs points de vue, analyser les solutions techniques et proposer des actions y compris, si nécessaire législatives3. Il ne s'agit pas de chasser l'Etat du cyberespace, mais comme le précise Pierre Trudel de faire une application pluraliste du droit commun, la réglementation étatique, les techniques contractuelles, l'autoréglementation, la soft law, et la normalisation technique ))4. Donc, le droit étatique n'est pas condamné a rester au balcon5, mais il joue un rôle fondamental dans la mesure oü il représente <<les consensus>> de base a partir desquels les autres instruments régulateurs pourront se définir. Parmi ces instruments on retrouve les modes électroniques de règlement des différends qui participent actuellement a la normativité du monde en réseau. Ces moyens de règlement de différends apportent une certaine légitimité a l'action des acteurs privés du réseau Internet, et assurent aussi une certaine normativité dans le monde virtuel. C'est ce qu'on abordera par la suite. 1 Pascal Fortin, <<Forum des Droits sur l'Internet : la corégulation en question>>, disponible sur http://www.homo-numericus.net/article176.html# 2 A cet égard, on peut citer par exemple l'ART (l'Autorité de régulation des communications). L'originalité de l'ART réside dans le fait qu'elle est la première autorité sectorielle de régulation dans le domaine des industries de réseaux qui, dispose a la fois d'un pouvoir réglementaire, de sanction et d'arbitrage. Cette disposition représente une innovation juridique. L'ART a une mission de régulation de caractère technique et d'organisation du marché des télécommunications. Elle est la première autorité administrative indépendante, qui se voit reconnaItre le pouvoir quasi-juridictionnel de régler des différends, compétence qu'elle exerce sous le contrôle du juge judiciaire, dans le respect des garanties procédurales inspirées des règles du procès équitable. Un véritable tournant dans l'histoire des télécommunications en France. Richard DELMAS, <<Internet, une cité imparfaite >>, in Gouvernance de la société de l'information: loi, autoréglementation, éthique, op. cit, pp. 117-125. 3 Elisabeth ROLIN, << Les règlement de différends devant l'Autorité de régulation des télécommunication >>, Petites affiches, 23 janvier 2003, n°17, p. 26 et s.; Jean-Michel HUBERT, <<Le cas de l'autorité de régulation des télécommunications >>. RFDP, n°109 , pp. 99-104. 4 Pierre Trudel et al., Droit du cyberespace, Montréal, Thémis, 1997. 5 Michel COIPEL, <<Quelques réflexions sur le droit et ses rapports avec d'autres régulations de la vie sociale >>, in la Gouvernance de la société de l'information: loi, autoréglementation, éthique pp. 43-76. |
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