Paragraphe II : La règle du service fait
La règle du service fait revêt une importance
capitale dans le cadre du contrôle de la régularité des
opérations budgétaires. Cette règle, qui régit les
relations entre l'administration publique et ses fournisseurs ou prestataires
de services, constitue un pilier essentiel de la gestion transparente et
efficace des ressources publiques au niveau local.
Cependant, cette règle est non absolue dans la mesure
où elle est assortie de quelques dérogations. C'est la raison
pour laquelle nous examinerons la consistance de la règle du service
fait (A), et les exceptions (B) à
ladite règle.
A - La consistance de la règle du service
fait
La règle du service fait, édictée par le
seul règlement général de la comptabilité publique,
interdit, en principe, les paiements des dépenses publiques avant que
les bénéficiaires aient exécutés les prestations
qui en sont les contreparties265. Comme on n'ose pas la qualifier de
principe général de droit - ce qu'elle n'est pas - on appelle la
règle du service fait, dans la littérature administrative, «
règle fondamentale de la comptabilité publique »,
« pilier fondamental du droit de la comptabilité publique
»266, « pièce maîtresse du droit
public financier »267, etc. Les expressions ne manquent
pas pour dire son importance, même si cela ne dit rien sur sa
portée ni son insertion dans la hiérarchie des normes.
Naturellement, aucun texte ne définit ce qu'est le
« service fait ». Mais la notion même de « service fait
» trahit l'origine de cette expression : le service dont il est question
est celui du fonctionnaire, ou plus généralement l'agent public :
c'est une « règlementation déjà ancienne et
confirmée par le statut général comme par les principes de
la comptabilité publique »268. Le fonctionnaire
fait son service, on le paie, il ne le fait pas...en principe, on ne le paie
pas. C'est d'ailleurs en matière de fonction publique que la
règle de service fait donne lieu à l'essentiel de la
jurisprudence et des écrits doctrinaux. Mais, même en
matière de
265 CLAMOUR (Guylain), TERNEYRE (Philippe), Financement et
contrats publics, éd. Cream, p. 32.
266 LEFEBVRE (Barbara), Une règle d'or de la
comptabilité publique : le paiement après service fait, Rev.
Trésor, 1995, p. 667.
267 AMSELEK (Pierre), Une instruction en clair - obscur :
la règle du service fait. Mélanges en l'honneur de P - M.
GAUDEMET, Economica, 1984, p.421.
268 PLANTEY (Alain), La Fonction Publique, Traité
Général, Litec, 2e éd., 2001,
no 1235.
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Cameroun
fonction publique, la règle est tout sauf simple : le
service partiellement fait, le service mal fait, le service impossible, etc.,
donnent lieu à des discussions montrant que la notion de service fait
n'est pas aussi manichéenne qu'il paraît. Le Professeur AMSELEK a
pu parler à son sujet d' « institution en clair - obscur
».
Toute théorique, quel que soit sa pertinence, n'a de
réelle importance qu'une fois traduite dans la réalité
concrète quotidienne269. C'est ainsi que la
régularité formelle tire toute sa pertinence lorsqu'elle est
traduite sur le plan matériel ou lorsqu'elle est effective.
Et comme la précision en vaut la règle, il n'est
pas exagéré de préciser que, le contrôle de
l'effectivité a toujours existé au Cameroun contrairement
à ce beaucoup le faisaient remarquer. Ce contrôle n'était
pas seulement trop développé. Les récentes réformes
des finances publiques270 engagées par les autorités
camerounaises ont davantage milité dans le sens de renforcement du
contrôle de l'effectivité de la dépense publique. Autrement
dit, le contrôle de la régularité substantielle ou
matérielle n'était pas trop ressenti jusqu'à une date
récente. En dépit de la forte concentration du système de
contrôle des finances publiques camerounaises au contrôle de la
régularité, les récentes réformes ont pu instaurer
plus que par le passé, un mariage assez serré entre le
contrôle de la régularité formelle et le contrôle de
la régularité matérielle271 ou
d'effectivité. C'est d'ailleurs une bonne
homogénéité entre le formel et le matériel dans la
mesure où, le respect des règles de forme n'exclut pas la
violation de celles de fond. Pour dire autrement, le respect des règles
formelles peut mettre un pan de voile sur des irrégularités dans
la réalisation physique272 de la dépense.
L'effectivité matérielle ou le service fait, est
donc une investigation qui vise pour le contrôleur de se rassurer que la
prestation qui a présidé à l'initiative de la
dépense publique a été bel et bien
réalisé273. Ainsi, les contrôleurs doivent,
avant toute certification ou liquidation, s'assurer que les prestations et les
livraisons constituent l'équivalent réel des sommes à
décaisser et qu'elles ont été effectivement
exécutées selon les règles de l'art274. Le
contrôle de conformité matérielle vise donc une
proportionnalité entre les prestations et les sommes à
269 HASSANA (Barnabas), « L'évolution des
finalités du contrôle de la dépense publique au regard des
nouvelles réformes de finances publiques camerounaises »,
op.cit., p. 1231.
270 Voir à cet effet l'article 2 de la loi
no 2007/006 du 26 décembre 2007 portant régime
financier de l'État du Cameroun (dont le régime de 2018 n'a pas
explicitement abrogé).
271 BILOUNGA (Steve - Thiery), op.cit., p. 320.
272 Ibid.
273 Idem., p. 341.
274 Idem.
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Cameroun
décaisser. Mais en sus de cela, ce contrôle a
aussi pour objectif le respect des standards qualitatifs.
La règle du service fait ne voudrait pas tout
simplement signifier la réalisation physique d'un ouvrage ou d'une
prestation. Autrement dit, la livraison d'un bien ou la prestation de service
à elles seules ne suffisent pas pour parler
d'effectivité275. Il y a effectivité si et seulement
s'il existe une équivalence entre le service rendu et la quantité
ou le montant des crédits à sortir de la fortune
publique276. Ainsi donc, contrôler l'effectivité
signifie tout d'abord, s'assurer que les prestations ou services
réalisés sont équivalents des sommes que l'on
apprête à sortir des caisses de l'État ou des CTD.
Ainsi, le but n'est pas d'appauvrir l'agent qui rend service
à l'État ou à la collectivité territoriale par la
réalisation des prestations, ni de l'État ou de la CTD qui
bénéficie des prestations et paie la créance ainsi
générée. Mais qu'il y a une sorte d'égalité
ou équivalence entre les sommes et les prestations afin qu'aucune des
parties ne soit lésée.
Le contrôle du respect des standards qualitatifs se
justifie par le fait que, dans certaines situations et qui est d'ailleurs
récurent au Cameroun, d'importantes sommes d'argent étaient
décaissées sans une quelconque prestation en
contrepartie277. On dira alors que le contrôle de
l'effectivité a un double objectif. En dehors du fait qu'il doit veiller
à l'équivalence, il doit également assurer que les
prestations ont été physiquement réalisées selon
les règles de l'art278. Notamment en respectant les
critères et standards qualitatifs en rapport avec la réalisation
des ouvrages ou des services des CTD.
Même si la règle du service fait est prise en
compte par le comptable public, celle - ci demeure cependant assortie de
dérogation.
B- Les exceptions à la règle du service
fait
La règle du service fait dans le cadre du
contrôle de l'exécution du budget des CTD au Cameroun stipule que
les paiements ne peuvent être effectués que pour des services
réellement fournis, des travaux effectivement réalisés, ou
des biens effectivement livrés. Cependant, il existe des exceptions
à cette règle pour répondre à certaines
situations
275 HASSANA (Barnabas), op.cit., p. 1231.
276 Ibid.
277 Idem., p. 1232.
278 Guide Pratique du contrôle budgétaire
élaboré par la Direction Générale du Budget,
version de mars 2002, p.
40.
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Cameroun
spécifiques. Si la règle du service fait
était aussi simple que d'aucuns le prétendent et si elle avait la
valeur quasi - constitutionnelle (puisqu'il est question de protection des
derniers publics) que les comptables publics lui prêtent sans le dire,
alors on n'y toucherait qu'avec stupeur et tremblements279. On le
fait au mieux par voie règlementaire - qui est effectivement le niveau,
dans la hiérarchie des normes, auquel cette supposée «
règle d'or » se situe - mais aussi et surtout par de simples
circulaires et autres directives émanant de la direction de la
comptabilité publique ou visées par elle280.
Au titre des aménagements textuels, on trouve
naturellement le régime des avances du Code des marchés
publics281, les acomptes, les dépenses d'urgence et les
indemnités et autres dépenses obligatoires.
En ce qui concerne les avances, elles peuvent être
accordées aux prestataires, fournisseurs, ou entrepreneurs dans le cadre
des marchés publics pour faciliter l'exécution des travaux, la
fourniture de biens ou de services. Ces avances sont généralement
prévues dans les termes du marché et sont remboursables sur les
paiements futurs.
S'agissant des acomptes, ils peuvent être versés
en cours d'exécution des marchés publics, sur la base des
prestations partiellement réalisées, après
vérification et certification par les services compétents.
En cas d'urgence ou de force majeure, des dépenses
peuvent être engagées et payées avant la réalisation
complète du service ou la livraison des biens. Cela inclut les
situations d'urgence, les catastrophes naturelles, ou tout autre
évènement nécessitant une intervention
rapide282.
Concernant les indemnités et autres dépenses
obligatoires, certaines dépenses comme les indemnités, les
pensions, et les traitements des agents publics peuvent être
payées sans exigence préalable de service fait283.
Cependant, lorsque les règles régissant la
régularité des opérations budgétaires ne sont pas
respectées, la responsabilité des agents publics (agents publics
internes aux CTD) chargés de l'exécution et du contrôle
budgétaire local peut être engagée.
279 CLAMOUR (Guylain), TERNEYRE (Philippe), Financement et
contrats publics, op.cit., p. 36.
280 Ibid.
281 Idem.
282 Idem.
283 Idem.
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Cameroun
SECTION II : L'ENGAGEMENT DE LA RESPONSABILITE DES
AGENTS PUBLICS DU FAIT DES IRREGULARITES
L'engagement de la responsabilité des agents publics en
raison des irrégularités budgétaires constitue un sujet
d'une importance capitale dans le domaine de la gestion des finances publiques.
Cette question soulève des enjeux majeurs en termes de transparence,
d'intégrité et de bonne gouvernance. Fondée sur des
principes juridiques stricts, cette responsabilité est encadrée
par des mécanismes de contrôle rigoureux et peut entraîner
des conséquences sévères pour les agents fautifs.
Ainsi, il convient d'analyser d'une part, la
responsabilité financière et budgétaire des agents publics
des CTD (Paragraphe I), et d'autre part, la
responsabilité pénale des agents publics du contrôle de
l'exécution du budget des CTD (Paragraphe II).
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