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La CPI et la lutte contre l'impunité des crimes internationaux


par Berger-Le-Bonheur RAWAGO
Institut Supérieur de Droit de Dakar - Master 2 Droit Public 2023
  

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Paragraphe 1 : La supériorité du Conseil de Sécurité face à la CPI

Le CSNU joue un rôle très important dans le fonctionnement de la CPI. En effet, ce dernier intervient toujours en cas de menace de paix, de rupture de paix ou de crime d'agression dans le but de rétablir l'ordre international. Octroyer ce rôle au CS s'explique par le fait qu'en cas de violation du droit international humanitaire ou la commission de crimes les plus graves par certains individus il pourrait être un moyen de rétablir la paix et la sécurité international. C'est pour cette raison que le Statut de Rome lui a attribué certaines prérogatives en vue de son rang au niveau international. Cependant, force est de constater un certain déséquilibre dans leur relation, en défaveur de CPI. En effet le CSNU aurait une influence négative sur la CPI, causant d'une certaine manière l'inefficacité de cette dernière dans la lutte contre l'impunité des crimes internationaux. Pour aller plus loin, nous allons voir d'abord le pouvoir du Conseil de Sécurité de suspendre les activités de la CPI (A) avant de voir la subordination de la CPI au pouvoir politique du C.S sur le crime d'agression (B).

A) Le pouvoir du Conseil de Sécurité de suspendre l'action de la CPI

Il est clair aujourd'hui que le Conseil de sécurité entretient une relation étroite avec la CPI. La tâche du Conseil de sécurité, en tant que premier gardien de la paix et de la sécurité internationales, a joué un rôle de premier plan dans cette relation. Le Conseil de sécurité a pris une place importante à l'égard de la CPI, disposant notamment de pouvoirs pouvant activer l'organe judiciaire.

Le Conseil de Sécurité de l'ONU possède de très importantes prérogatives dans le fonctionnement de la Cour Pénale Internationale. Il dispose non seulement de la faculté de saisir la Cour afin de lui déférer une situation261 mais également celle suspendre les activités de la Cour Pénale Internationale262.

En effet, les rapports entre la CPI et le Conseil de sécurité sont, entre autres, fondés sur le pouvoir de sursis du Conseil de sécurité. Le Statut de Rome a présenté ce pouvoir dans

261 Article 13 (b) Statut de Rome de la CPI.

262 Article 16 Statut de Rome de la CPI.

son article 16 par lequel il reconnaît au Conseil de sécurité le pouvoir de suspendre les enquêtes ou les poursuites menées par la Cour, ou mieux encore de bloquer l'activité de cette juridiction internationale.

Après d'intenses et difficiles négociations concernant le pouvoir du Conseil de sécurité de suspendre l'activité de la CPI, un compromis a été établi et présenté par le Statut dans son article 16. Ce dernier dispose que : « Aucune enquête ni aucune poursuite ne peuvent être engagées ni menées en vertu du présent Statut pendant les douze mois qui suivent la date à laquelle le Conseil de sécurité a fait une demande en ce sens à la Cour dans une résolution adoptée en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies ; la demande peut être renouvelée par le Conseil dans les mêmes conditions »263.

En effet, le Statut de Rome tient compte du fait que la responsabilité du Conseil de sécurité dans le maintien de la paix et de la sécurité internationales ne va pas toujours dans la même direction que celle de la CPI vis-à-vis de la justice pénale internationale. Bien qu'il existe une coopération et une coordination, il existe également un conflit et une dépendance264. Pour que ces deux objectifs (la justice pénale internationale et la paix internationale), puissent être réalisés et se consolider265, l'article 16 du Statut de Rome dispose qu'aucune enquête ni aucune poursuite ne peuvent être engagées pendant les douze mois qui suivent la date à laquelle le Conseil de sécurité a fait une demande en ce sens auprès de la Cour266.

Le pouvoir de suspension a été accordé au Conseil de sécurité sous le prétexte d'articuler l'action de la CPI avec la responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité internationales (mission confiée au Conseil de sécurité). Ce pouvoir a fait l'objet de très nombreuses critiques émanant notamment d'ONG de défense des droits de l'homme car ainsi, l'action de la justice pourrait être entravée par une décision politique qui limiterait les possibilités de poursuites de la Cour, comme l'a affirmé D. BECHERAOUI quand il disait que « le pouvoir donné, en vertu de l'Article 16 du Statut de Rome, au Conseil de Sécurité de sursoir à enquêter ou à poursuivre tend à reconnaitre à un organe politique un droit de contrôle sur

263 Le Statut de Rome de la CPI, Article 16.

264 DULAC E., Le rôle du Conseil de Sécurité dans la procédure devant la Cour Pénale Internationale, Mémoire de DEA, Université Paris I Panthéon Sorbonne, 2000, 80p.

265 NDIAYE (S.A.), Le conseil de sécurité et les juridictions pénales internationales, Thèse de Doctorat en Droit Public, école doctorale sciences de l'homme et de la société, Université d'Orléans, 2011, 505 p.

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266 Le Statut de Rome de la CPI, Article 16.

les activités d'un organe judiciaire »267. Par conséquent, « ce pouvoir pourrait empêcher la Cour d'exercer librement sa compétence et constitue une entrave à la justice pénale internationale »268 pour reprendre les mots de D. BECHERAOUI.

A titre illustratif, une telle crainte a été confirmée dès le 12 juillet 2002, soit quelques jours seulement après l'entrée en vigueur du Statut de la CPI, par la résolution 1422 du Conseil de sécurité adoptée à l'unanimité, malgré l'opposition de quelques 130 Etats sur les 191 siégeant à l'Assemblée générale de l'ONU qui, réunis concomitamment en séance plénière, se sont prononcés contre la proposition américaine. Cette position est révélatrice de l'opinion de la société internationale qui dans sa grande majorité a contesté l'action de Washington et du Conseil de sécurité269.

Dans les résolutions 1422 et 1487, le Conseil de sécurité indique qu'il agit conformément à l'article 16 du Statut de Rome. Les décisions seraient donc adoptées en application de cette disposition. Cet article constitue une disposition exceptionnelle du Statut à plus d'un titre. Il vise à réaliser un équilibre délicat, mais parfois indispensable, entre des principes de justice et les nécessités politiques. Lorsque l'article 16 a déclaré que le Conseil de sécurité pouvait renouveler sa demande dans les mêmes conditions, cela n'était qu'une simple possibilité de renouvellement. Lorsque le Conseil de sécurité a exprimé son « intention de renouveler, dans les mêmes conditions, aussi longtemps que cela sera nécessaire la demande visée au paragraphe 1, le 1er juillet de chaque année, pour une nouvelle période de 12 mois », cela n'a fait qu'accroître le doute à ce sujet270. Le Conseil a déclaré son intention de renouveler la demande chaque année.

Ainsi, il voudrait uniquement appliquer l'article 16 pour suspendre l'activité de la CPI pour un an seulement, mais son objectif porte au-delà car il pourrait paralyser le travail de la CPI en devenant systématique271, comme peut le souligner D.G. SIMMALA lorsqu'il disait non seulement que « l'interférence du C.S dans l'action de la Cour peut amener à un manque

267 BECHERAOUI (D), « l'exercice des compétences de la CPI », RIDP, Vol. 76, 2005/3, pp. 341-373.

268 Ibid.

269 DAINOTTI (F.), La Cour pénale internationale est une réalité : Analyse de cette nouvelle juridiction à la fois indépendante et interdépendante au sein d'un système de relations internationales en pleine mutation, Nice, Institut Européen des Hautes Etudes Internationales (I.E.H.E.I.), Mémoire DEA, 2006, 98p.

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270 COULEE (F.), « Sur un Etat tiers bien peu discret : les Etats-Unis confrontés à la Cour Pénale Internationale », 39 AFDI /Annuaire Français de Droit International, 2003, pp. 32-70. p. 55.

271 ALAJAMOI (T.), Le Conseil de sécurité et sa relation avec la Cour pénale internationale, op. cit., pp. 52-53.

d'objectivité dans le traitement des situations pouvant être renvoyées devant la CPI »272 mais également que « les prérogatives que le Statut de Rome octroie au C.S constituent pour certains auteurs une limite à l'efficacité de la CPI »273.

En définitive, la mise en oeuvre de l'article 16 revêt un caractère autoritaire et contraignant, ce qui confère une portée large confirmant l'importance du pouvoir d'impact de l'organe exécutif Onusien274. Si le Conseil joue un rôle aussi important dans le fonctionnement de la Cour, c'est parce que la Charte lui accorde la primeur en matière de maintien de la paix et de la sécurité internationales. Finalement, c'est le fait le mieux à même d'expliquer l'emprise qu'a le Conseil de sécurité sur la Cour. Sachant que les obligations qui découlent de la Charte sont au-dessus de celles qui relèvent de toutes les autres conventions internationales, il ne fait aucun doute que le Conseil de sécurité continuera son magistère dans les travaux judiciaires que peut effectuer la juridiction permanente275. Il en est ainsi du déclenchement de la compétence de la Cour, de la suspension de ses activités et il ne devrait pas en être autrement lorsque la Cour exercera sa compétence à l'égard du crime d'agression.

B) L a subordination de la CPI au pouvoir politique du conseil de Sécurité sur le crime d'agression

Ce rapport de subordination qui existe entre la Cour Pénale Internationale et le Conseil de Sécurité des Nations Unies s'est effectivement concrétisée, voir se renforcer, avec le crime d'agression276. Le crime d'agression constitue de loin l'infraction la plus susceptible de mettre en feu toute la communauté internationale. Il n'a reçu aucune définition lors de la Conférence de Rome de 1998. Il a fallu attendre la Conférence de Kampala de 2010 pour que le crime d'agression soit défini, que la compétence de la CPI à son égard soit déterminée et que son interaction avec le Conseil de Sécurité en la matière soit fixée.

272 SIMMALA (D.G.), « le pouvoir de saisine de la CPI par le Conseil de Sécurité des Nations Unies : entre nécessité et légitimité », RDP, 2013/2 ; pp. 433-449.

273 Ibid.

274 NDIAYE (S.A.), Le conseil de sécurité et les juridictions pénales internationales, op. cit. p.

275 Ibid.

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276 CESONI (L.M.) et SCALIA (D.), « Juridictions pénales internationales et conseil de sécurité : une justice politisée », Revue québécoise de droit international, 25(2), pp.37-71. https://doi.org/10.7202/1068624ar .

Selon les dispositions de l'article 15bis, §6, du Statut de Rome de la CPI : «« lorsque le Procureur conclut qu'il y a une base raisonnable pour mener une enquête pour crime d'agression, il s'assure d'abord que le Conseil de Sécurité a constaté qu'un acte d'agression avait été commis par l'Etat en cause. Il avise le Secrétaire général de l'Organisation des Nations Unies de la situation portée devant la Cour et lui communique toute information et tout document utiles »277. S'il arrive que le constat du crime d'agression ne se soit pas fait dans les six (6) mois suivant la date de l'avis, le Procureur à la possibilité de « mener une enquête pour crime d'agression, à condition que la Section préliminaire ait autorisé l'ouverture d'une enquête pour crime d'agression selon la procédure fixée à l'article 15, et que le Conseil de sécurité n'en ait pas décidé autrement, conformément à l'article 16 »278.

Force est de constater à travers cette disposition un moyen d'outrepasser la paralysie du Conseil mais qui n'est pas du très efficace dans la mesure où ce dernier dispose toujours une main mise sur la CPI d'une certaine manière. En effet, dans la mesure où le Conseil de Sécurité voudrait empêcher la CPI d'ouvrir une procédure relative à un éventuel crime d'agression, il sera contraint d'ouvrir simplement un débat à ce sujet et, le cas échéant, de conclure à l'absence d'un acte d'agression279. Ce qui témoigne la possibilité du C.S d'empêcher les enquêtes pénales du crime d'agression car le véto d'un seul Etat membre permanent peut paralyser la compétence de la CPI à l'égard du crime d'agression.

Nous nous retrouvons à un schéma dans lequel le pouvoir de la CPI à l'égard du crime d'agression est subordonné au pouvoir de véto des membres permanents du Conseil de Sécurité (et éventuellement leur partenaires commerciaux) qui lui-même est subordonné au droit international dominé par des considérations exclusivement politiques280. Il apparaît ainsi que la coordination institutionnelle entre le Conseil de sécurité et la Cour ne se fonde très rarement sur des bases apolitiques281.

Il revient de noté que le compromis de la conférence de Kampala reconnait que le C.S ne dispose pas la compétence exclusive de constatation d'un acte d'agression, il octroie

277 Statut de Rome de la CPI, Article 15, §6.

278 Statut de Rome de la CPI, Article 15bis, §8.

279 LAFONTAINE (F.) et TACHOU-SIPOWO (A.-G.), « Tous les chemins ne s'arrêtent pas à Rome : la révision du Statut de la Cour pénale internationale à l'égard du crime d'agression ou la difficile conciliation entre justice pénale internationale et sécurité internationale », R.B.D.I., 2009, pp. 78-112.

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280Ibid.

281 NDIAYE (S.A.), op.cit., p.417.

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cependant à ce dernier le dernier mot en ce qui concerne la constatation de l'acte d'agression. Ce qui lui permet d'empêcher la CPI de mener toute enquête sur l'éventuelle commission d'un tel crime.

Il est important de rappeler que la CPI exerce sa compétence sur les personnes physiques exclusivement, à l'exclusion donc des Etats, alors même que le crime d'agression est un crime collectif commis par l'appareil étatique282. C'est la raison pour laquelle l'article 8bis précise, dans sa définition du crime d'agression, que l'acte d'agression est planifié, préparé, lancé ou exécuté « par une personne effectivement en mesure de contrôler ou de diriger l'action politique ou militaire d'un Etat »283.

Il est évident que le Conseil de Sécurité et la CPI doivent collaborer, car leurs missions doivent se complètent. C'est donc pour cette raison que le Statut de Rome bâtît des ponts entre ces deux institutions. Cependant, il faut regretter la mobilisation politique excessive qu'en fait le Conseil de Sécurité. Celle-ci fait clairement pencher la balance en faveur de la politique et au détriment de la justice internationale, et ce en contradiction avec l'équilibre dessiné par le Statut de Rome.

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