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La CPI et la lutte contre l'impunité des crimes internationaux


par Berger-Le-Bonheur RAWAGO
Institut Supérieur de Droit de Dakar - Master 2 Droit Public 2023
  

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Paragraphe 2 : L'influence notoire des grandes puissances

Nous ne sommes pas sans savoir que la justice pénale internationale subit une influence dans le contexte géopolitique. Ce qui constitue dans une certaine manière un frein au bon fonctionnement de la CPI dans la lutte contre l'impunité des crimes internationaux. Cette influence dont dispose les grandes puissances est marquée par la mise en oeuvre d'une politique convergente, octroyant à certains la qualité de membres permanents du C.S. Ils disposent à cet effet d'une grande prérogative qui se matérialise par la possession du droit de véto au sein du Conseil (A), mais paradoxalement certains d'entre eux n'ont pas encore adhéré au Statut de Rome de la CPI (B).

282 SUR (S.), « Vers une Cour pénale internationale : la Convention de Rome entre les ONG et le Conseil de Sécurité », R.G.D.I.P., 1998. Pp. 29-45.

283 Statut de Rome de CPI, article 8bis.

A) La possession du droit de véto au sein du Conseil de Sécurité

En effet, comme nous l'avions vu ci-haut dans le cadre de cette étude, le Conseil de Sécurité de l'ONU dispose de la possibilité de saisir la CPI afin de lui soumettre une situation. Cette possibilité lui est offerte par l'article 13 (b) du Statut de Rome qui dispose que la Cour peut exercer sa compétence à l'égard d'un crime visé à l'article 5, conformément aux dispositions du présent Statut : « Si une situation dans laquelle un ou plusieurs de ces crimes paraissent avoir été commis est déférée au Procureur par le Conseil de sécurité agissant en vertu du chapitre VII de la Charte des Nations Unies... »284.

Cette prérogative dont dispose le Conseil de Sécurité de saisir la CPI est d'une part favorable à cette dernière dans la mesure où elle permet d'élargir le champ d'action de la juridiction permanente. Mais d'autres part elle constitue également un obstacle au bon fonctionnement de la Cour dans ce sens qu'une politisation de la compétence de la Cour peut s'établir. Comme nous l'avons vu, la saisine de la CPI par le Conseil de sécurité permet de ne pas appliquer les conditions préalables à l'exercice de la compétence de la CPI. Le Statut de la Cour consacre ainsi la possibilité pour la CPI de tendre à l'universalité285. Cependant cet avantage peut être critiqué en raison de la possession du droit de veto par les membres permanents.

Le droit de véto dont dispose les grandes puissances au sein du C.S est de loin un obstacle majeur au bon fonctionnement de la CPI dont la mesure où l'exercice de ce droit paralyserait l'action de la CPI sur les crimes de l'article 5 du Statut de Rome. Le droit de veto du Conseil de sécurité des Nations unies, cristallisé dans l'article 27286 de la Chartre de l'ONU, est un droit accordé uniquement aux cinq membres permanents de ce Conseil (Chine, France,

284 Article 13 (b) Statut de Rome de la CPI.

285 OTTENHOF (R.), « L'association internationale de droit pénal et la création de la Cour pénale internationale ». RIDP, 73/2002, Nos 1,2, pp. 15-21.

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286 L'Article 27 de la Charte des Nations unies spécifie que : Chaque membre du Conseil de sécurité dispose d'une voix. Les décisions du Conseil de sécurité, sur des questions de procédures, sont prises par un vote affirmatif de neuf membres. Les décisions du Conseil de sécurité, sur toutes autres questions, sont prises par un vote affirmatif de neuf de ses membres, dans lequel sont comprises les voix de tous les membres permanents, étant entendu que, dans les décisions prises aux termes du Chapitre VI et du paragraphe 3 de l'Article 52, une partie à un différend s'abstient de voter.

Royaume-Uni, Russie et États-Unis) qui leur permet de bloquer toute résolution ou décision, quelle que soit l'opinion majoritaire au Conseil287.

En effet, si le Conseil de sécurité s'apprête à renvoyer une situation devant la CPI, les pays permanents sont à même de bloquer cette résolution en vertu de leur droit de veto, qui leur permet de paralyser totalement une résolution proposée par les autres membres. Ce sont donc eux qui ont le dernier mot288. Dans ce cas, la compétence de cette Cour serait entre les mains de ces Etats. Faire saisir la CPI par le Conseil de sécurité devient une carte essentielle pour les membres permanents, non seulement pour obtenir une justice pénale internationale mais aussi pour servir leurs intérêts politiques et économiques. De plus, par ce pouvoir de saisine à la disposition du Conseil de sécurité, les membres permanents ont incontestablement un nouvel instrument avec des effets obligatoires à l'égard de tous les Etats membres de l'ONU. En effet, conformément à l'article 25 de la Charte de l'ONU289 tous les membres de l'ONU conviennent d'accepter et d'appliquer les décisions du Conseil de sécurité conformément à la présente Charte. Cela constitue l'une des raisons qui rendent les effets de ce pouvoir paradoxaux : les Etats-Unis, qui ne sont même pas partie au Traité de Rome, pourraient, en raison de leur qualité de membre permanent, examiner le déclenchement de l'activité de la Cour et, priver des garanties qu'une saisine par le Conseil de sécurité apporte. Par ce fameux droit de veto, l'idée d'un Conseil de sécurité au service des intérêts de certains de ses membres permanents prend de la consistance et relève, de plus en plus, du lieu commun290.

B) La non-adhésion de certains membres permanents au Statut de Rome de la CPI

Le Statut de Rome est entré en vigueur le 1er juillet 2002 après sa ratification par 60 Etats291. Depuis le 4 mars 2016, 123 États sur les 193 États membres de l'ONU ont ratifié le Statut de Rome et acceptent la compétence de la CPI (dont tous les États de l'Union

287 PAMBO PAMBO (E.S.), La représentativité dans la composition du Conseil de Sécurité des Nations Unies, Akadémia Dakar, Mémoire pour l'obtention du diplôme de Master 2 en Relations Internationales, 2023, 73 p.

288 WEISS (P.). Les organisations internationales. Paris, Nathan, 1998, 128 p.

289 Chartre des Nations Unies, 26 Juin 1945, Article 25 : « Les Membres de l'Organisation conviennent d'accepter et d'appliquer les décisions du Conseil de sécurité conformément à la présente Charte. ».

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290 AUMOND (F.), « La situation au Darfour déférée à la Cour pénale internationale, retour sur une résolution historique du Conseil de sécurité », RGDIP, Paris, tome 112, N° 1, 2008, pp.420-444.

291 Statut de Rome de la CPI, Article 126.

européenne). Trente-deux États, dont la Russie et les États-Unis, ont signé le Statut de Rome, mais ne l'ont pas ratifié. Enfin, certains, dont la Chine et l'Inde, n'ont pas signé le Statut.

En effet, au sein même du Conseil de Sécurité, parmi les cinq membres permanents (Chine, France, Royaume-Uni, Russie et États-Unis), la France292 et le Royaume-Uni293 sont les seuls ayant ratifié le Statut de Rome, et donc sont membres de plein droit de la Cour Pénale Internationale. Ce qui revient à dire que les autres membres permanents, dont les Etats-Unis, la Chine et la Russie sont considérés comme des Etats tiers au Statut de Rome. C'est pour cette raison que l'on peut s'accorder à dire que « le fait que seuls deux membres permanents sur cinq soient partie au Statut est source de question. Pourquoi jugeraient-ils d'une institution dont ils ne sont pas membres ? L'immixtion du Conseil de sécurité pourrait être comprise si ses membres n'avaient pas une relation si conflictuelle avec celle-ci. Etant de fait en dehors de sa compétence, ces Etats contribuent à la perception négative de la Cour »294 pour emprunter les mots de Marie BOKA.

En effet, dans la mesure où la plupart des membres permanents n'est pas partie au Statut de Rome, il serait visiblement difficile d'obtenir de la part d'un Etat en cause une coopération pleine et effective avec la CPI. A titre d'exemple, les mandats d'arrêts émis par la CPI dans le cas du Darfour révèlent cette difficulté car jusqu'à ce moment, aucun mandat d'arrêt sur l'affaire du Darfour n'a été exécuté.

Bien qu'étant présent à l'élaboration du Statut de Rome, les Etats-Unis, la Chine et la Russie se sont abstenus d'y adhérer. Pour ce qui concerne les Etats-Unis d'Amérique, l'une des raisons qui a marqué son inaction réside dans l'interdiction des réserves émise par-là l'article 120 du Statut de Rome295 . La Chine pour sa part, faisait partie des Etats opposés à une CPI dotée de pouvoirs significatifs. L'argument avancé était que la CPI allait contre la souveraineté des Etats. La Chine était « ... en faveur d'une institution faible, avec une juridiction limitée, et agissant chaque fois (ou pour chaque crime) sur la base du consentement spécifique des Etats

292 La France signa le Statut de Rome le 18 juillet 1998 puis ratifia le 09 juin 2000.

293 Le Royaume-Uni a signé le Statut de Rome le 30 novembre 1998 et ratifia le 04 octobre 2001.

294 BOKA (M.), La Cour pénale internationale entre droit et relations internationales, les faiblesses de la Cour à l'épreuve de la politique des Etats, Thèse pour le Doctorat en Sciences politiques présentée et soutenue publiquement le 19 décembre 2013 à l'Université Paris Est, 363p.

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295 Statut de Rome de la CPI, article 120 : « Le présent Statut n'admet aucune réserve ».

concernés »296. N'ayant pas pu imposer son point de vue, elle rejoignit les Etats qui avaient voté contre le texte adopté. Quant à la Russie, elle s'exprima peu lors de la conférence ; par conséquent, il était difficile de lire sa position lors des négociations. Toutefois, elle fut parmi les Etats qui signèrent le Statut de Rome. Jusqu'à ce moment elle n'a pas encore ratifié celui-ci.

Les trois membres permanents non parties au Statut ne peuvent que soulever des doutes sur le regard porté par la plupart des Etats sur « ... l'idée [que le Conseil de sécurité] agit dans l'intérêt de la communauté internationale »297. Le Conseil de sécurité est victime du choix fait par ces derniers de ne pas être parties au Statut de Rome, et par ricochet, cela a une incidence certaine sur le fonctionnement de la CPI.

296 POLITI (M.), « Le Statut de Rome de la CPI : le point de vue d'un négociateur », RGDIP, 1999/4, pp. 817850.

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297 SIMMALA (D. G.), « Le pouvoir de saisine de la Cour pénale internationale par le Conseil de sécurité des Nations Unies : entre nécessité et légitimité », RDP, 2013/2, pp. 433-452.

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