Le contrôle de l'exécution du budget des collectivités territoriales décentralisées au camerounpar Fabien Félicien Prosper NOAH AWONO Université de Yaoundé II - Master en Théorie et Pluralismes Juridiques 2023 |
A- LE CADRE CONTEXTUELLe contrôle de l'exécution du budget des CTD au Cameroun s'inscrit dans un cadre à la fois politique (1) et juridique (2). Politiquement, le Cameroun a entrepris une décentralisation pour renforcer la gouvernance locale et favoriser le développement local. Juridiquement, le foisonnement des textes relatifs à la décentralisation définit les règles de gestion financière et les mécanismes de contrôle des CTD. 9 YATTA (François Paul), « La gestion des finances locales en Afrique : Convergence et Divergence des systèmes », RAFL, éd. 2014, pp. 2 - 35. 10 OWONA (Joseph), La décentralisation camerounaise, L'Harmattan Cameroun, 2011, p. 62. 11 LAKENE DONFACK (Charles - Étienne), Finances publiques camerounaises, Paris, Berger-Levrault, mars 1987, p. 16. 5 Le contrôle de l'exécution du budget des Collectivités Territoriales Décentralisées au Cameroun 1- Le contexte politiqueLe contrôle de l'exécution du budget des collectivités territoriales décentralisées au Cameroun s'inscrit dans un contexte politique marqué par la décentralisation et la gouvernance locale. Depuis les années 1990, le Cameroun a entrepris des réformes visant à renforcer le pouvoir et l'autonomie des collectivités locales, notamment en matière de gestion budgétaire. Cependant, ces réformes sont confrontées à des défis tels que la corruption, le manque de transparence et de capacités institutionnelles. Le contrôle de l'exécution du budget est donc crucial pour garantir une gestion transparente et efficace des ressources au niveau local, dans un contexte où la gouvernance et la reddition des comptes sont des enjeux majeurs. Les lois constitutionnelles révisées des pays d'Afrique noire francophone12 ont singulièrement bouleversé la conception de l'autonomie locale en matière de décentralisation territoriale dans un État unitaire de type classique. Elles devancent en cela la révision de la Constitution française du 4 octobre 1958, dont on connaissait déjà l'ampleur de l'influence enregistrée sur le constitutionnalisme africain. Ce constat sonne opportunément le glas d'une opinion fort répandue, bien que décriée par certains, selon laquelle « l'étendue des droits africains, en ce domaine (constitutionnel) comme en droit public en général, serait de peu d'intérêt, car ils ne représentaient que de simples prolongements des droits des pays industrialisés et plus spécialement des anciennes métropoles. Ces droits ne seraient en outre que le produit d'une influence générale et omniprésente de modèles et conceptions élaborés ailleurs, en ce sens qu'ils auraient la caractéristique d'être sans réel impact, le mimétisme contribuant à leur ineffectivité, leur principal office étant de remplir des fonctions purement symboliques13 ». Contre toute attente donc, outre son originalité sur des points tels que la protection des minorités et des autochtones, le statut des religions, le constitutionnalisme africain des années 1990 est marqué par l'existence d' « écritures de la Constitution propres à ces groupes de pays qui font que les questions constitutionnelles sont élaborées de façon identique : les Constitutions sont rédigées selon un même type de plan, les compétences sont définies selon une même grille de répartition, les institutions communes s'y retrouvent systématiquement, les mêmes absences st silences s'y répètent. Autant d'éléments qui créent entre les textes français et ceux des États 12 On peut citer la loi constitutionnelle du 18 janvier 1996. 13 DU BOIS DE GAUDUSSON (Jean), « Le constitutionnalisme en Afrique », in Les constitutions africaines publiées en langue française, Bruylant, 1978, p. 3. 6 Le contrôle de l'exécution du budget des Collectivités Territoriales Décentralisées au Cameroun de succession française un effet de familiarité14 ». De ces « airs de famille, particularismes religieux, sociaux ou juridiques15 », on pourrait même dire, qu'il se dégage un ensemble cohérent tendant vers un arrimage aux normes de droit constitutionnel contemporain dans le monde. En effet, à l'instar de la France depuis 1946, plusieurs pays d'Afrique noire francophone et Madagascar reconnaissent pour la première fois dans leurs Constitutions, l'existence des collectivités territoriales décentralisées à deux ou trois niveaux, comme entités juridiques autonomes faisant partie intégrante de leurs territoires. Certaines lois fondamentales révisées de ces pays s'ouvrent en général par une disposition liminaire commune qui proclame le caractère « unitaire et décentralisé » de la République16. Au Cameroun, les acteurs du processus de décentralisation mettent en oeuvre leurs activités dans le respect de l'unité nationale, de l'intégrité du territoire et de la primauté de l'État. Cette première orientation législative est une donnée fondamentale de notre pays, où la tentation sécessionniste s'est parfois manifestée d'une manière plus ou moins sérieuse. L'histoire de la décentralisation au Cameroun est antérieure à l'indépendance du pays. Les premières communes de Yaoundé et de Douala ont été créées en 1941. La loi no 96/06 du 18 janvier 1996 portant révision de la Constitution du 02 juin 1972 qui a donné une impulsion nouvelle et un rôle accru et déterminant à la décentralisation pour améliorer et dynamiser le développement politique, social et économique au Cameroun. Au sens de cette loi, deux dispositions pertinentes peuvent servir d'assises normatives et précisément constitutionnelles du droit public financier local. En premier lieu, l'on peut se référer à l'article 2 du titre premier de cette loi constitutionnelle qui dispose que : « La République du Cameroun est un État Unitaire décentralisé17 ». Cette disposition constitutionnelle, ne dissimule aucune ambiguïté au sujet de la forme et du mode d'organisation administrative de l'État. Il s'agit clairement de la décentralisation administrative, à l'exclusion de la décentralisation politique. La décentralisation administrative postule non seulement l'autonomie administrative, mais aussi l'autonomie financière des CTD. Plus loin, au terme du titre X, consacré aux CTD, le constituant camerounais détermine, non seulement la nature des collectivités territoriales, mais également, les principes fondamentaux régissant ces démembrements infra - étatiques, 14 Ibid. 15 Ces expressions sont de Martine Viallet et Didier Maus, « Préfaces », in Les constitutions africaines publiées en langue française, op.cit., p. 2. 16 Art. 2, Loi constitutionnelle du Cameroun ; Art. 1er (nouveau) de la loi constitutionnelle de la France. 17 Art. 2 de la loi constitutionnelle du 18 janvier 1996. 7 Le contrôle de l'exécution du budget des Collectivités Territoriales Décentralisées au Cameroun ainsi que les missions qui leurs sont dévolues. Tel est l'objet de l'article 55 de cette loi constitutionnelle. Au Cameroun, l'autonomie financière qui constitue un versant constitutionnel de la libre administration des CTD comprend l'autonomie fiscale et l'autonomie budgétaire. L'autonomie financière constitue une condition de réalisation de la décentralisation. S'agissant particulièrement de l'autonomie budgétaire, les CTD camerounaises bénéficient depuis l'avènement de la décentralisation, d'un certain nombre de prérogatives en matière de recettes et de dépenses. Ces prérogatives ne leur confèrent pas une réelle autonomie18. Elles ne mettent en oeuvre qu'un pouvoir budgétaire que leur confère la loi19. Ce pouvoir, bien qu'affirmé par le législateur reste strictement encadré au point où l'on s'interroge sur la pertinence de la liberté des collectivités territoriales en matière budgétaire20. La gouvernance est l'un des enjeux de la décentralisation. On décentralise parce qu'il y a des problèmes de gestion au niveau central qui empêchent l'État de répondre aux besoins des citoyens. Mais, si on n'anticipe pas sur les risques d'exclusion, de corruption, de confiscation du pouvoir local, la décentralisation peut simplement signifier transférer les problèmes du niveau central vers le niveau local sans pour autant les résoudre. Le Cameroun en général et les CTD en particulier n'ont pas échappé à cette préoccupation du contrôle car leurs finances ont été confrontées à plusieurs maux : mauvaise gouvernance et détournements de derniers publics ont sans nul doute accentué la problématique de la qualité et de l'efficacité des mécanismes de contrôle. Nous avons encore en mémoire le classement de l'ONG Transparency International, qui a classé le Cameroun deux fois champion du monde de la corruption21. Notre étude s'insère dans un contexte politique marqué par des scandales de la corruption, de détournement de derniers publics et de mauvaise gestion qui se répandent, au sein des régions et des communes comme une traînée de poudre. C'est pourquoi, le législateur camerounais consacre des modalités de contrôle de l'exécution du budget des CTD afin de « tordre le cou » aux irrégularités survenues dans le processus de l'exécution de la dépense publique locale. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle « La fonction de contrôle des finances publiques est devenue un des standards du droit et de la gestion des finances publiques dans le monde22 ». En gros, le contexte politique de cette 18 MONGBAT (Alassa), DJODA (Jean-Marc), « Recherche sur le pouvoir budgétaire des collectivités territoriales décentralisées en droit public financier camerounais », IMJST, Vol. 5, 2020, pp. 2203-2217, p. 2203. 19 Ibid. 20 Idem. 21 Classement de l'ONG Transparency International de 1998 et 1999, « https://issue.com/tranparency-international/docs »/CPI - 1998, 1999. Lire Claude Assira, « Procès et procédures : état de non droit permanent », in sous la direction de Charlie Gabriel MBOCK, L'opération épervier au Cameroun, un droit d'injustice, éd. Kiyikant, octobre 2011, p. 49 et s. 22 MÉDÉ (Nicaise), Finances publiques Espace UEMOA/UMOA, Sénégal, L'harmattan, 2016, p. 323. 8 Le contrôle de l'exécution du budget des Collectivités Territoriales Décentralisées au Cameroun étude sur le contrôle de l'exécution du budget des CTD au Cameroun est marqué par les défis persistant en matière de gestion financière et de gouvernance au niveau local. Dans un pays où la décentralisation est un pilier de la gouvernance publique, le contrôle efficace de l'exécution du budget revêt une importance cruciale pour assurer la transparence, la responsabilité et l'efficacité dans l'utilisation des ressources publiques. Le contexte politique, économique et institutionnel du Cameroun influence directement les mécanismes et les pratiques de contrôle budgétaire au niveau des CTD, et met en lumière l'urgence d'une analyse approfondie de ces processus. La dynamique complexe entre l'État et les collectivités locales, les ressources financières limitées et la pression croissante pour répondre aux besoins des populations sont autant de facteurs qui façonnent le contexte dans lequel s'inscrit cette étude. En comprenant pleinement le contexte spécifique dans lequel s'opère le contrôle de l'exécution du budget du Cameroun, cette étude vise à fournir des recommandations pragmatiques adaptées pour renforcer les mécanismes de contrôle et améliorer la gestion financière des collectivités territoriales décentralisées. |
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