§2. La possibilité de la renonciation partielle
L'institution de l'arbitrage se heurte théoriquement
avec le droit d'un procès équitable. D'une part, par l'accord
d'arbitrage les parties montrent leur volonté commune2 de ne
pas recourir aux tribunaux étatiques. Autrement dit, ils n'ont plus
accès au juge étatique. D'autre part, l'essence de l'arbitrage
réside dans la confidentialité des débats. La question
essentielle qui se pose en matière d'arbitrage ou d'autres moyens de
résolutions de litiges, est celle de la légitimité de la
faculté des particuliers de renoncer a
http, cmisVp.echr.coe.int tVp197
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es&sessionid=1028q521&sVin=hudoc-fr (consulté le 29 janvier
2007).
1 Franz MATSCHER, << L&arbitrage et la
Convention, article 6 (suite) >>, in La Convention européenne des
droits de l'homme, Commentaire article par article, sous la direction de
Louis-Edmond PETTITI, Economica, 1995, p. 282.
2 La renonciation peut aussi due du comportement
d&une partie en cours de procédure. En matière
d&arbitrage, il est par exemple constant qu&une
partie s&abstenant, en cours de procédure, de faire
valoir une cause de récusation dont elle avait connaissance, ne peut
ensuite exciper de cette circonstance pour obtenir l&annulation
de la sentence. Une telle renonciation ne se heurte pas a l'article 6 dans la
mesure oü la CEDH considère que l&omission de
demander une audience publique équivaut a une renonciation tacite au
droit d&obtenir une telle audience et qu&un
<< requérant ne sauraitprétendre avoir des motifs de douter
de l'impartialité du Tribunal qui l''ajugé alors qu'il pouvait en
récuser la composition mais s'en est abstenu . CEDH, 22 février
1996, Bulut c. Autriche; CEDH, 26 septembre 1995, Diennet c. France. Les
arrêts sont disponibles sur
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2007).
leur droit a un tribunal et a la publicité des
débats, des éléments du droit a un procès
équitable et le principe de prééminence du droit dans une
société démocratique. Evidemment, la jurisprudence de la
Cour européenne montre, une certaine souplesse, tantôt au niveau
du droit d'accès a un tribunal, tantôt la publicité des
débats.
En premier lieu, dans l'arrêt Golder oü la Cour a
reconnu le droit a un procès équitable comme une composante du
principe de la prééminence du droit, elle a néanmoins
indiqué que le droit d'accès aux tribunaux n'est pas absolu.
S'agissant d'un droit que la Convention reconnaIt sans le définir au
sens étroit du mot, il y a place, en dehors des limites qui
circonscrivent le contenu même de tout droit, pour des limitations
implicitement admises ~1. De même, dans l'arrêt Deweer
c. Belgique après que la Cour a eu souligné que le droit a un
tribunal revêt cependant une trop grande importance dans une
société démocratique , elle a rappelé que le "droit
a un tribunal" n'est pas plus absolu en matière pénale qu'en
matière civile 2. Donc, il demeure possible que
les garanties procédurales puissent faire l'objet d'une renonciation de
la part des particuliers.
En deuxième lieu, dans l'arrêt Hakansson et
Sturesson c. la Suède du 21 février 1990 dans lequel la Cour
ajugé que ni la lettre ni l'esprit de l'article 6 de la Convention
n'empêchent une personne d'y renoncer de son plein gré, de
manière expresse ou tacite, mais que pareille renonciation doit
être non équivoque et ne se heurter a aucun intérêt
public important 3. La Cour européenne l'a
confirmé expressément
1 Godler c. Royaume Uni, op. cit., § 38.
2CEDH, 27 février 1980, Deweer c. Belgique,
Requête no 6 903/75, § 49, disponible sur
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es&sessionid=10283521&sVin=hudoc-fr (consulté le 29 janvier
2007). Dans cette affaire, la Cour avait considéré que la
renonciation au << droit a un tribunal>> en acceptant une
transaction pénale, était entachée de contrainte eu
égard a la disproportion flagrante entre les deux branches de
l'alternative offerte au requérant, soit la fermeture immédiate
de son commerce de boucherie (oü il avait offert en vente des viandes en
infraction avec la réglementation), soit le paiement d'une amende
pénale d'un montant même relativement modeste, a titre de
transaction.
3 CEDH, 21 février 1990, Hakansson et Sturesson c. la
Suède, requête no11855/85. V0 dans le
même sens notamment les arrêts Le Compte, Van Leuven et De Meyere
du 23 juin 1981, série Ano 43, p. 25, § 59, et H. contre
Belgique du 30 novembre 1987, série A no 127, p. 36, §
54; les arrêts rendus par la Cour plénière, en cause Pretta
et autres c. l'#talie du 8 décembre 1983, § 21 et Sutter c. la
Suisse du 22 février 1984, § 26, disponible sur
http, cmisVp.echr.coe.int tVp197
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2007).
dans l'affaire Albert et Le Compte c. la Belgique en jugeant
que telle que la consacre l'article 6, i de la Convention, la règle de
la publicité des audiences peut aussi céder parfois devant la
volonté de l'intéressé. Sans doute, la nature de certains
des droits garantis par la Convention exclut-elle un abandon de la
faculté de les exercer (...), mais il n 'en va pas de même de
certains autres ))6.
De la sorte, la nature relative du droit d'accès a un
tribunal et la possibilité de renonciation a la publicité des
débats rendant possible le recours a l'arbitrage ne demeurent pas
essentiellement contraire aux exigences de l'article 6 de la CESDH dans la
mesure oü ils ne heurtent a aucun principe fondamental ni aucun
intérêt public important2. Ainsi que l&a
affirmé depuis longtemps la Commission dans l'affaire X. c. RFA, que
<<la conclusion d'un compromis d'arbitrage entre particuliers s'analyse
juridiquement! en une renonciation partielle a l'exercice des droits que
définit l'article 6, §1 de la Convention, et (...) rien dans le
texte de cet article ni aucun autre article de la Convention n'interdit
expressémentpareille renonciation ))3.
Ce point de vue a été concrétisé
dans les affaires Beer et Regan c. Allemagne4 et Waite et Kennedy c.
Allemagne5. En l'espèce, les requérants,
employés par l'Agence spatiale européenne, avaient engagé
diverses actions devant les juridictions nationales allemandes contre leur
employeur, et s'étaient heurtés a une fin de non recevoir
tirée de
1 CEDH, 10 février 1983, Albert et Le Compte c. la
Belgique, § 35, et H. c. la Belgique du 30 novembre 1987 (§ 54),
disponible sur
http, cmisVp.echr.coe.int tVp197
vie..aspIitem=4&portal=hbVm&action=html&highlight=sunday`20`7C`20tim
es&sessionid=10283521&sVin=hudoc-fr (consulté le 15juin
2007).
2 Pierre LAMBERT, <<L'arbitrage et l'article 6 de la
convention européenne des droits de l'homme >>, in L'arbitrage et
la Convention européenne des droits de l'homme, Actes du
séminaire du 4 mai 2001 conçu par les institut des droits de
l'homme des barreaux de Paris et de Bruxelles et organisé par l'institut
de formation continue du barreau de Paris, sous la présidence de
Monsieur le bâtonnier Georges Flécheux, Bruylant 2001, p. 16.
3 Commission, 5 mars 1982, X. c. Allemagne, Rec. 8, p. 68,
cité par Alexis MOURRE, <<Le droit français de l'arbitrage
international face a la Convention européenne des droits de l'homme
>>, D., 2 décembre 2000, dossier spécial arbitrage, doctr.,
p. 2070.
4CEDH, 18 février 1999, Beer et Regan c.
Allemagne, disponible sur
http, cmisVp.echr.coe.int tVp197
vie..aspIitem=4&portal=hbVm&action=html&highlight=sunday`20`7C`20tim
es&sessionid=10283521&sVin=hudoc-fr (consulté le 15 juin
2007).
5CEDH, 18 février 1999, Waite et Kennedy c.
Allemagne, disponible sur
http, cmisVp.echr.coe.int tVp197
vie..aspIitem=4&portal=hbVm&action=html&highlight=sunday`20`7C`20tim
es&sessionid=10283521&sVin=hudoc-fr (consulté le 15 juin
2007).
l'immunité de juridiction de l'Agence. Après
avoir épuisé les voies de recours internes, les requérants
ont saisi les organes de Strasbourg (la Commission depuis la Cour), argument du
fait qu'ils étaient privés de leur droit d'accès a un
tribunal.
La Cour a rejeté les requêtes des demandeurs en
considérant que le droit d'accès aux tribunaux, reconnu par
l'article 6 § 1, n'est pas absolu : il se prête a des limitations
implicitement admises car il commande de par sa nature même une
réglementation par l'Etat. Les Etats contractantsjouissent en la
matière d'une certaine marge d'appréciation '. Le motif de cette
décision réside dans le fait que les demandeurs n'étaient
pas privés de toute voie de recours en droit internent dans la mesure
oü ils disposaient en effet <<de procédures adaptées
aux particularités d'une organisation internationale et, dès
lors, différentes des recours disponibles en droit interne >>. En
l'espèce, ces procédures consistaient en une commission de
recours indépendante établie par les statuts de l'Agence, de
même qu'en une action en réparation contre les
sociétés les ayant détachés auprès
d'elle.
L'intérêt de ces décisions est
d'établir que la notion de droit d'accès a un tribunal dispose
une vocation large. Elle se rapporte a l'accès a la justice, et non
seulement a l'accès a la justice étatique. Dès lors que
les demandeurs pouvaient saisir la Commission de recours de l'Agence, ceux-ci
disposaient d'un juge, et l'article 6 de la Convention n'était pas en
principe violé. Il est clair que le fait de choisir de soumettre un
litige a l'arbitrage est considéré comme une renonciation licite
aux garanties procédurales. Pourtant, le tribunal arbitral signifie un
tribunal qui droit rendre justice aux parties selon une procédure
équitable.
B. La nature de l'arbitrage comme un obstacle a
l'application de l'article 6 Les moyens alternatifs de
résolution des litiges, et plus précisément
l'arbitrage, sont marqués par le souci de la lenteur des
procédures judiciairesl. Cela, il demeure une certaine
liberté des parties en ce qui concerne la formalité du
déroulement des procédures extrajudiciaires. Or, cette
simplification procédurale ne signfie pas que l'institution
d'arbitrage est loin de la culture du procès équitable. Au
contraire, dans le
1 v° infra, chapitre ler, titre I.
cadre de l'arbitrage les garanties de bonne justice doivent
être entièrement respectées1. L'arbitrage, soit
international soit interne, bénéficie d'une procédure
simplifiée, a condition que soient respectés quelques grands
principes. Seront ainsi toujours applicables les garanties fondamentales de
bonne justice, l'égalité entre les parties, le principe du
contradictoire, l'indépendance et l'impartialité du tribunal
arbitral. Le procès arbitral est un procès qui offre toutes les
garanties du procès équitable que l'on connalt en matière
judiciaire, sauf qu'il n'est pas public et qu'il n'est pas
nécessairement gratuit. Bref, la procédure d'arbitrage a vocation
a respecter les garanties contenues a l'article 6 de la Convention
Européenne des Droits de l'Homme. D'oü vient la question de
l'utilité d'examiner l'application de l'article 6 a l'arbitrage.
En effet, comme le remarque le professeur Charles
Jarrosson2, la simple lecture du texte de la Convention
européenne des droits de l'Homme montre qu'il n'est pas fait mention de
l'arbitrage; cette institution était loin de constituer un pole
d'intérêt pour ses rédacteurs. Pour fonder son argument, le
professeur Charles Jarrosson appuie sur l'article 1er de la
Convention qui énonce que les Hautes Parties contractantes reconnaissent
a toute personne relevant de leurjuridiction les droits et libertés
définis au Titre 1er . Pour lui, cet article ne donne pas un
quelconque argument en faveur de l'application de la Convention a l'arbitrage.
Il estime que la Convention européenne des droits de l'Homme a surtout
entendu viser les libertés publiques et leur respect par les seules
juridictions étatiques. L'Etat est seulement responsable du
dysfonctionnement de ses organes investis de la mission de juger. Donc,
l'arbitrage doit s'écarter du champ d'application de la Convention dans
la mesure oü il ne fait partie des organes étatiques; ~ La
Convention s'applique donc ratione personae a l'Etat et ratione materiae a ses
man quements constatés dans l'organisation ou le fonctionnement de ses
juridictions, et non pas ratione loci, pour tout exercice d'une activité
juridictionnelle sur son territoire. Ce dernier chef d'application aurait
été le seul - s'il avait pu être retenu - a
1 C'est ce qu'énonce l'article 1460 du NCPC:
<<Les arbitres règlent la procédure arbitrale sans
être tenus de suivre les règles établies pour les
tribunaux, sauf si les parties en ont autrement décidé dans la
convention d'arbitrage. Toutefois, les principes directeurs du procès
énoncés aux articles 4 a 10, 11 alinéa 1er et
13 a 21 sont toujours applicables a l'instance arbitrale.>>
2 Charles JARROSSON, << L'arbitrage et la Convention
européenne des droits de l'homme >>, Rev. arb., 1989, p. 573-
607.
justifier l'application de la Convention a l'arbitre statuant sur
le territoire d'un Etat contractant ))1.
Cependant, le professeur Charles Jarrosson constate une
coexistence pacifique entre l'arbitrage et la Convention dans la mesure oü
les textes da la convention font partie de l'ordre public international: il
apparaIt de plus en plus clairement qu'il existe une incompatibilité
matérielle entre l'application de la Convention européenne des
droits de l'Homme, même en imaginant de la modifier, et l'arbitrage. En
revanche, rien ne s'oppose et mieux: tout concourt a ce que les arbitres
puissent et doivent s'inspirer des principes qu'elle établit, en ce
qu'ils sont constitutifs d'un ordre public réellement international.
Entre l'arbitrage et la Convention européenne des droits de l'Homme,
mieux vaut une coexistence pacifique concrétisée par
l'inspiration que les arbitres puiseront dans les préceptes de la
Convention, qu'une dépendance contre nature qui passerait par
l'application d'un texte a un domaine qui lui est étranger. Ainsi, il
est possible de respecter les droits de l'Homme sans renier l'essence
même de l'arbitrage ))2.
C'est vrai que la Convention ne fait nulle part mention des
mots <<arbitre>> ou <<arbitrage >>. Mais, il serait
cependant trop hâtif d'en rester là et d'en déduire qu'il
n'existe aucun rapport entre la Convention et l'arbitrage. La
spécificité de la CEDH réside en la présence d'un
organe juridictionnel supranational chargé de veiller a l'application de
la Convention par les Etats membres. Ces organes juridictionnels ont connu
effectivement un développement spectaculaire dans leur activité
et leur autorité. <<Ils ont rapidementfranchi le pas qui
sépare la simple fonction de contrôle et de stricte application du
droit et celle de création du droit ))3. A vari dire, la
Convention est devenue une oeuvre prétorienne oü la jurisprudence
de la CEDH marque non seulement la dimension des droits de l'homme dans les
Pays membres, mais le sens de la Convention elle-même. De même, il
serait contradictoire de considérer que la convention telle
qu'interprétée par ses organes juridictionnels exprimerait des
principes faisant partie d'un ordre public véritablement international,
tout en soutenant qu'elle resterait étrangère a l'arbitrage qui
fait partie de l'idée de la justice. A cet égard, on
( Charles JARROSSON, ibid., p. 581, n°i6.
2 Charles JARROSSON, ibid., p. 607, n°63.
3 Charles JARROSSON, op. cit., p. 575.
constate que les organes de Strasbourg s'intéressent au
fonctionnement de la justice et non pas a sa structure, ainsi qu'à une
procédure d'arbitrage, tantôt forcé, tantôt
volontaire.
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