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Essai sur la diffusion du modèle européen du procès équitable à la politique uniforme de résolution des litiges relatifs aux noms de domaine " UDRP "


par Yassin EL SHAZLY
Université Lumière-Lyon 2 - Master 2 recherche, mention ? Droits de l?Homme ? 2006
  

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B. Les effets d'incompatibilité avec l'article 6 sur lejuge national

L'ICANN, une société privée s'est fondue dans un régime contractuel pour imposer ses règles a ceux qui enregistrent un nom de domaine. Dans ce contexte, la resolution de litiges représente la pierre angulaire du système établi par l'ICANN. On a vu plus haut que le fonctionnement de cette procédure englobe quelques contradictions avec le droit a un procès équitable. A ce stade, il est bien établi que le contrôle du respect des exigences de l'article 6, § ler, CESDH par les organes extrajudiciaires de règlement des différends est assuré par les tribunaux internes. En cas de défaillance de ce contrôle, les organes de Strasbourg sont susceptibles de sanctionner les manquements de l'Etat signataire concerné. C'est le juge qui représente a cet égard, le point de contact entre le cyberespace et la CESDH (2). Cette situation n'est pas nouvelle dans la mesure oü il y a une jurisprudence française confortée a la même hypothèse dans le cadre d'arbitrage international (i).

§i. La jurisprudence francaise en matière du contrôle de l'arbitrage international

D'une manière générale, il existe de nombreux points de contact entre la procédure arbitrale internationale et le juge judiciaire: si l'arbitrage se déroule en France ou est soumis a la loi de procédure française, le juge peut avoir a intervenir par le jeu de

lAlexandre CRUQUENAIRE, op. cit., p. 163.

l&article 1493 du nouveau Code de procédure civile1; si la sentence a été rendue en France, le juge intervient aussi comme juge de l'annulation; en cas contraire, il peut avoir a connaltre de la décision ayant accordé l'exequatur2. Pourtant la jurisprudence française a pris est une position spécifique en ce qui concerne l'application de l'article 6 de la CESDH a l'arbitrage. Deux affaires principales peuvent nous éclairer la situation a ce sujet.

Tout d'abord, l'affaire Cubic qui marque la position de la Cour de cassation au regard de l'application de l'article 6 de la CESDH aux procédures de l'arbitrage. En l'espèce, une société américaine, nommée Cubic, avait en 1977 conclu divers contrats de fourniture de système d'armement avec le ministère de la Guerre iranien. Ces contrats comportaient une clause compromissoire prévoyant que toute réclamation ou tout différend découlant du contrant sera tranché par arbitrage, selon les lois de l'Etat de l'Iran en vigueur a la date de la conclusion du contrat. A la suite de événements révolutionnaire de 1979, l'exécution du contrat a été interrompue, le ministère de la défense de la République islamique a saisi la Cour internationale d'arbitrage de la Chambre de commerce internationale (CCI). Après un désaccord concernant la désignation du président du tribunal arbitral, la société Cubic a assigné la Chambre de commerce internationale devant le tribunal de grande instance de Pairs.

La société Cubic demandait au tribunal d'une part de prononcer la nullité du contrat conclu entre elle et la Chambre de commerce international pour l'organisation de l'arbitrage, et d'autre part, elle prétendait que le règlement de l'arbitrage de la Chambre de commerce internationale est contraire de l'article 6 de la CESDH en raison de la nature vraisemblablement juridictionnelle de la Cour et de l'atteinte a l'indépendance des arbitres qui en résultaient. Le TGI rejeta les demande de la société Cubic par un jugement du 21 mai 1997, confirmé par la Cour de Pais le 15 septembre 1998 qui a jugé que la CESDH ne s'applique pas au litige dans la mesure oü l'institution d'arbitrage ne

1 Article 1493 du NCPC: <<Si pour les arbitrages se déroulant en France ou pour ceux a l&égard desquels les parties ont prévu l&application de la loi de procédure française, la constitution du tribunal arbitral se heurte a une difficulté, la partie la plus diligente peut, sauf clause contraire, saisir le président du tribunal de grande instance de Paris selon les modalités de l&article 1457 >>.

2 Serge GUINCHARD et Frédéric FERRAND, Procédure civile; Droit Internet et Droit communautaire, Dalloz, Précis, 28e édition, 2006, pp. 1347 et s; LoIc CADIET et Emmanuel JEULAND, Droitjudiciaire privé, Litec, Manuel, 5e édition, 2006, pp. 675 et s ; Yves GUYON, L'arbitrage, Economica, 1995.

représente pas véritablement une juridiction sous l'autorité d'un Etat membre: La convention européenne des droits de l'homme, qui a été signée entre les gouvernements membres du Conseil de l'Europe, s'impose aux Etats signataires et non pas a une association qui ne constitue pas unejuridiction ~6.

Saisie sur le pourvoi la société Cubic, la Cour de cassation a rendu son arrêt le 20 février 2001 en rejetant les demandes. Pour la haute juridiction L'article 6-i de la Convention de sauve garde des droits de l'homme, qui ne concerne que les Etats et les juridictions étatiques, est sans application en la matière et au surplus, lesjuges dufond ayant souverainement retenu qu'une société ne démontrait pas avoir été, en l'espèce, privée des garanties d'un procès équitable, tant sur le délai raisonnable de jugement que sur l'indépendance et l'impartialité des arbitres n'était pas fondée a invoquer la violation du texte précité 2
· D'une première lecture, l'arrêt peut monter que la Cour de cassation écarte généralement l'application de l'article 6 de la CESDH aux procédures d'arbitrage. Il serait erroné d'en déduire de façon générale l'affirmation que cette Convention est inapplicable en matière d'arbitrage. Deux remarques doivent être faite a cet égard.

En premier lieu, la portée de cet arrêt doit être limitée a l'espèce, selon l'expression de la Cour de cassation. En effet, la société Cubic n'a pas attaqué la sentence arbitrale de la CCI, mais elle a dirigé ses critiques contre l'institution d'arbitrage et le contrat impliquant l'organisation de l'arbitrage avec cette dernière. Autrement dit, la société américaine, au lieu de s'attacher a démontrer in concreto qu'elle n'avait pas bénéficié d'un procès équitable, prétendait que les causes du règlement de la Chambre de commerce internationale étaient, par elle-même, et in abstracto contraires a la Convention européenne des droits de l'homme. La question posée a la haute juridiction était donc de savoir si, avant même qu'une quelconque sentence ait été prononcée, le

1 Société Cubic Defense inc. c/ Chambre de commerce internationale,. CA de Paris, 1er ch., A., 15 septembre 1998; Revue d'arbitrage, 1999, p. 103, note Pierre LALIAE.

2 Cass. 1re civ., 20 février 2001 : Société Cubic Defense Systems Inc. c. Chambre de commerce internationale (C.C.I.) - Pourvoi no 99-12.574; D. 2001, jurisprudence, Informations rapides, p. 903; Gaz. Pal., 13 décembre 2001 n° 347, P. 29 et s; Alexis MOURRE, <<Réflexions sur quelques aspects du droit a un procès équitable:, in L'arbitrage et la Convention européenne des droits de l'homme, Actes du séminaire du 4 mai 2001 conçu par les institut des droits de l'homme des barreaux de Paris et de Bruxelles et organisé par l'institut de formation continue du barreau de Paris, sous la présidence de Monsieur le bâtonnier Georges Flécheux, Bruylant 2001, pp. 24 - 55.

règlement d'arbitrage adopté par les parties, pouvait être censuré sur le fondement d'une possible contrariété a la Convention. Dans ce contexte précis, l'arrêt de la Cour de cassation doit être examiné. Les garanties offertes par l'article 6 n'étaient nullement en question.

En deuxième lieu, selon l'article 1er de la CESDH, les Etats membres doivent assurer les garanties posées par la Convention a Toute personne relevant de leur juridiction '. Au sens de ce texte, la juridiction de l'Etat signifie le pouvoir que celui-ci exerce de fait sur une personne. Donc, cette article n'implique pas les tribunaux arbitraux dans la mesure oü ils sont des juridictions privées, qui n'ont pas de for, qui ne représentent pas d'Etat, et qui ne constituent pas des organes dont les violations sont imputables a l'Etat. De ce point du vue, on peut constate que la Convention ne s'impose pas directement aux arbitres. Or, comme le soutiennent certains auteurs, cette conclusion n'écarte pas totalement l'application de la Convention a l'arbitrage, soit interne ou international.

Les garanties offertes par l'article 6 font pleinement partie de la conception de l'ordre public européen. L'Etat doit, par conséquent, veiller au respect par les arbitres des principes posés par la Convention, et censurer une sentence qui les violent. Par ce biais, la Convention s'applique indirectement a l'arbitrage. En laissant une situation contraire a la Convention produire ses effets dans l'ordre juridique français1, le juge rendrait cette violation imputable Etat. En d'autres mots, au nom de la Conception française de l'ordre public international, le juge français applique d'une façon indirect la Convention a l'arbitrage et peut sanctionner toute sorte d'irrégularité de la procédure d'arbitrage au regard des garanties offertes par l'article 6 de la dite Convention2.

1 Cette position est appliquée constamment en ce qui concerne la reconnaissance de décisions étatiques étrangères. Par exemple, la Cour de cassation a jugé que Cass, ayant jugé que: la Convention européenne de sauve garde des droits de l'homme et des libertésfondamentales ne crée pas d'obligations qu'à l'égard des Etats qui y sont parties, ce qui n'est pas le cas de la République du Gabon; dès lors, le juge de l'exequatur n'était pas tenu de répondre a des conclusions inopérantes invoquant la violation a l'étranger de l'article 6 de la Convention . Cass. civ., 1er ch., 10 juillet 1990, Mommeja c/ Tordjeman, RCDIP, 1991, p. 757.

2 Alexis MOURRE, op. cit., p. 31. Par un jugement du 18 novembre 1987, la Cour d'appel de Paris a jugé que les arbitres doivent ((assurer eux-mêmes les conditions d'un procès équitable, conforme aux principes généraux et fondamentaux et, en tant que de besoin, aux dispositions de l'article 6 de la Convention de sauve garde des droits de l'homme . (4) CA. Paris, 18 novembre 1987, Revue d'arbitrage, 1988, p. 657, note Philippe FOUCHARD.

Cette solution a été confirmée par la Cour de cassation dans l'affaire NIOC qui pose la pierre d'angle de l'édifice en consacrant le droit au juge en des termes qui attestent de l'attachement de la France a l'arbitrage international. En l'espèce, un accord de participation a été conclu en 1968 entre l'Etat d'Israël et la National Iranian Oil Company (NIOC), société de droit public iranien, pour la construction, l'entretien et l'exploitation d'un oléoduc reliant le Golfe d'Eilat a la côte d'Ashquelon. Cet accord contient une clause compromissoire, aux termes de laquelle en cas de litige chaque partie nommera un arbitre. Si ces arbitres ne règlentpas le litige d'un commun accord, ou s'ils ne se mettentpas d'accord sur le choix du troisième arbitre, il sera demandé au Président de la Chambre de commerce internationale de Paris de nommer ce troisième arbitre . Il s'agit donc d'un arbitrage ad hoc, la clause ne faisant référence ni au siège de l'arbitrage, ni t un règlement d'arbitrage. La procédure retenue pour la constitution du tribunal et la solution des difficultés de fond ou de constitution du tribunal est très fréquente en pratique (3). La NIOC choisit un arbitre, puis se prévaut de la clause compromissoire devant l'Etat d'Israël qui, refusant de désigner son arbitre, paralyse la procédure. Empêchée de faire valoir ses prétentions au fond, la NIOC se sent victime d'un déni de justice et demande l'appui du juge étatique pour surmonter l'obstruction. Ces arguments ont été refusés devant le TGI de Paris par un jugement du 9 février 2000 au motif que le déni de justice n'est pas établi. Par contre, les demandes de la société NIOC ont été accueillies par la Cour d'appel de Paris qui a rendu deux arrêts, le 29 mars 2001 et le 8 novembre 2001, en constatant la créance de l'Etat d'Israël et nommant un arbitre pour lui. Les arrêts de la Cour d'appel font l'objet d'un pourvoi devant la Cour de cassation1.

L'Etat d'Israël s'oppose a l'interprétation du déni de justice et soutient que la procédure arbitrale n'était pas totalement paralysée dans la mesure oü la NIOC pouvait toujours renoncer a l'arbitrage et déférer le fond du litige a une juridiction étatique. La Cour de cassation rejette le pourvoi articulé par l'Etat d'Israël, en appuyant sur le caractère fondamental du fait d'accéder au juge comme une garantie de l'article 6 de la CESDH et comme une composante de l'ordre public international: l'impossibilité pour

1 Cass. civ., ch.1er, 1er février 2005, Israel c/ la National Iranian Oil Company (NIOC), 01-13742N° de pourvoi : 02- 15237; Bulletin 2005 I n° 53 p.45 ; Simon HOTTE, D. 2005, n°39, jurisprudence, p. 2727.

une partie d'accéder au juge, flit-il arbitral, chargé de statuer sur sa prétention, a l'exclusion de toutejuridiction étatique, et d'exercer ainsi un droit qui relève de l'ordre public international consacré par lesprincipes de l'arbitrage international et l'article 6. 1, de la Convention européenne des droits de l'homme, constitue un déni dejustice qui fonde la compétence internationale du président du tribunal de grande instance de Paris, dans la mission d'assistance et de coopération dujuge étatique a la constitution d'un tribunal arbitral, dès lors qu'il existe un rattachement avec la France .

Cette exception de l'ordre public a conduit la Haute juridiction a annuler une sentence arbitrale dans le cadre de la Chambre de commerce internationale au motif que la procédure d'arbitrage n'a pas respecté l'égalité entre les parties dans la désignation des arbitres: Le principe de l'égalité des parties dans la désignation des arbitres est d'ordre public et on nepeut y renoncer qu'après la naissance du litige ~1.

On peut donc déduire que l'arbitrage international, comme manifestation d'une certaine forme de justice, doit répondre aux exigences du procès équitable au sens de l'article 6 de la CESDH, sous peine de perdre tout crédit et toute efficacité dans l'ordre juridique interne des Etats membres a ladite Convention. La jurisprudence française a déjà montré que la garantie des droits fondamentaux a l'oeuvre dans le procès est assurée en matière d'arbitrage international. Mutatis mutandis, cette conclusion doit être transposée a la procédure de l'UDRP.

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"Nous voulons explorer la bonté contrée énorme où tout se tait"   Appolinaire