§2. L'application indirecte de l'article 6 a
l'arbitrage volontaire
L'origine contractuelle et volontaire de l'arbitrage se heurte
a l'application du droit a un procès équitable. Certains auteurs
ont soutenu que si des arbitres ne répondent pas aux conditions
d'indépendance et d'impartialité que prévoit l'article 6
de la Convention européenne, alors qu'ils ont été
librement choisis par les parties, celles-ci sont mal venues de s'en plaindre,
des lors qu'elles ont assumé leurs responsabilités en exprimant
librement leur volonté avant la naissance du litige1. Pour
Olivier JacotGuillarmod, il est manifeste, a-t-il écrit, que dans la
plupart des cas, les juridictions arbitrales n'offrent pas auxjusticiables
toutes les garanties procédurales énumérées a
l'article 6bi, mais cette situation n'est pas contraire a cette disposition
s'il apparaIt clairement a la lumière des circonstances de droit et de
fait que, par la convention arbitrale, les justiciables ont volontairement,
librement et légitimement renoncé a certaines garanties offertes
sans restrictions a ceux qui préfèrent soumettre leur
contestation civile auxjuridictions étatiques . Et cet auteur ajoutait:
Les plaideurs ne sauraient impunément tenir en même temps 'le
chaud et lefroidç c'est-à-dire choisir
délibérément la procédure arbitrale en raison de
ses avantages supposés, puis se plaindre ultérieurement devant
les organes de la Convention du non-respect intégral des garanties
procédurales 2
Au contraire, le Professeur Bruno Oppetit avait, a cet
égard, bien senti que << la justice, globalement
considérée et quelles que soient les voies par lesquelles elle
est rendue, tend a s'organiser de nos jours enfonction d'une éthique
communément partagée:
1 Ernest KRJNGS et Lambert MATRAY, <<Le juge et
l'arbitre >, Revue du droit international et droit comparé, 1982,
p.227 et s.
2 Olivier JACOT-GUTLLARMOD, <<L'arbitrage privé
face a l'article 6, 1 de la Convention européenne des droits de l'homme
>, in protection des droits de l'homme: la dimension
européenne - Mélange, en l'honneur de Gérard .J. Wiarda,
sous la direction de Franz MATSCHER et Hebert PETZOLD, éd. Carl Heymans
Verlag, Cologne, 1988, p. 292.
la notion de procès équitable; cette
nécessité qu'a pu exprimer enforme solennelle un texte (l'aussi
grande portée que la Convention européenne des droits de l'homme
et des libertésfondamentales (...) possède désormais une
résonance universelle: elle apparaIt comme la traduction d'exigences
supérieures, sans considération de la source (droit naturel,
principes généraux du droit, ordre public
<<réellement international) dont elle serait susceptible de
découler; cette philosophie du procès, sinon de lajustice dans
toutes ses modalités institutionnelles, transcende pro gressivement les
clivages nationaux ou techniques, pénètre dans les droits
positifs et contribue largement a restituer une unité de but a
lafonction dejuger,1.
Devant cette divergence doctrinale, de rares décisions
de la Commission européenne devraient nous éclairer davantage sur
la question posée par l'application des dispositions de l'article 6U1 de
la Convention a l'arbitrage volontaire. Rappelons d'abord que dans une
décision rendue le 5 mars 1962, dans l'affaire X c. RFA
(République fédérale d'Allemagne)2, la
Commission a légitimé le recours a l'arbitrage en
considérant que La conclusion d'un compromis d'arbitrage entre
particuliers s'analyse juridiquement en une renonciation partielle a l'exercice
des droits que définit l'article 6, 1" de la Convention (et) rien dans
le texte de cet article ni d'aucun autre article de la Convention, n'interdit
expressément pareille renonciation (...). La Commission ne saurait
davantage présumer que les Etats contractants, en acceptant les
obligations qui découlent de l'article 6b1 aient entendu s'engager a
empêcher les personnes placées sous leurjuridiction de confier a
des arbitres le règlement de certaines affaires .
Cependant, dans cette affaire, la Commission a apporté
deux précisions en ce qui concerne le recours a l'arbitrage volontaire.
D'une part, la Commission a indiqué que la validité d'un
arbitrage volontaire exige que le consentement des parties soit libre: la
clause compromissoire aurait pu, toutefois, se révéler contraire
a la Convention si (le requérant) ne l'avait signée que sous la
contrainte . D'autre part, aux yeux de la Commission la validité de
l'arbitrage volontaire est conditionnée par le respect des exigences du
procès équitable dans le déroulement de la
procédurale arbitrale : si la validité initiale du consentement
dont une clause compromissoire tire sa valeur
1Bruno OPPETIT, Théorie de l'arbitrage, PUF,
1998, p. 25.
2 Commission, 5 mars 1982, X. c. Allemagne, Rec. 8, p. 68,
cité par Alexis MOURRE, op. cit., p. 2070.
juridique, ne se trouve pas affectée après coup
lorsque l'arbitre, dans l'accomplissement des missions qu'elle lui
confère, se comporte d'une manière incompatible avec l'esprit de
la Convention, et notamment de l'article 6)).
Ainsi, on peut déduire que malgré le fait la
Commission admet l'arbitrage volontaire sous la condition de la liberté
du consentement des parties, elle indique que ce consentement puisse être
vicié, s'il se révèle, après coup, que dans
l'accomplissement sa mission, l'arbitre n'a respecté pas l'esprit de la
Convention européenne, et notamment des exigences du procès
équitable. Autrement dit, comme le Pierre Lambert a-t-il écrit, ~
la Commission considère qu'en ayant accepté une clause
d'arbitrage dans un contrat, les parties sont présumés n'avoir
recouru a une procédure d'arbitrage que pour autant qu'elle se
déroule selon les règles d'un procès équitable
~6. Cette position est une manière de contourner la question
posée.
C'est le 4 mars 1987, dans une affaire R c. la
Suisse2, que la Commission s'est exprimée de manière
plus précise sur une question de fond, a l'occasion d'un arbitrage
volontaire. L'importance de cette affaire réside dans le fait qu'elle
représente la première fois oü la jurisprudence
européenne devait se prononcer sur un litige concernant un arbitrage
volontaire. En l'espèce, le requérant se plaignait du
délai déraisonnable d'un tribunal arbitral. La Commission
déclara que la responsabilité de l'Etat ne peut être mise
en cause pour les agissements des arbitres a moins que et dans la mesure oh les
juridictions étatiques aient été appelées a
intervenir >>. En plus, la Commission a relevé toute
ambiguIté en ajoutant a propos du grief fait par le requérant et
qui portait sur le délai, abusif selon lui, mis par les arbitres pour
statuer, que <<c'est dans la mesure oh le requérant a saisi
l'autoritéjudiciaire que le grief concernant la durée de la
procédure arbitrale peut entraIner une responsabilité de l'Etat
défendeur sur le terrain de la Convention, dans la limite des mesures
que l'autorité judiciaire peut prendre pour remédier a la
durée de l'arbitrage . La Commission a indiqué également
que ~ l'autoritéjudiciaire, unefois saisie, n'a exercé
qu'unefonction de contrôle. Ce contrôle devait être
exercé dans un délai raisonnable. Telfut le cas en
l'espèce . La Commission
1Pierre LAMBERT, op. cit., p. 13.
2 Requête n° 10881/84, décision et rapport,
volume 51, p. 83 ; voir le texte en annexe, in L'arbitrage et la Convention
européenne des droits de l'homme, pp.; Charles JARROSSON, op. cit.,
n° 28 et 29, p. 589; Olivier JACOTGUILLARMOD, op. cit., p. 202.
en déduit justement qu'aucune apparence de violation de
l'article 6 § 1 ne paralt imputable au Gouvernement suisse.
Dans ce contexte, il est évident que la Commission a
pris en compte la nature de la procédure d'arbitrage volontaire et le
cadre législatif qui réglemente une telle procédure. Elle
a estimé que les juridictions étatiques qui n'ont qu'une fonction
de contrôle, ne pouvaient être tenues pour responsables de la
durée antérieure a cette saisine, de sorte qu'aucune apparence de
violation de l'article 6, 10 de la Convention ne pouvait leur être
imputée. La Commission a vraisemblablement été
influencée par les excellents motifs du Tribunal fédéral
suisse qui, dans la même affaire, avait déclaré a propos de
l'article 6 § 1, que cette disposition parle uniquement des droits du
justiciable a ce que sa cause soit entendue dans un délai raisonnable
par un tribunal établi par la loi. Elle ne saurait donc s'appliquer a un
tribunal arbitral dont les membres sont désignés librement par
les parties ... En revanche, elle était applicable a la procédure
de recours, des lors que celle-ci avait été conduite ... par une
juridiction établie par la loi '.
Cette décision R c. Suisse est d'une importance
capitale car, pour la première fois, un organe chargé de veiller
a l'application de la Convention européenne des droits de l'Homme
énonce, après avoir relevé qu'il s'agissait d'un arbitrage
volontaire et non forcé, que la Convention ne peut s'appliquer qu'aux
juridictions étatiques dans la mesure oü elles sont intervenues a
l'occasion d'un arbitrage. Le professeur Jarrosson salue cette solution qui est
pour lui une confirmation positive de la thèse selon laquelle la
Convention est inapplicable a l'arbitrage. Il ajoute que cette décision
de la Commission apporte un net démenti aux affirmations des auteurs
selon qui la Convention européenne des droits de l'Homme était
d'ores et déjà applicable a l'arbitrage '6.
Néanmoins, dans une décision rendue plus
récemment, le 27 novembre 1996, dans l'affaire Nordstrom-Janzon et
Nordstrom-Lethinen c. les Pays-Bas2, une petite nuance a
été apportée. Les requérants, de nationalité
finlandaise, invoquaient une violation de leur droit a un procès
équitable en raison du manque d'indépendance et
d'impartialité d'un des trois arbitres désignés par
l'Institut hollandais d'arbitrage,
1 Charles JARROSSON, op. cit., n° 28 et 29, p. 589
2 Comm., 27 novembre 1996, D.R. 87-B, p. 112, cité par
Alexis MOURRE, op.cit.
(Nederlands Arbitrage Instituut) pour trancher le litige qui
les opposait a une société locale. Tous les recours en droit
interne ayant été rejetés, les requérants
adressèrent une requête a la Commission européenne.
Dans une même motivation comme celle de l'affaire R. c.
Suisse, la Commission a vérifié l'existence d'un contrôle
par le juge national du respect de la Convention: la Commission estime que pour
déterminer si les tribunaux internes ont gardé un certain
contrôle sur la procédure d'arbitrage et si ce contrôle a
été exercé correctement dans le cas d'espèce, il y
a lieu de tenir compte non seulement du compromis d'arbitrage intervenu entre
les parties et de la nature de la procédure d'arbitrage privée,
mais également du cadre législatif prévoyant une telle
procédure (...). La Commission relève en particulier que le droit
néerlandais contient des dispositions permettant aux tribunaux d'annuler
une sentence arbitrale pour certains motifs . Ayant relevé l'existence
de ce contrôle par le juge national, et constatant que les motifs de
contestation d'une sentence arbitrale devant les juridictions nationales
varient d'un Etat contractant a l'autre , la Commission estime que l'on ne
saurait exiger au regard de la Convention que les Tribunaux internes veillent a
la conformité des procédures d'arbitrage avec l'article 6 de la
Convention. A certains égards en particulier quant a la publicité
- il est manifeste que les procédures d'arbitrage, souvent, n'ont pas
pour finalité de respecter l'article 6, et le compromis d'arbitrage
entraIne une renonciation a l'application sans restriction de cette
disposition. Par conséquent, pour la Commission, le fait que les parties
n'ont pas joui de toutes les garanties de l'article 6 ne doit pas
nécessairement entraIner l'annulation d'une sentence arbitrale;
cependant, chaque partie contractante doit pouvoir en principe décider
elle-même des motifs d'annulation d'une sentence arbitrale .
Elle ajouta que la loi néerlandaise1
édicte des règles qui permettent aux juridictions d'annuler une
sentence arbitrale sur la base de fondements spécifiques et -
1 C'est ainsi que la Commission juge
dénuéfondement en droit néerlandais l'argument
requérantes selon lequel la simple apparence d' manque
d'indépendance ou d'impartialité devrait, entralner l'annulation
d'une sentence arbitra Elle estime que l'article 6, § i de la Convention
n'exige pas que les juridictions néerlandais appliquent d'autres
critères pour décider d'annuler ou non une sentence arbitrale. A
cet égard, lejuge légitime que le droit néerlandais exige
motifs sérieux pour l'annulation d'une sentence déjà
prononcée, car pareille décision se solde souvent par
l'inutilité d'une procédure d'arbitrage longue et coüteuse
et l'investissement d'un travail et de sommes considérables dans une
nouvelle instance .
ce qui est plus décevant - que l'on ne saurait exiger
au regard de la Convention que les tribunaux internes veillent a la
conformité des procédures d'arbitrage avec l'article 6 §i,
(...) chaque Etat contractant pouvant, en principe, décider
lui-même du fondement sur la base duquel une sentence arbitrale peut
être annulée. Donc, on peut constater que selon la Commission,
c'est donc Etats parties a la Convention d'assurer, par les moyens qu'ils
estiment appropriés, l'application de la Convention.
L'importance de l'arrêt Nordstrom-Janzon et
Nordstrom-Lethinen c. les Pays-Bas, rend hâtive la conclusion selon
laquelle la Convention européenne des droits de l'Homme n'est pas
applicable l'arbitrage volontaire et ne peut l'être qu'à
l'arbitrage forcé. L'arrêt précité constate que
malgré le fait que la convention ne s'impose pas directement aux
arbitres, elle s'impose indirectement a travers le contrôle de l'Etat a
la procédure d'arbitrage. On ne peut donc, a notre avis, tirer de cette
décision la conséquence que la Convention ne serait en
totalité inapplicable a l'arbitrage. Le fait que la Commission
vérifie l'existence d'un certain contrôle des juridictions
nationales sur les sentences le prouve suffisamment. Il faut rappeler que le
juge national, juge du droit commun de la Convention, doit veiller a ne pas
prolonger dans son ordre juridique une situation manifestement contraire a la
Convention européenne des droits de l'homme, en laissant une situation
contraire a la Convention produire des effets dans l'ordre juridique interne.
Cette conclusion nous conduit légitimement a examiner
l'équité des procédures de résolution des litiges
selon l'article 6 de la convention.
Mutatis mutandis, cette conclusion peut être
appliquée aux autres modes de règlement de différends, y
compris la procédure UDRP qui soit donc fournir certains garanties
d'équité pour produire des effets juridiques dans l'ordre des
Etats membres a la CESDH. D'oü vient l'intérêt
d'évaluer la procédure UDRP selon les garanties offertes par
l'article 6.
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