TITRE II
L'APPRECIATION DU CARACTERE EQUITABLE DE LA
PROCEDURE UDRP SELON LE MODELE EUROPEEN
L'effet horizontal de la CEDH constitue une avancée
remarquable du champ d'application des droits de l'Homme. Ceux-ci
bénéficient désormais d'une protection contre les
violations provenant de personnes privées. La Cour européenne ne
pouvant trancher les litiges interpersonnels, l'effet horizontal repose sur le
mécanisme d'imputabilité intimement liée a la
théorie d'obligations positivesl. La notion de l'effet
horizontal2 consiste dans l'application de la convention dans les relations
privées et se perçoit comme une extension de l'ordre
conventionnel aux rapports interpersonnels. Cela suppose que le devoir du
respect des droits de l'homme ne s'applique pas seulement d'une manière
verticale entre les Etats membres et les individus, mais aussi d'une
manière horizontale aux particuliers entre eux. Ça concerne en
premier lieu le juge national et pas le juge européen3.
En d'autres termes, a l'inverse de l'effet vertical qui vise
les rapports entretenus entre les particuliers et l'Etat, et protége les
individus contre l'ingérence étatique, l'effet horizontal
concerne la relation nouée entre deux personnes privées, et
permet de protéger la sphere juridique des individus contre
l'ingérence individuelles. Cette avancée remarquable dans la
protection des droits de l'Homme peut emprunter deux voies, l'une
européenne, l'autre interne. La premiere est réalisée par
le vecteur des obligations positives qui impose aux Etats membres de
créer le cadre juridique adéquat a la réalisation des
obligations découlant de la convention. On peut ici parler d'un effet
horizontal indirect puisque la décision rendue par la juge
européen ne s'adresse pas aux personnes privées et ne
résout pas leur désaccord, mais est destinée a l'Etat, qui
acquiert
iFrédéric SUDRE, op. cit., p. 244.
2 La notion d'effet horizontal, inspirée de la doctrine
allemande de la drittwirkun, traduite selon les auteurs par << effet
réflexe >>, <<effet relatif>> ou <<effet
vis-à-vis des tiers>> vise l'effet produit par une norme au sein
des relations entre personnes privées, par opposition a l'effet vertical
dont la vertu est de protéger le cito yen contre toute immixtion des
autorités étatiques dans l'exercice du droit garanti .
Béatrice MOUTEL, L'effet horizontal de la Convention européenne
des droits de l'homme en droitprivéfrancais; Essai sur la diffusion de
la CEDH dans les rapports entre personnes privées, These de doctorat
sous la direction du professeur Jean-Pierre MARGUENAUD, soutenu le 5 novembre
2006, FACULTE DE DROIT ET DES SCIENCES ECONOMIQUES, UNIVERSITE DE LIMOGES.
3 Il faut remarque que devant la Cour européenne, le
contentieux confronte nécessairement un Etat a un ressortissant,
l'examen des litiges privés étant exclu de la compétence
des organes Conventionnels.. Selon l'article 34 <<La Cour peut être
saisie d'une requête par toute personne physique, toute organisation non
gouvernementale ou tout groupe de particuliers qui se prétend victime
d'une violation par l'une des Hautes Parties contractantes des droits reconnus
dans la Convention ou ses protocoles >>.
ainsi un role d'intermédiaire. Le fondement de la
responsabilité de l'Etat se situe dans l'article 1 de la convention, qui
stipule que chaque Etat contractant reconnalt a toute personne relevant de leur
juridiction les droits et libertés définis au titre I de la
présente Convention ».
La seconde relève du juge national qui va puiser au
ccur du droit européen l'inspiration nécessaire pour
résoudre les litiges entre personnes privées, afin de mettre en
application les obligations imposées a l'Etat. Il est mis en cuvre par
les juridictions internes et permet certes de résoudre les
différends privés, qualifiés d'horizontaux, mais cette
application n'est possible que lorsque la Convention bénéficie
d'un effet direct dans leur ordre juridique. En effet, l'enjeu de l'effet
horizontal permet d'étendre l'autorité et la diffusion de la
Convention européenne des droits de l'Homme dans l'ordre juridique
interne des pays membres.
L'arrêt X et Y contre Pays-Bas1 du 26 mars
1985 est présenté comme le premier a avoir explicitement reconnu
l'effet horizontal de la CEDH. L'affaire concernait l'impossibilité
d'engager des poursuites pénales contre l'auteur d'une agression
sexuelle, la législation nationale limitant les conditions d'action. La
Cour a énoncé que l'Etat doit adopter des mesures visant au
respect de la vie privée jusque dans les relations des individus entre
eux , formule depuis lors classique. En l'espèce, la violation du droit
au respect de la vie privée (art.8) était d'origine privée
mais l'Etat n'avait pas adopté une législation criminelle
permettant de poursuivre l'auteur des violences. La Cour considère en
conséquence qu'il aurait dii remédier a la situation. La
dimension horizontale de cette décision, unanimement reconnue, a abouti
a une pénétration de l'application des droits proclamés
par la convention dans un champ très vaste des relations privées
: art. 2 (droit a la vie)2, art. 3 (interdiction de la torture et
des peines ou traitements inhumains ou dégradants)3, art. 4
(interdiction de l'esclavage et du travail forcé)1, art. 5
§ 1, première
1CEDH, 26 mars 1985, Xet Yc. Pays-Bas, requête
no 8978/80, § 23, disponible sur
http: cmiskp.echr.coe.int tkp197
vie..asp?item=37&portal=hbkm&action=html&highlight=e%20%7C%20et%20%
7C%20Y%20%7C%20contre%20%7C%20Pays-Bas&sessionid=959369&skin=hudoc-fr
(consulté le 15 juin 2007). 2CEDH, Gde Ch., arrêt
Osman c. Royaume-Uni du 28 octobre 1998, requête n° 23452/94, §
115, disponible sur
http://cmiskp.echr.coe.int/tkp197/search.asp?sessionid=959369&skin=hudoc-fr
(consulté le 15 juin 2007). 3CEDH, arrêtA. c.
Royaume-Uni du 23 septembre 1998, requête n° 25599/94, § 22,
disponible sur
http://cmiskp.echr.coe.int/tkp197/search.asp?sessionid=959369&skin=hudoc-fr
(consulté le 15 juin 2007).
phrase (droit a la liberté et a la
siireté)2, art. 8 (droit au respect de la vie privée
et familiale)3, art. 9 (liberté de pensée, de
conscience et de religion)4, 10 (liberté
d'expression)5, art .11 (liberté de réunion et
d'association)6, art. 14 (interdiction de la
discrimination)7 de la Convention et pour l'article 1 du Protocole
additionnel (droit au respect des biens)8.
Sans aucun doute, le role grandissant de l'effet horizontal de
la Convention est dii a l'interprétation novatrice de la CEDH. Il est
désormais acquis que l'individu peut bénéficier d'une
protection non plus seulement contre les autorités publiques mais
également contre les autres particuliers. La justification d'une telle
solution se retrouve dans le fait que les rédacteurs de la Convention
ont manifestement envisagé que l'exercice des prérogatives
reconnues ne se limite pas aux relations entre les Etats et leurs
ressortissants mais qu'il est susceptible d'avoir des incidences sur les autres
particuliers. Ainsi, plusieurs droits consacrés par la Convention, (ex;
le droit au respect de la vie privée et familiale, la liberté de
manifester sa religion ou ses convictions, la liberté d'expression, la
liberté de réunion et d'association, ou la liberté de
circulation), peuvent faire l'objet de restrictions qui, prévues par la
loi, sont nécessaires << a la
1 L'arrêt Siliadin c. France du 26 juillet 2005,
requête n° 733 16/01. En l'espèce, la Cour a
considéré que la requérante, mineure et en situation
irrégulière a l'époque des faits, avait été
tenue en état de servitude par le couple l'ayant accueillie et n'avait
pas été protégée de manière concrète
et effective par le droit pénal français. JCP 2005, II, 10142,
note Frédéric SUDRE ; AJDA 2005, p. 1890, obs.
Jean-François FLAUSS ; disponible sur
http://cmiskp.echr.coe.int/tkp197/search.asp?sessionid=959369&skin=hudoc-fr
(consulté le 15 juin 2007). 2CEDH, arrêt Storck c.
Alleinagne du 16 juin 2005, requête n° 61603/00, disponible sur
http://cmiskp.echr.coe.int/tkp197/search.asp?sessionid=959369&skin=hudoc-fr
(consulté le 15 juin 2007). 3CEDH, arrêt X et Y c.
Pays-Bas du 26 mars 1985, précité.
4 CEDH, arrêt Kokkinakis c. Grèce du 25 mai 1993,
§ 33; CEDH, décision, Pichon et Sajou c. France du 2 octobre 2001,
requête n° 49853/99, disponible sur
http://cmiskp.echr.coe.int/tkp197/search.asp?sessionid=959369&skin=hudoc-fr
(consulté le 15 juin 2007).
5CEDH, arrêt Fuentes Bobo c. Espagne du 29
février 2000, requête 39293/98, § 38, CEDH, décision,
Pichon et Sajou c. France du 2 octobre 2001, requête n° 49853/99,
disponible sur
http://cmiskp.echr.coe.int/tkp197/search.asp?sessionid=959369&skin=hudoc-fr
(consulté le 15 juin 2007). 6CEDH, arrêt Plattforin
"Arztefar das Leben" c. Autriche du 21 juin 1988, disponible sur
http://cmiskp.echr.coe.int/tkp197/search.asp?sessionid=959369&skin=hudoc-fr
(consulté le 15 juin 2007). 7CEDH, arrêt Pla et
Puncernau c. Andorre du 13 juillet 2004, requête n° 69498/01,
disponible sur
http://cmiskp.echr.coe.int/tkp197/search.asp?sessionid=959369&skin=hudoc-fr
(consulté le 15 juin 2007). 8CEDH, arrêt
Sovtransavto Holding c. Ukraine du 25 juillet 2002, requête n°
48553/99, § 96, disponible sur
http://cmiskp.echr.coe.int/tkp197/search.asp?sessionid=959369&skin=hudoc-fr
(consulté le 15 juin 2007).
protection des droits et libertés d'autrui >>.
Les Etats membres peuvent donc être amenés a intervenir dans les
relations interindividuelles, c'est a dire horizontales1, pour
garantir les droits protégés. De même, en interdisant
l'abus de droit (art. 17) 2, le texte européen
vise directement les violations qui peuvent être commises par les
personnes privées, individuellement ou collectivement.
Cette création prétorienne a conduit aux
bouleversements dans l'ordre juridique national, y compris dans le domaine du
droit des affaires3 ; un domaine oü les juristes n'envisagent
principalement le droit européen que sous l'angle du droit communautaire
et dans sa dimension purement économique. Rappelons que la seule
garantie économique apportée par la convention étant a
proprement parler le droit au respect des biens. Grace a l'enjeu de l'effet
horizontal, on constate maintenant une importance considérable de la
convention dans le domaine économique et financier4, le droit
de la concurrence5, le droit de l'entreprise6, ou le
droit du contrat7. Or. L'innovation la plus
1 Béatrice MOUTEL, op. cit., p. 22.
2 L'article 17 indique qu' aucune des dispositions de la
présente Convention ne peut être interprétée comme
impliquant pour un Etat, un groupement ou un individu, un droit quelconque de
se livrer a une activité ou d'accomplir un acte visant a la destruction
des droits ou libertés reconnus dans la présente Convention ou a
des limitations plus amples de ces droits et libertés que celles
prévues a la dite Convention .
3 Jean-François RENUCCI, <<Le droit des affaires,
domaine nouveau du droit européen des droits de l'homme >>, Droit
et Patrimoine, n° 74, septembre 1999, p. 64-66; Cathy LECIERE, <<
Réflexion sur l'incidence de la Cour européenne des droits de
l'homme sur le droit des affaires >>, Droit et Patrimoine, n° 74,
septembre 1999, p. 67-72; Jean-François FLAUSS, <<La Convention
européenne des droits de l'homme; une nouvelle interlocutrice pour le
juriste d'affaires >>, RJDA, 1995, p.524 et s.
4 J. DUFFAR, <<La protection des droits
économiques par la Convention européenne de sauvegarde des droits
de l'homme et des libertés fondamentales >>, GAZ. Pal., 1995, 2,
doct., p.1105; P. DOURNEAU-JOSETTE, <<Les acteurs économiques le
juriste d'affaires et la Convention européennes des droits de l'homme
>>, Dalloz affaires, 1998, p. 610 ets.
5 X. A. de MELLO, <<Droit de la concurrence et droits de
l'homme >>, RTD. eur., 1993, p. 601 et s. ; V° dossier
spéciale sur la concurrence, droits et libertés fondamentaux face
au droit de la concurrence, 26 janvier 1995, Rev. conc. consom., 1995, n°
86.
6 Sachons les personnes morales de droit privé sont
titulaire des droits fondamentaux comme les personnes physiques au sens de
l'article 34 de la CESDH ou comme l'article 1er du protocole n°
1 qui provoque expressément du droit <<les personnes physiques ou
morales >>, Yves GUYON, << Droits fondamentaux et personnes morales
de droit privé >>, in Les droits fondamentaux, AJDA, 1998, n°
spécial, p. 136 et s.
7 Jean-Pierre MARGUENAUD, <<L'influence de la Convention
européenne des droits de l'homme sur le droit français des
obligations >>, in Le renouvellement des sources du droit, LGDJ, 1997, p.
45 et s.; J. MESTRE, <<Formation ou (contenu) des contrats et Convention
européenne des droits de l'homme >>, RTD. civ., 1992, p.88,
n°9 ; Anne DEBET,
spectaculaire dans la matière est l'application des
garanties procédurales de la CESDH aux relations
d'affaires1.
En adoptant la nature patrimoniale du droit en cause comme
critère d'applicabilité de l'article 6 dans son volet civil, la
CEDH a progressivement appliqué la Convention dans plusieurs litiges
relatifs au droit des affaires. Toutefois, la question se pose pour savoir si
ce prolongement jurisprudentiel peut aussi s'appliquer aux droits
procéduraux tel que le droit a un procès équitable.
Autrement dit, est-ce que l'article 6 peut bénéficier de l'effet
horizontal et se retrouver appliqué dans les rapports entre particuliers
dans le cadre de procédure d'arbitrage ou médiation? La
réponse a cette question nous conduit revenir sur les frontières
de l'article 6 et pourrait trouver un nouveau champ d'application dans le cadre
des moyens extrajudiciaire de résolution de litige?
Pour répondre a ces questions, notre analyse sera
centrée sur l'article 6 et l'arbitrage puisque les organes de Strasbourg
ont eu l'occasion de trancher sur l'articulation entre l'institution de
l'arbitrage et la CESDH. L'arbitrage est-il étranger au champ
d'application de l'article 6 §1 de la Convention européenne des
droits de l'homme et les garanties d'un procès équitable lui
sont-elles applicables? Telle est la question posée. Pourtant, on devra
bien constater que la jurisprudence européenne est assez pauvre et que
les quelques décisions rendues n'ont pas constamment la cohérence
que l'on serait en droit d'espérer, en tous cas lorsqu'il s'agit de
l'arbitrage volontaire.
A vrai dire, cette question nous offre a cet égard,
l'occasion de s'interroger sur la place de l'article 6 de la Convention non
seulement au regard de l'arbitrage, mais plus généralement au
regard de la voie extrajudiciaire (chapitre i), y compris la procédure
UDRP (chapitre 2).
L'influence de la Convention européenne des droits de
l'homme sur le droit civil, Thèse du doctorat, soutenu le 5 janvier
2001, Nouvelle Bibliothèque de thèses, 2002.
1 Natalie FRICERO, << Nouvelles applications de la CESDH
aux procédures adaptées aux affaires >>, Droit et
Patrimoine, no 74, septembre 1999, p. 73-78.
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