Paragraphe 2 : Les modalités de saisine de la
Cour Pénale Internationale
Si les compétences de la Cour se trouvent très
encadrées, il convient également de souligner que le
Traité impose encore d'autres garde-fous quant aux modalités de
sa saisine. Il n'entre pas dans les attributions de la Cour pénale
internationale de se saisir d'office pour exercer sa compétence à
l'égard d'un ou de plusieurs crimes définis par le Statut de
Rome77. Aux termes de l'article 13 du statut de Rome : « La
Cour peut exercer sa compétence à l'égard
75 Statut de la CPI, article 11§2.
76 UN Doc. A/CONF. 183/ C1/ L. 65/ Rev.1, p. 2. A
noter toutefois que cette note infrapaginale n'a pas été reprise
dans la version finale adoptée par la Conférence : UN
Doc.A/CONF.183/C.1/L.76/Add.3, pp.1-2 .
24
77 ONGONDO (D.F.)., « La Cour pénale
internationale : réflexions sur la saisine », Gaz.Pal.Rec.
Nov.-déc. 2009, pp. 3687-3691.
d'un crime visé à l'article 5,
conformément aux dispositions du présent Statut : Si une
situation dans laquelle un ou plusieurs de ces crimes paraissent avoir
été commis est déférée au Procureur par un
État Partie, comme prévu à l'article 14 ; Si une situation
dans laquelle un ou plusieurs de ces crimes paraissent avoir été
commis est déférée au Procureur par le Conseil de
sécurité agissant en vertu du chapitre VII de la Charte des
Nations Unies ; ou Si le Procureur a ouvert une enquête sur le crime en
question en vertu de l'article 15 »78.
En vertu de l'article 13 du statut, la Cour peut être
saisie de trois manières : par n'importe quel État-partie ou sur
l'initiative du Procureur de la Cour (A) ou encore par l'entremise du Conseil
de Sécurité des Nations Unies79 (B).
A) La saisine par les Etats-parties ou par le procureur
de la Cour Pénale Internationale
De nos jours, la ratification du Statut de Rome s'est faite
par plus de 120 Etats dans le monde. A la lumière de l'article 13 du
Statut Rome, la Cour pénale internationale peut exercer sa
compétence si un Etat partie saisit le procureur d'une affaire dans
laquelle un ou plusieurs des crimes visés à l'article 5 du
même statut semblent avoir été commis. Ainsi, les Etats
parties au traité de Rome ont le droit de déférer au
procureur tous les éléments qui font présumer qu'un ou
plusieurs crimes relevant de la compétence de la Cour ont
été commis et de lui demander d'enquêter sur cette
situation en vue de déclencher des poursuites pénales à
l'encontre de la personne ou les personnes qui semblent être complices ou
auteurs de ces crimes. Cela étant, l'Etat partie qui dénonce au
procureur une situation pénale entrant dans le champ de sa
compétence, devra spécifier les circonstances de l'affaire et
produire tous les éléments de preuve et les pièces
à l'appui80.
Notons que tous les Etats ne sont pas autorisés
à saisir le procureur de la Cour pénale internationale, mais
seulement les Etats parties, c'est-à-dire ceux qui ont ratifié le
Statut de Rome comme le dispose en effet, l'article 13 (a) du Statut de Rome :
« La Cour peut exercer sa compétence à l'égard d'un
crime visé à l'article 5, conformément aux dispositions du
présent
78 Statut de la CPI, article 13 du
79 Les ONG et les Organisations internationales,
les individus et les États non partie au traité n'ont aucune
compétence de saisir la Cour. Toutefois, en pratique, ils peuvent tous
contacter le Procureur et le persuader à engager des poursuites.
25
80 DUMONT (H) et BOISVERT (A.M), « La voie
vers la Cour pénale internationale : tous les chemins mènent
à Rome », Revue québécoise de droit international,
Montréal, Thémis, 2005, pp. 423-425.
Statut : a) si une situation dans laquelle un ou plusieurs
crimes paraissent avoir été commis est
déférée au Procureur par un Etat partie comme prévu
à l'article 14 ;(...) ». En effet l'article 14 du Statut de Rome
dispose : « Tout État Partie peut déférer au
Procureur une situation dans laquelle un ou plusieurs des crimes relevant de la
compétence de la Cour paraissent avoir été commis, et
prier le Procureur d'enquêter sur cette situation en vue de
déterminer si une ou plusieurs personnes identifiées devraient
être accusées de ces crimes ». La cour peut donc non
seulement être compétente si un Etat défère au
Procureur une situation survenue sur son territoire propre, comme l'ont fait la
République Centrafricaine et la République démocratique de
Congo, mais également si un Etat défère au Procureur une
situation survenue sur le territoire d'un Etat tiers si par exemple, le
national d'un Etat partie a commis un des crimes visés à
l'article 5 sur le territoire d'un Etat non partie.
Ainsi pour les Etats, il s'agit de porter plainte devant la
CPI. C'est ici la plus importante des prérogatives accordées aux
Etats devant la CPI. La saisine de la Cour par un Etat partie est
l'hypothèse la plus favorable, surtout lorsque la situation se
déroule sur son sol. Dans un tel cas, le principe de
complémentarité voudrait que les organes judiciaires de l'Etat
puissent conduire des poursuites en vue de rechercher et de juger les
responsables des crimes internationaux ou de les extrader vers un Etat qui
s'estimerait compétent pour de telles actions, ou encore de les
déférer devant la CPI. Trois Etats ont déjà
renvoyé une situation pénale au Procureur de la Cour
pénale internationale : L'Ouganda81, la République
démocratique du Congo82et la République
Centrafricaine83.
Mis à part la possibilité de la Cour
d'être saisi par les Etats-parties au Statut de Rome, la Cour peut
également être saisi par le Procureur agissant « propio
motu »84. Le pouvoir attribué par le Statut de la
CPI au Procureur de s'autosaisir et d'engager de sa propre initiative des
enquêtes et poursuites restait un des points les plus controversés
et essentiels de la
81 Renvoi de la situation à la CPI par le
Gouvernement ougandais : janvier 2004, Crimes actuellement visés :
crimes de guerre et crimes contre l'humanité qui auraient
été commis en Ouganda depuis le 1er juillet 2002 (date
d'entrée d'en vigueur du Statut de Rome) dans le contexte d'un conflit
opposant l'Armée de résistance du seigneur (ARS) aux
autorités nationales
82 Renvoi de la situation à la CPI par le
Gouvernement congolais : avril 2004, Crimes actuellement visés : les
crimes de guerre et les crimes contre l'humanité qui auraient
été commis depuis le 1er juillet 2002 (date d'entrée en
vigueur du Statut de Rome) dans le contexte d'un conflit armé en RDC.
26
83 Renvoi de la situation à la CPI par le
Gouvernement centrafricain : décembre 2004, crimes de guerre et crimes
contre l'humanité qui auraient été commis dans le contexte
d'un conflit en RCA depuis le 1er juillet 2002, les violences ayant
été à leur paroxysme en 2002 et 2003. (Voir RCA II pour la
situation dans ce pays à partir de 2012).
84 Expression latine, signifiant « de sa propre
initiative ».
Conférence de Rome. Les participants à cette
Conférence se sont convenus que le Procureur est habilité
à ouvrir proprio motu des enquêtes au sujet des quatre crimes les
plus graves prévus par le Statut de Rome85. Selon les
dispositions de l'article 13 (b) la Cour est compétente « Si le
Procureur a ouvert une enquête sur un ou plusieurs de ces crimes en vertu
de l'article 15 ». L'article 15 quant à lui dispose : « Le
Procureur peut ouvrir une enquête de sa propre initiative au vu des
renseignements concernant des crimes relevant de la compétence de la
Cour ».
Nous pouvons alors comprends en partant sur les bases des
article 13 (b) et 15 (§1) que le Procureur de la CPI dispose de la
capacité d'ouvrir une enquête de sa propre initiative en absence
d'un renvoi par un Etat partie ou par le Conseil de Sécurité des
Nations Unies à l'encontre d'un ressortissant d'un Etat partie.
Cependant les Etats signataires ont décidé de soumettre la
décision de l'ouverture d'une enquête du Procureur à un
examen a priori, une sorte de validation avant la poursuite de la
procédure. C'est ainsi que si le Procureur décide d'ouvrir une
enquête, il devra obtenir au préalable l'autorisation de la
Chambre préliminaire de la CPI86.
En effet, après avoir obtenu l'autorisation des juges ;
ce fut le cas pour le Kenya87, Côte d'Ivoire88,
Géorgie89 et le Bangladesh/Myanmar90, le Procureur
peut sans contrainte ouvrir une enquête de sa propre initiative. Le
Procureur ne peut donc pas, de sa propre initiative, ouvrir des enquêtes
concernant un État non partie au Statut de Rome, sauf si les
ressortissants d'États parties sont soupçonnés d'avoir
commis des crimes visés par le Statut de Rome sur le territoire de
l'État non partie concerné. Alors, mis à part la saisine
de la Cour par les Etats parties et par le Procureur, comment est-ce que
celle-ci peut être saisie par le Conseil de Sécurité des
Nations Unies ?
85 Statut de la CPI, Article 15.
86 Statut de la CPI, Article 15§3 : « 3.
S'il conclut qu'il y a une base raisonnable pour ouvrir une enquête, le
Procureur présente à la Chambre préliminaire une demande
d'autorisation en ce sens, accompagnée de tout élément
justificatif recueilli. Les victimes peuvent adresser des
représentations à la Chambre préliminaire,
conformément au Règlement de procédure et de preuve.
»
87 Mars 2010, Crimes visés : crimes contre
l'humanité qui auraient été commis dans le contexte des
violences postélectorales au Kenya en 2007 et 2008.
88 3 octobre 2011, Crimes
visés : crimes relevant de la compétence de la Cour qui auraient
été commis dans le contexte des violences postélectorales
en Côte d'Ivoire en 2010 et 2011, mais aussi du 19 septembre 2002
à ce jour
27
8927 janvier 2016, Crimes visés : les crimes
contre l'humanité et les crimes de guerre qui auraient été
commis dans le contexte d'un conflit armé international entre le
1er juillet et le 10 octobre 2008.
90 Crimes allégués de
déportation, de persécution et de tout autre crime relevant de la
compétence de la CPI, commis à l'encontre des Rohingya ou
d'autres personnes, actes de violence perpétrés dans
l'État de Rakhine (Myanmar) et tout autre crime relevant de la
compétence de la CPI et suffisamment liés à ces
événements
B) La saisine de la Cour Pénale Internationale par
le Conseil de Sécurité des Nations Unies
En effet, le troisième mode de saisine de la Cour
pénale internationale est celle initiée par le Conseil de
Sécurité des Nations Unies. La Cour Pénale Internationale
est une juridiction pénale internationale dont le rôle tourne
autour de la promotion et de la répression des crimes de droit
international. Pour ce qui concerne le Conseil de Sécurité des
Nations Unies, il est un organe politique des Nations Unies chargé de la
mission du maintien de la paix et de la sécurité
internationale91. Il s'agit donc ici d'une collaboration entre la
justice, incarnée par la CPI, et la politique, incarné par le
Conseil de Sécurité des Nations Unies, dans le but de lutter
contre l'impunité. La CPI a une compétence mondiale en cas de
saisine par le Conseil de sécurité des Nations
Unies92.
Selon les dispositions pertinentes de l'article 13 (b) du
Statut de Rome : « la Cour peut exercer sa compétence à
l'égard des crimes visés à l'article 5,
conformément au présent Statut : « b) Si une situation
dans laquelle un ou plusieurs de ces crimes paraissent avoir été
commis est déférée au Procureur par le Conseil de
sécurité agissant en vertu du chapitre VII de la Charte des
Nations Unies ;(...) »93. Cette saisine, par le Conseil de
sécurité, constitue ainsi l'une des trois possibilités de
saisine de la Cour, aux côtés de celle reconnue à un Etat
partie (article 13a) et au Procureur lui-même (article 13c).
Cependant, il revient de préciser que le Conseil de
sécurité ne peut saisir la Cour que dans le cadre du chapitre VII
de la charte des Nations Unies94, cela veut tout simplement dire qu'
« en cas de menace contre la paix, de rupture de la paix et d'acte
d'agression ». En effet, pour que le Conseil de Sécurité des
Nations Unies puisse déférer une « situation » au
Procureur auprès de la Cour, celle-ci doit comporter une menace à
la paix et à la sécurité internationales. Le fondement de
cette disposition se situe dans les pouvoirs et devoirs du Conseil de
Sécurité des Nations Unies de garantir l'établissement de
la responsabilité pénale individuelle dans le
91 Article 24§1 de la Charte des Nations Unies
: « 1. Afin d'assurer l'action rapide et efficace de l'Organisation, ses
Membres confèrent au Conseil de sécurité la
responsabilité principale du maintien de la paix et de la
sécurité internationales et reconnaissent qu'en s'acquittant des
devoirs que lui impose cette responsabilité, le Conseil de
sécurité agit en leur nom. »
92 Statut de Rome de la CPI, supra note 23, art
13.b.
28
93 Statut de la CPI, Article 13 al.b.
94 La Charte des Nations Unies est un instrument
constitutif des Nations Unies, signée le 26 Juin 1945. Elle
établit les droits et les obligations des Etats membres et instaure les
principaux organes et procédures des Nations Unies.
cadre de ses prérogatives de maintien de la paix et de
la sécurité internationales en cas de perpétration des
crimes internationaux les plus graves95.
Notons que lorsque le Conseil de Sécurité
renvoie une « situation » à la CPI sur la base du Chapitre VII
de la Chartre des Nations Unies, la seule condition à respecter est
celle de la situation (le ou les crimes qui relèvent de la
compétence de la Cou) comporte une « menace à la paix et la
sécurité internationales ». Ainsi donc, la Cour ne pas le
droit de s'assurer que le renvoie de la situation répond aux conditions
préliminaires prévues par l'article 12 (2) du Statut de Rome,
à savoir que les crimes soient commis par un ressortissant d'un Etat
partie, soit sur le territoire d'un Etat partie. Ce qui veut dire que le
Conseil de sécurité est le seul sujet compétent pour
renvoyer une « situation » au procureur de la cour pénale
internationale indépendamment de toute liaison entre l'Etat territorial
ou de nationalité du suspect et le crime, en plus de cela, il est le
seul sujet qui n'a pas ratifié le Statut de Rome.
La première utilisation de cette prérogative de
déférer une affaire devant la Cour par le Conseil de
Sécurité s'est faite en 2005. En effet, en application de
l'article 13 du Statut de Rome, le Conseil de sécurité de l'ONU a
adopté, le 31 mars 2005, la résolution 1593 qui renvoi une
situation pénale devant le procureur de la Cour pénale
internationale et qui prévoit que les suspects de crimes contre
l'humanité et de crimes de guerre au Darfour dans l'ouest du Soudan
soient jugés devant la Cour pénale internationale. Le texte
permettra à la Cour pénale internationale de poursuivre les
responsables de meurtres, viols et pillages qui ont ravagé la
région soudanaise du Darfour96. Le Procureur de la CPI
dispose certes d'un pouvoir d'appréciation sur les situations qui lui
sont déférer, cependant, malgré ces larges pouvoirs
d'appréciation, son autonomie d'accusation et celle de la Cour
elle-même sont soumises au contrôle indirect et
général exercé par le Conseil de Sécurité
des Nations Unies.
Ainsi, la compétence de la CPI est fondée sur le
Statut de Rome, cependant, il faut noter que son mode de fonctionnement
également est de même fondé sur le même texte ;
95 SUR (S), « Vers une CPI : La convention de
Rome entre les ONG et le Conseil de sécurité », Revue
Générale de droit international public, 1999, Numéro
1, pp.29-49.
29
96 Le vote est intervenu après deux mois de
tractations au Conseil de sécurité et entre les capitales,
divisées sur l'autorité à saisir pour les jugements des
criminels de guerre au Soudan. Mais les Américains, hostiles à
tout ce qui pourrait légitimer l'autorité de la Cour
pénale internationale, plaidaient pour l'établissement d'un
tribunal en Tanzanie adapté de celui qui a jugé les victimes du
génocide Rwandais, idée jugée trop coûteuse et
longue à mettre en place par la France et les pays membres du Conseil
ayant ratifié le Statut de la Cour pénale internationale. Le vote
a été enfin arraché au terme de longues discussions et aux
prix d'une concession accordée aux Etats-Unis, qui se sont par ailleurs
abstenus avec trois autres pays (Algérie, Brésil, Chine).
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