La CPI et la lutte contre l'impunité des crimes internationauxpar Berger-Le-Bonheur RAWAGO Institut Supérieur de Droit de Dakar - Master 2 Droit Public 2023 |
Chapitre 2 : Un mode de fonctionnement fondé sur le Statut de RomeDepuis l'entrée en vigueur du Statut de Rome en 2002, la Cour pénale internationale n'a cessé d'oeuvrer à la promotion de la coopération, de la complémentarité et de l'universalité comme composantes essentielles au bon fonctionnement du système juridique mis en place par le Statut de Rome. Le statut de Rome de la Cour pénale internationale a établi une compétence partagée entre les juridictions nationales et la Cour, ce qui caractérise son mode de fonctionnement. La Cour Pénale internationale fonctionne sur la base de complémentarité (Section 1) et celle de la coopération (Section 2). En effet, la Cour Pénale internationale ne peut agir donc qu'en complémentarité des juridictions nationales mais les États sont tenus de coopérer pleinement avec la Cour dans les enquêtes et poursuites pour les crimes relevant de sa compétence. Section 1 : Un mode de fonctionnement basé sur le principe de complémentarité Le principe de la complémentarité est la pierre angulaire de la nouvelle architecture de la justice pénale internationale. Il constitue le meilleur compromis entre la nécessité de justice (en vue de prévenir et punir les atteintes à la paix et l'humanité) et la souveraineté des Etats97. Selon le Statut de Rome, le principe de la complémentarité régit les relations entre la CPI et les juridictions nationales : « Elle est complémentaire des juridictions pénales nationales »98. Ce terme, affirmé dès le préambule, dans son dixième paragraphe « la Cour pénale internationale dont le présent Statut porte création est complémentaire des juridictions pénales nationales »99 soulève les questions de la recevabilité dans le Statut de Rome100. En effet, contrairement aux tribunaux ad hoc mis en place pour l'ex-Yougoslavie et le Rwanda par le Conseil de Sécurité des Nations Unies, dont la primauté est assurée sur les juridictions nationales des Etats, la CPI n'a pas primauté sur les systèmes nationaux101. Ce qui 97 NGOTO NGOIE NGALINGI (J.A), « La complémentarité de la Cour Pénale Internationale par rapport aux juridictions nationales », Cahiers africains des Droits de l ' Homme et de la Démocratie ainsi que du Développement durable, Mars 2018, pp. 61-67. 98 Statut de Rome de la CPI, Article 1. 99 Préambule du Statut de Rome de la CPI, Paragraphe 10. 30 100 BAZALAIRE (J.P) et CRETIN (T), La justice pénale internationale: Son évolution, son avenir Broché, PUF, 31 juillet 2000, 272 p. 101 Site officiel de la CPI, https://www.icc-cpi.int/sites/default/files/NR/rdonlyres/1FA7C4C6-DE5F-42B7-8B25-60AA962ED8B6/143595/030908_Policy_Paper_FR.pdf, P. 4, consulté le 27 Septembre 2023. veut dire qu'en cas de conflit de compétence entre les systèmes nationaux et la CPI, les premiers l'emportent, car la Cour Pénale Internationale n'a pas été institué pour remplacer les tribunaux nationaux102. A la lumière du Statut de Rome, les dispositions relatives à la complémentarité se rapportent aux règles qui conditionnent la recevabilité d'une affaire devant la Cour Pénale Internationale. En effet, l'exercice de la compétence de la CPI est subordonné à des exigences de recevabilité des affaires (Paragraphe 1). Dans ce contexte, on parle de la complémentarité passive ou classique de la Cour. Cependant, au fil du temps, et dans la mesure de combler les lacunes du Statut de Rome, nous remarquerons que la complémentarité de la Cour a connu une certaine évolution (Paragraphe 2) pour atteindre la complémentarité positive. Paragraphe 1 : La exigences de recevabilité des affaires devant la Cour : La complémentarité passive La complémentarité passive est généralement considérée comme la dimension « traditionnelle » de la complémentarité, celle à laquelle on renvoie instinctivement. Cette forme de complémentarité place la CPI dans un rôle de sentinelle, comme un palliatif à une possible défaillance par les Etats dans leur devoir d'enquêter et de punir les crimes les plus graves, cela tout en préservant leur souveraineté. La complémentarité passive leur laisse l'opportunité d'exercer en premier leur compétence103. En effet, dès lors que la compétence d'une juridiction est établie, il vient automatiquement la question de savoir si l'affaire dont elle est saisie est recevable. La recevabilité est la qualité que doit présenter la demande dont un plaideur saisit une juridiction pour que le juge en soit régulièrement saisi. En d'autres termes, la recevabilité est le caractère d'une demande en justice rendant possible son examen au fond par la juridiction saisie104. Le Statut de Rome précise dans son préambule comme dans son dispositif que les Etats disposent également de la compétence de poursuivre et le juger les auteurs des crimes relevant de la compétence de la Cour. Les situations dans lesquelles une affaire, pour laquelle 102 Site officiel de la CPI , https://www.icc-cpi.int/sites/default/files/Publications/Joining-Rome-Statute-Matters-FRA.pdf, P. 2, consulté le 27 septembre 2023. 103 BENATTOU (L), La mise en oeuvre du principe de complémentarité devant la Cour pénale internationale, Rapport de recherche : Certificat d'études juridiques internationales, Institut des hautes études internationales (IHEI), 2017, 45p. 31 104 GUINCHARD (S.) et DEBARD (T.), Lexique des termes juridiques, 31ème éd., Dalloz, Paris, 2023, 1200p. une enquête, une procédure est conduite sur le plan national ou même un jugement a été rendu, sera déclarée recevable par la CPI, sont établies par l'article 17 du Statut de Rome. Ainsi, selon l'article 17 du Statut de Rome, la recevabilité d'une affaire devant la Cour est non seulement possible en cas de manque de volonté d'un Etat (A) mais également en cas d'incapacité d'un Etat (B). Il s'agit de la complémentarité passive de la Cour, qui fait l'objet de ce présent paragraphe. A- La Recevabilité en cas de manque de volonté d'un EtatEn effet, une affaire peut être recevable devant la Cour Pénale Internationale dans la mesure où un Etat ne manifeste pas une volonté de mener des poursuites judiciaires contre la personne mise en cause. Le manque de volonté n'est pas défini dans le Statut de Rome. Cependant, les dispositions pertinentes de l'article 17 (2) alinéas (a), (b) et (c) établissent les situations dans lesquelles peut l'établir105. A la lumière de ces dispositions : « la Cour considère l'existence, eu égard aux garanties d'un procès équitable reconnues par le droit international, de l'une ou de plusieurs des circonstances suivantes : a) la procédure a été ou est engagée ou la décision de l'État a été prise dans le dessein de soustraire la personne concernée à sa responsabilité pénale pour les crimes relevant de la compétence de la Cour visés à l'article 5 ; b) la procédure a subi un retard injustifié qui, dans les circonstances, est incompatible avec l'intention de traduire en justice la personne concernée ; c) la procédure n'a pas été ou n'est pas menée de manière indépendante ou impartiale, mais ,d'une manière qui, dans les circonstances, est incompatible avec l'intention de traduire en justice la personne concernée »106. Au regard de ce qui précède, nous pouvons retenir que le manque de volonté de l'Etat peut être caractérisé dans trois situations particulières. Tout d'abord, le dessein de soustraire de la responsabilité pénale107. Ce premier critère, incarne un élément subjectif, car il est centré sur une évaluation de la qualité de la justice en fonction des intentions réelles d'un Etat. Sur ce point, pour qu'un État soit reproché de cette manoeuvre, il faut que l'objectif de vouloir faire 105 EL ZEIDY (M.M), Le principe de complémentarité en droit pénal international Origine, développement et pratique, Leiden, Boston, 2008, 366 p. 106 Statut de Rome de la CPI, préc. note 4, art.17.al. 2. 32 107 Statut de Rome, Article 17 (2) alinéas (a). échapper la personne aux poursuites judiciaires soit démontré108 et prouver par le Procureur de la CPI. Ensuite, le deuxième critère qui incarne quant à lui un élément objectif. Il correspond au retard injustifié et incompatible avec l'intention de traduire en justice la personne concernée109. L'article 17 (2) (b) traite plus généralement des événements, car il n'est pas conçu pour remédier aux retards qui touchent aux droits de l'accusé au sens strict, mais plutôt à des retards relatifs à l'ensemble de la procédure pénale dans le déroulé général des événements, c'est-à-dire un retard qui se répercute directement sur l'action de livrer un accusé à la justice. Enfin, Le troisième et dernier critère, également objectif est le manque d'indépendance et d'impartialité dans la manière de mener la procédure110 . Si la CPI détermine que la procédure « n'a pas été ou n'est pas menée de manière indépendante ou impartiale », mais est en réalité menée d'une manière « qui, dans les circonstances est incompatible avec l'intention de traduire l'intéressé en justice », le cas sera recevable. L'idée d'examiner l'impartialité ou l'indépendance de la procédure interne a été le résultat de négociations qui ont eu lieu au sein de la Commission préparatoire en 1996. Alors, qu'est est-il de la question de l'incapacité de l'Etat à mener à bien les poursuites ? |
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