Paragraphe 2 : L'influence notoire des grandes
puissances
Nous ne sommes pas sans savoir que la justice pénale
internationale subit une influence dans le contexte géopolitique. Ce qui
constitue dans une certaine manière un frein au bon fonctionnement de la
CPI dans la lutte contre l'impunité des crimes internationaux. Cette
influence dont dispose les grandes puissances est marquée par la mise en
oeuvre d'une politique convergente, octroyant à certains la
qualité de membres permanents du C.S. Ils disposent à cet effet
d'une grande prérogative qui se matérialise par la possession du
droit de véto au sein du Conseil (A), mais paradoxalement certains
d'entre eux n'ont pas encore adhéré au Statut de Rome de la CPI
(B).
282 SUR (S.), « Vers une Cour pénale
internationale : la Convention de Rome entre les ONG et le Conseil de
Sécurité », R.G.D.I.P., 1998. Pp. 29-45.
283 Statut de Rome de CPI, article 8bis.
A) La possession du droit de véto au sein du
Conseil de Sécurité
En effet, comme nous l'avions vu ci-haut dans le cadre de
cette étude, le Conseil de Sécurité de l'ONU dispose de la
possibilité de saisir la CPI afin de lui soumettre une situation. Cette
possibilité lui est offerte par l'article 13 (b) du Statut de Rome qui
dispose que la Cour peut exercer sa compétence à l'égard
d'un crime visé à l'article 5, conformément aux
dispositions du présent Statut : « Si une situation dans laquelle
un ou plusieurs de ces crimes paraissent avoir été commis est
déférée au Procureur par le Conseil de
sécurité agissant en vertu du chapitre VII de la Charte des
Nations Unies... »284.
Cette prérogative dont dispose le Conseil de
Sécurité de saisir la CPI est d'une part favorable à cette
dernière dans la mesure où elle permet d'élargir le champ
d'action de la juridiction permanente. Mais d'autres part elle constitue
également un obstacle au bon fonctionnement de la Cour dans ce sens
qu'une politisation de la compétence de la Cour peut s'établir.
Comme nous l'avons vu, la saisine de la CPI par le Conseil de
sécurité permet de ne pas appliquer les conditions
préalables à l'exercice de la compétence de la CPI. Le
Statut de la Cour consacre ainsi la possibilité pour la CPI de tendre
à l'universalité285. Cependant cet avantage peut
être critiqué en raison de la possession du droit de veto par les
membres permanents.
Le droit de véto dont dispose les grandes puissances au
sein du C.S est de loin un obstacle majeur au bon fonctionnement de la CPI dont
la mesure où l'exercice de ce droit paralyserait l'action de la CPI sur
les crimes de l'article 5 du Statut de Rome. Le droit de veto du Conseil de
sécurité des Nations unies, cristallisé dans l'article
27286 de la Chartre de l'ONU, est un droit accordé uniquement
aux cinq membres permanents de ce Conseil (Chine, France,
284 Article 13 (b) Statut de Rome de la CPI.
285 OTTENHOF (R.), « L'association internationale de
droit pénal et la création de la Cour pénale
internationale ». RIDP, 73/2002, Nos 1,2, pp. 15-21.
89
286 L'Article 27 de la Charte des Nations unies
spécifie que : Chaque membre du Conseil de sécurité
dispose d'une voix. Les décisions du Conseil de sécurité,
sur des questions de procédures, sont prises par un vote affirmatif de
neuf membres. Les décisions du Conseil de sécurité, sur
toutes autres questions, sont prises par un vote affirmatif de neuf de ses
membres, dans lequel sont comprises les voix de tous les membres permanents,
étant entendu que, dans les décisions prises aux termes du
Chapitre VI et du paragraphe 3 de l'Article 52, une partie à un
différend s'abstient de voter.
Royaume-Uni, Russie et États-Unis) qui leur permet de
bloquer toute résolution ou décision, quelle que soit l'opinion
majoritaire au Conseil287.
En effet, si le Conseil de sécurité
s'apprête à renvoyer une situation devant la CPI, les pays
permanents sont à même de bloquer cette résolution en vertu
de leur droit de veto, qui leur permet de paralyser totalement une
résolution proposée par les autres membres. Ce sont donc eux qui
ont le dernier mot288. Dans ce cas, la compétence de cette
Cour serait entre les mains de ces Etats. Faire saisir la CPI par le Conseil de
sécurité devient une carte essentielle pour les membres
permanents, non seulement pour obtenir une justice pénale internationale
mais aussi pour servir leurs intérêts politiques et
économiques. De plus, par ce pouvoir de saisine à la disposition
du Conseil de sécurité, les membres permanents ont
incontestablement un nouvel instrument avec des effets obligatoires à
l'égard de tous les Etats membres de l'ONU. En effet,
conformément à l'article 25 de la Charte de l'ONU289
tous les membres de l'ONU conviennent d'accepter et d'appliquer les
décisions du Conseil de sécurité conformément
à la présente Charte. Cela constitue l'une des raisons qui
rendent les effets de ce pouvoir paradoxaux : les Etats-Unis, qui ne sont
même pas partie au Traité de Rome, pourraient, en raison de leur
qualité de membre permanent, examiner le déclenchement de
l'activité de la Cour et, priver des garanties qu'une saisine par le
Conseil de sécurité apporte. Par ce fameux droit de veto,
l'idée d'un Conseil de sécurité au service des
intérêts de certains de ses membres permanents prend de la
consistance et relève, de plus en plus, du lieu commun290.
B) La non-adhésion de certains membres permanents
au Statut de Rome de la CPI
Le Statut de Rome est entré en vigueur le
1er juillet 2002 après sa ratification par 60
Etats291. Depuis le 4 mars 2016, 123 États sur les 193
États membres de l'ONU ont ratifié le Statut de Rome et acceptent
la compétence de la CPI (dont tous les États de l'Union
287 PAMBO PAMBO (E.S.), La représentativité dans
la composition du Conseil de Sécurité des Nations Unies,
Akadémia Dakar, Mémoire pour l'obtention du diplôme de
Master 2 en Relations Internationales, 2023, 73 p.
288 WEISS (P.). Les organisations internationales. Paris,
Nathan, 1998, 128 p.
289 Chartre des Nations Unies, 26 Juin 1945, Article 25 :
« Les Membres de l'Organisation conviennent d'accepter et d'appliquer les
décisions du Conseil de sécurité conformément
à la présente Charte. ».
90
290 AUMOND (F.), « La situation au Darfour
déférée à la Cour pénale internationale,
retour sur une résolution historique du Conseil de
sécurité », RGDIP, Paris, tome 112, N° 1,
2008, pp.420-444.
291 Statut de Rome de la CPI, Article 126.
européenne). Trente-deux États, dont la Russie
et les États-Unis, ont signé le Statut de Rome, mais ne l'ont pas
ratifié. Enfin, certains, dont la Chine et l'Inde, n'ont pas
signé le Statut.
En effet, au sein même du Conseil de
Sécurité, parmi les cinq membres permanents (Chine, France,
Royaume-Uni, Russie et États-Unis), la France292 et le
Royaume-Uni293 sont les seuls ayant ratifié le Statut de
Rome, et donc sont membres de plein droit de la Cour Pénale
Internationale. Ce qui revient à dire que les autres membres permanents,
dont les Etats-Unis, la Chine et la Russie sont considérés comme
des Etats tiers au Statut de Rome. C'est pour cette raison que l'on peut
s'accorder à dire que « le fait que seuls deux membres
permanents sur cinq soient partie au Statut est source de question. Pourquoi
jugeraient-ils d'une institution dont ils ne sont pas membres ? L'immixtion du
Conseil de sécurité pourrait être comprise si ses membres
n'avaient pas une relation si conflictuelle avec celle-ci. Etant de fait en
dehors de sa compétence, ces Etats contribuent à la perception
négative de la Cour »294 pour emprunter les mots de
Marie BOKA.
En effet, dans la mesure où la plupart des membres
permanents n'est pas partie au Statut de Rome, il serait visiblement difficile
d'obtenir de la part d'un Etat en cause une coopération pleine et
effective avec la CPI. A titre d'exemple, les mandats d'arrêts
émis par la CPI dans le cas du Darfour révèlent cette
difficulté car jusqu'à ce moment, aucun mandat d'arrêt sur
l'affaire du Darfour n'a été exécuté.
Bien qu'étant présent à
l'élaboration du Statut de Rome, les Etats-Unis, la Chine et la Russie
se sont abstenus d'y adhérer. Pour ce qui concerne les Etats-Unis
d'Amérique, l'une des raisons qui a marqué son inaction
réside dans l'interdiction des réserves émise
par-là l'article 120 du Statut de Rome295 . La Chine pour sa
part, faisait partie des Etats opposés à une CPI dotée de
pouvoirs significatifs. L'argument avancé était que la CPI allait
contre la souveraineté des Etats. La Chine était « ...
en faveur d'une institution faible, avec une juridiction limitée, et
agissant chaque fois (ou pour chaque crime) sur la base du consentement
spécifique des Etats
292 La France signa le Statut de Rome le 18 juillet 1998 puis
ratifia le 09 juin 2000.
293 Le Royaume-Uni a signé le Statut de Rome le 30
novembre 1998 et ratifia le 04 octobre 2001.
294 BOKA (M.), La Cour pénale internationale entre
droit et relations internationales, les faiblesses de la Cour à
l'épreuve de la politique des Etats, Thèse pour le Doctorat
en Sciences politiques présentée et soutenue publiquement le 19
décembre 2013 à l'Université Paris Est, 363p.
91
295 Statut de Rome de la CPI, article 120 : « Le
présent Statut n'admet aucune réserve ».
concernés »296. N'ayant pas pu
imposer son point de vue, elle rejoignit les Etats qui avaient voté
contre le texte adopté. Quant à la Russie, elle s'exprima peu
lors de la conférence ; par conséquent, il était difficile
de lire sa position lors des négociations. Toutefois, elle fut parmi les
Etats qui signèrent le Statut de Rome. Jusqu'à ce moment elle n'a
pas encore ratifié celui-ci.
Les trois membres permanents non parties au Statut ne peuvent
que soulever des doutes sur le regard porté par la plupart des Etats sur
« ... l'idée [que le Conseil de sécurité] agit
dans l'intérêt de la communauté internationale
»297. Le Conseil de sécurité est victime du
choix fait par ces derniers de ne pas être parties au Statut de Rome, et
par ricochet, cela a une incidence certaine sur le fonctionnement de la CPI.
296 POLITI (M.), « Le Statut de Rome de la CPI : le point
de vue d'un négociateur », RGDIP, 1999/4, pp. 817850.
92
297 SIMMALA (D. G.), « Le pouvoir de saisine de la Cour
pénale internationale par le Conseil de sécurité des
Nations Unies : entre nécessité et légitimité
», RDP, 2013/2, pp. 433-452.
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