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La CPI et la lutte contre l'impunité des crimes internationaux


par Berger-Le-Bonheur RAWAGO
Institut Supérieur de Droit de Dakar - Master 2 Droit Public 2023
  

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Paragraphe 2 : Les obstacles émanant des lois nationales des Etats

La coopération entre les Etats et la CPI souffre de nombreux défis issus des règles ou des lois nationales. Ces derniers sont liés de façon fondamentale, pour des raisons politiques ou logistiques, à la réticence des États à arrêter et extrader les personnes accusées de crimes internationaux (B) afin qu'elles soient jugées, mais également des défis liés à l'application des

183 Statut de Rome de la CPI, article 72 « PROTECTION DE RENSEIGNEMENTS TOUCHANT À LA SÉCURITÉ NATIONALE ».

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mesures de clémence comme le droit de grâce et le droit d'amnistie (A).

A) L'application du droit d'amnistie et le droit de grâce

En effet, au niveau de l'ordre juridique internet des Etats, les victimes de crimes internationaux font souvent face à des mesures de clémence telle que l'amnistie et le droit de grâce, qui sont des mesures destinées à soustraire les auteurs de ces crimes de toutes possibilités de poursuite et de jugement. Dans le même ordre d'idée Pascal BLAISE affirme que « Certains pays peuvent prendre des mesures bénéfiques pour les auteurs de crimes Internationaux, notamment la réconciliation nationale et l'amnistie »184. Ainsi, l'accusé bénéficie grâce au système d'amnistie et le droit de grâce de la cessation d'exécution des peines qui lui sont imposées et de la condamnation quelle que soit la gravité du crime commis. Il n'existe pas de définition juridique de l'amnistie en droit international, mais elle désigne généralement un acte officiel relevant du pouvoir législatif ou exécutif qui empêche, pour l'avenir ou de manière rétroactive, d'enquêter sur une personne, un groupe ou une catégorie de personnes pour certaines infractions ou d'engager des poursuites pénales contre elles, et qui annule toutes les sanctions prises à leur encontre. Les lois ou décret d'amnistie, sont, selon Stéphane GACON « un processus juridique surprenant par l'effet radial qu'il impose : on oublie tout, rien ne s'est passé »185.

L'amnistie peut ainsi empêcher que des poursuites soient engagées ou menées à leur terme, annuler des peines d'emprisonnement déjà prononcées et/ou lever des sanctions déjà décidées. Dans certains cas, des amnisties peuvent aussi être accordées par la voie d'un traité international ou d'un accord politique. A titre illustratif, nous pouvons prendre le cas des pays comme l'Argentine en 1986, le Brésil en 1979 et aussi le Togo en 1995 qui ont tous adopté des lois d'amnistie pour empêcher toutes poursuites à l'encontre d'ex-dirigeants impliqués dans la commission de crimes internationaux. C'est également le cas de l'Etat du Chili dans l'affaire concernant l'ancien président Chilien Augusto Pinochet. Ce dernier était accusé des violations massives des droits de l'Homme par des victimes de sa dictature en Chili entre 1973 et 1978. Le 19 avril 1978, des lois d'amnistie sont promulguées186, garantissant l'impunité contre les

184 PASCAL (B), Pensées, édition du seuil, Paris, 1962, 433 p.

185 GACON (S.), L'amnistie. De la Commune à la guerre d'Algérie, Paris, Seuil, 2002, 432 p.

186 Le décret-loi 2191, connu sous le nom de « loi d'amnistie ».

poursuites judiciaires aux auteurs de crimes et exactions liés au coup d'État, commis entre le 11 septembre 1973 et le 10 mars 1978.

La grâce est, quant à elle, accordée au terme de poursuites et annule la peine prononcée à l'encontre d'une personne reconnue coupable sans l'absoudre du crime commis187. Autrement dit, la grâce n'efface pas la condamnation mais dispense la personne reconnue coupable de l'exécution de tout ou partie de sa peine. Le pouvoir de gracier une personne est du ressort du Président de la République, et est un principe à valeur constitutionnelle, présente dans presque tous les Etats du monde. Dans la constitution Sénégalaise, le droit de grâce est admis dans l'article 47188.

En droit international pénal, les mesures d'amnistie, de grâce, ou toute autre mesure qui aurait pour effet d'empêcher la conduite d'une enquête approfondie et l'engagement de poursuites ne doivent pas, en principe, être étendues aux personnes soupçonnées d'avoir commis, ou donné l'ordre de commettre, des crimes de guerre, des crimes de génocide, des crimes de guerre ou des crimes d'agression. Ces mesures seraient incompatibles avec l'obligation qui incombe aux États d'enquêter et, le cas échéant, de poursuivre les auteurs présumés189 car les actes constituant des crimes au regard du droit international et sur les violations graves de dispositions du droit international des droits de l'homme n'admettant aucune dérogation190. À plusieurs reprises, l'ONU a également déclaré que l'octroi d'amnisties pour les crimes les plus graves était inacceptable. À titre d'exemple : lors de l'Accord de paix de Lomé de 1999, le Représentant spécial de l'ONU a formulé une réserve à l'article 9 relatif à l'amnistie, au pardon et à la non-poursuite des auteurs de crimes perpétrés pendant la guerre civile en Sierra Léone, de mars 1991 au 7 juillet 1999191, date de signature de l'accord. Considèrent que les dispositions d'amnistie de l'accord de paix ne s'appliquent pas aux crimes internationaux de génocide, de crimes contre l'humanité, de crimes de guerre et autres violations graves du droit international humanitaire. Comme l'a déclaré le Secrétaire général de l'ONU à propos des dispositions de l'Accord de paix de Lomé : « Les conditions qui ont

187 CICR, Commentaire des Protocoles additionnels du 8 juin 1977 aux Conventions de Genève du 12 août 1949, 1987, par. 4617-4618

188 Loi N° 2001-03 du 22 janvier 2001 portant Constitution, Modifiée, Article 47 : « Le Président de la République a le droit de faire grâce. ».

189 CICR, Commentaire de la Première Convention de Genève, 2e édition, op. cit., note 8.

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190 Affaire GELMAN (J.) et al. C. Uruguay, Commission interaméricaine des droits de l'homme, rév. 1, 2007.

191 L'Accord de paix de Lomé entre le Gouvernement de la Sierra Léone et le Front révolutionnaire uni (RUF) a été conclu à Lomé le 7 juillet 1999.

permis cette paix, notamment les dispositions d'amnistie, peuvent être difficiles à concilier avec l'objectif de mettre fin à la culture de l'impunité »192. A la lumière du Statut de Rome également, il est clair que ces dispositions ne contiennent aucunement des mesures de clémences comme l'amnistie et le grâce présidentielle.

Cependant, ces mesures de clémence, constitue une entrave majeure à l'action efficace de la CPI dans la mesure où la CPI n'a pas la possibilité de juger une seconde fois une personne qui a été amnistiée pour un crime ou une punition. Et cela indifféremment du fait que l'amnistie soit octroyée par le Parlement, le Président de la République ou le Roi, ou lors des négociations de Paix ou de Réconciliation nationale. Ainsi, dans une certaine mesures certains dirigeants n'hésitent pas à adopter ces mesures en vertu de la souveraineté nationale, pour des raisons politiques ou autres, afin de soustraire leurs ressortissants à des poursuites par la CPI. Ce qui est le cas également de l'interdiction d'extradition en raison des lois nationales.

B) L'interdiction de l'extradition en raison des lois nationales

De point de vu définitionnel, l'extradition est un mécanisme juridique par laquelle un Etat, l'Etat requis, accepte de livrer une personne qui se trouve sur son territoire à un autre Etat, l'Etat requérant, qui la recherche afin de la juger pour la commission d'un crime ou afin de mettre à exécution une peine déjà prononcée pour la commission d'un crime. Elle est en d'autres termes « l'acte par lequel un Etat livre à un autre Etat intéressé à la répression d'un fait punissable un individu ou présumé coupable de ce fait pour qu'il soit jugé et puni s'il y a lieu, ou déjà condamné, afin qu'il subisse l'application de la peine encourue »193. Le principe de l'extradition des criminels est l'un des principes les plus importants de la coopération internationale ; il vise à garantir que les auteurs n'échappent pas aux poursuites ou demeurent dans l'impunité, d'autant plus que les crimes commis sont des crimes internationaux.

Au niveau international, Si l'extradition n'est pas permise dans les crimes politiques194, la doctrine établit que les crimes internationaux sont extradables. L'idée d'une

192 Rapport du Secrétaire général sur l'établissement d'un Tribunal spécial pour la Sierra Léone, Doc. N S/2000/915, le 4 octobre 2000, p. 5.

193 MERIGNHAC (A.), Traité de Droit International Public, Partie 2, 805p.

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194 L'article 14 de la Déclaration Universelle des droits de l'Homme de 1948 énonce le principe d'interdiction d'extradition pour les crimes politiques.

interdiction de l'extradition, en ce qui concerne les crimes internationaux, n'est pas recevable compte tenu de la cruauté et de la gravité de ces crimes et leurs auteurs sont considérés comme les pires criminels et représentent une menace à la paix et à la sécurité internationales.

L'obligation pour les États de coopérer en matière d'extradition est donc inhérente à l'obligation « aut dedere aut judicare » du mécanisme de répression prévu par les Conventions de Genève de 1949 pour les infractions graves à ces traités. Ce principe signifie tout simplement que l' « État sur le territoire ou au pouvoir duquel se trouve une personne prévenue a la possibilité de la juger lui-même ou de la remettre, pour jugement, à un autre État intéressé à la poursuite et de s'acquitter ainsi de l'obligation de poursuivre ou d'extrader ». L'article 88, par. 2, du Protocole I de 1977 additionnel aux Conventions de Genève195, vient confirmer ce principe qui établit expressément à l'intention des parties au traité un devoir de coopérer en matière d'extradition, lorsque les circonstances le permettent. Ce devoir comprend l'obligation d'examiner favorablement toute demande d'extradition d'un pays justifiant d'un intérêt juridique à la poursuite, si les conditions posées par le droit de l'État requis sont satisfaites.

En ce qui concerne le Statut de Rome, nous savons qu'il a octroyé à la CPI une compétence complémentaire à celle des États car « la CPI exercera sa compétence uniquement lorsqu'un État n'a pas la volonté ou est dans l'incapacité de mener véritablement à bien l'enquête ou les poursuites »196. Dans cette mesure, et comme nous l'avions souligné dans la première partie de notre travail, l'efficacité de la CPI dépendra dans une large mesure de la coopération des États, dont les modalités sont définies au Chapitre IX du Statut de la Cour.

Au niveau de l'article 86 du Statut, il est stipulé que les États parties doivent coopérer pleinement avec la Cour dans les enquêtes et poursuites qu'elle mène en rapport avec les crimes relevant de sa compétence, à savoir, le génocide, les crimes contre l'humanité, les crimes de guerre et le crime d'agression. La Cour peut aussi inviter tout État non partie à son Statut à prêter son assistance sur la base d'un arrangement ad hoc, d'un accord ou sur toute autre base appropriée. Ainsi, la Cour peut présenter à tout État une demande visant à l'arrestation et à la remise à la Cour d'une personne se trouvant sur le territoire dudit État, et solliciter la

195 Article 88 par. 2 du Protocole I de 1977 additionnel aux Conventions de Genève : « Sous réserve des droits et des obligations établis par les Conventions et par l'article 85, paragraphe 1, du présent Protocole, et lorsque les circonstances le permettent, les Hautes Parties contractantes coopéreront en matière d'extradition ».

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196 Statut de Rome de la CPI, art. 17, par. 1.a

coopération de cet État pour l'arrestation et la remise. Dans le Statut de Rome, il est utilisé le terme « remise » plutôt que « extradition », qu'il définit comme une procédure de l'État à la demande de la Cour pour consentir à ce que la personne sur son territoire soit traduite devant la CPI pour jugement. La CPI peut aussi demander l'arrestation provisoire de la personne recherchée en attendant la présentation de la demande de remise et les pièces justificatives définies à l'article 91.

Mais, force est de constater que pour la plupart des pays du monde, l'extradition est un mécanisme interdit par la Constitution, le considérant ainsi comme un principe constitutionnel dont la base juridique se trouve dans les traités internationaux entre Etats, la législation nationale, la coutume et la réciprocité internationale. Ce caractère souverain de l'extradition ne permet pas à un État ou à une organisation internationale d'obliger un pays à extrader ses ressortissants vers un autre État ou un pouvoir judiciaire étranger, la CPI en l'occurrence. A titre illustratif, nous pouvons prendre le cas de l'affaire opposant l'Etat du Sénégal et l'Etat de la Belgique sur la demande l'extradition de l'ex-président du Tchad Hissène Habré197. L'ex-président tchadien est poursuivi pour crimes contre l'humanité et est réfugié à Dakar depuis sa chute en 1990. Le Sénégal avait en effet posé son véto à l'extradition de ce dernier pour être juger en Belgique pour les crimes internationaux qu'on lui a reproché tout au long de son mandat198. Hissène Habré n'a au final pas été extradé en Belgique, la justice sénégalaise ayant refusé pour vice de forme la demande de Bruxelles. Au Sénégal, le tribunal spécial africain de Dakar autrement appelé les Chambres Africaines Extraordinaires (CAE)199 a tranché. Après dix mois de procès, l'ancien président du Tchad, Hissène Habré, a été condamné lundi 30 mai 2016 à la réclusion criminelle à perpétuité par une juridiction africaine extraordinaire qui l'a reconnu coupable de crimes contre l'humanité, de torture et de viols lors de la répression menée lorsqu'il était à la tête de son pays entre 1982 et 1990. Hissène Habré a été rattrapé par son passé et le procès qui s'est déroulé sur le continent africain, et non devant

197 Cour internationale de Justice, 20 juillet 2012, Belgique C. Sénégal, Questions concernant l'obligation de poursuivre ou d'extrader.

198 MANDIANG (I.), « L'affaire Hissene Habré » devant les Chambres Africaines Extraordinaires : Ou une expérimentation réussie de la mise en oeuvre de la compétence universelle par le juge sénégalais », Revue de la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques de l'UCAD, Vol. 1- 2e partie, CREDILA, Avril 2018, pp. 163-203.

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199 Les Chambres africaines extraordinaires (CAE) sont un tribunal créé en 2013 par un accord entre l'Union africaine (UA) et le Sénégal pour connaître des crimes internationaux commis au Tchad du 7 juin 1982 au 1er décembre 1990.

la Cour pénale internationale (CPI)200, une expérimentation réussie de la compétence universelle par le juge sénégalais 201, pour reprendre les propos du professeur Ibrahima MANDIANG.

En effet, Les raisons qui poussent les Etats à être réticent vis-à-vis de l'extradition sont entre autres nationalité d'abord, qui empêche l'extradition d'un citoyen, ensuite de l'injustice éventuelle d'un tribunal étranger envers ses ressortissants, enfin dans le souci de conserver la souveraineté de l'État. Cette nature souveraine de l'extradition la place au coeur des affaires intérieures des États dans lesquels la Charte de l'ONU interdit toute ingérence conformément aux dispositions de son article 2-7202.

Au regard de tout ce qui précède, nous pouvons conclure que la souveraineté étatique est une un obstacle juridique considérable au bon fonctionnement de la CPI, mais il n'est pas de loin le seul car la CPI fait face aussi à la question de l'immunité internationale.

Section 2 : Les obstacles juridiques liés au principe de l'immunité internationale

En effet, l'immunité est considérée comme étant un obstacle juridique au bon fonctionnement de la CPI, dans la mesure où elle à la possibilité de freiner ou d'empêcher une procédure pénale de se dérouler en toute justice contre qui en bénéficient et qui par le fait ne pourront être accusés d'un crime qu'ils ont commis et ce, en violant les dispositions de la loi qui incrimine cet acte203. L'immunité désigne une prérogative juridique reconnue par le droit national et international à certaines personnes afin de leur permettre d'exercer leurs fonctions en toute liberté et à l'abri de toute pression, y compris judiciaire. Au niveau international

200 RFI : Hissène Habré: pourquoi son procès est historique, Publié le : 30/05/2016 - 23:03 Modifié le : 31/05/2016 - 10:40. https://www.rfi.fr/fr/afrique/20160530-tchad-senegal-hissene-habre-pourquoi-proces-historique , consulté le 06 Novembre 2023.

201 MANDIANG (I.), « L'affaire Hissene Habré » devant les Chambres Africaines Extraordinaires : Ou une expérimentation réussie de la mise en oeuvre de la compétence universelle par le juge sénégalais », Revue de la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques de l'UCAD, Vol. 1- 2e partie, CREDILA, Avril 2018, pp. 163-203.

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202 L'article 2-7 de la Charte de l'ONU énonce que « Rien dans la présente Charte ne peut justifier que l'Organisation des Nations Unies s'ingère dans des affaires qui relèvent de la compétence nationale d'un État et n'oblige pas ses membres à soumettre ces questions à la Charte, que ce principe est sans préjudice de l'application des mesures de répression contenues dans le Chapitre VII ».

203 El ZAWAM (S.), Les obstacles au jugement des criminels devant la Cour Pénale Internationale, Thèses de doctorat, Université de Bordaux, 24 Novembre 2022, 546p.

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l'immunité de juridiction est un outil destiné à protéger la souveraineté et l'indépendance des États en évitant la mise en cause d'un État et de ses agents devant les tribunaux étrangers. Elle constitue dans une certaine mesure un obstacle au bon fonctionnement de la Cour Pénale Internationale, et ce même dans la mesure où dans le Statut de Rome, la question de l'immunité a bien été traitée. En effet, le défaut de pertinence de la qualité officielle est la solution mise en place par le S.R. pour en venir à bout de l'immunité des dirigeants, cependant nous constateront que cette solution est controversée (Paragraphe 2) dans une certaine mesure. Avant cela, nous porterons notre étude sur la notion de l'immunité en droit international (Paragraphe 1).

Paragraphe 1 : L»immunité des hauts représentants de l'Etat en droit international

L'immunité des hauts représentants étatiques découle historiquement de celle des Etats et se rapproche, sur de nombreux aspects, de celle des diplomates. Elle constitue cependant un système immunitaire à part entière et connaît des règles qui lui sont propres. Le fondement étant la base juridique sur laquelle repose un principe, l'immunité internationale des hauts responsables possède un double fondement. Elle dispose non seulement d'un fondement coutumier (A) mais également un fondement conventionnel (B).

A) Le fondement coutumier de l'immunité des hauts dirigeants de l'Etat

En effet, le droit international coutumier est la source la plus importance des immunités des Chefs d'Etat. Ces origines remontent au XVIe siècle. De nos jours, de nombreux jugements nationaux leurs accordent un tel privilège si bien que l'existence d'une coutume attribuant l'immunité aux plus hauts dirigeants étatiques fait aujourd'hui pratiquement l'unanimité parmi les auteurs et n'est pas contesté non plus par la CIJ204. Pendant longtemps, les Chefs d'Etat étaient les seuls hauts dirigeants à qui l'on accordait l'immunité au niveau international en raison de leur place centrale dans les relations internationales.

Cependant, avec l'évolution des relations internationales, force est de constater un élargissement certain de l'immunité. En effet, il est incontestable que le rôle du ministre des

204 Mandat d'arrêt du 11 avril 2000 (République démocratique du Congo c. Belgique), arrêt, CIJ Recueil 2002, par. 53.

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affaires étrangères et du chef de gouvernement ait évolué et qu'ils aient pris une place de premier plan dans les relations internationales. Au sein de l'ordre juridique international, ils il est majoritairement considéré qu'au vu du comportement des Etats vis-à-vis de ces deux autres dirigeants, il existe une coutume leur attribuant la même immunité qu'au chef d'Etat205. Cet avis a été suivi par la CIJ dans l'affaire relative au Mandat d'arrêt du 11 avril 2000, bien que la Cour n'ait pas démontré l'existence d'opinio iuris ni de pratique générale mais se soit plutôt basée sur le fondement fonctionnel de l'immunité pour l'étendre au ministre des affaires étrangères.

En effet, d'une manière générale, les immunités coutumières sont une garantie de l'égalité souveraine entre États206. Cette immunité est le plus souvent limitée aux actes commis dans l'exercice de fonctions officielles et pour la durée de cet exercice. Il est généralement admis qu'il existe deux types d'immunités (en vertu du droit national et international) :

· L'immunité fonctionnelle, qui s'attache à la fonction. Celle-ci couvre certaines activités des représentants de l'État et survit à la fin de leur mandat. Elle est donc accordée aux personnes qui exécutent certaines fonctions de l'Etat. Elle s'applique à toute personne agissant en sa qualité officielle de représentant d'un Etat et se limite aux actes liés à la fonction. En droit international coutumier, l'immunité des ex-Chefs d'Etat ne leur est accordé que pour les actes commis lors de leur mandat. Les objectifs de l'immunité fonctionnelle sont d'abord la protection des individus lorsqu'ils agissent dans le cadre de leur fonction officielle ; ensuite d'empêcher les tribunaux étrangers de contourner l'immunité des Etats ; enfin de permettre aux hauts dirigeants de l'Etat d'accomplir ses fonctions sans crainte d'être poursuivi devant les juridictions étrangères une fois qu'ils ne seront plus en fonction ;

· L'immunité personnelle, qui s'attache à la personne en raison de son statut. Celle-ci couvre tous les actes accomplis par ceux qui bénéficient de l'immunité mais ne dure que le temps durant lequel les personnes concernées sont en fonction. L'immunité personnelle par contre est rattachée à la qualité officielle de la personne et non à sa fonction. Ainsi, l'inviolabilité des hauts dirigeants résulte du fait qu'ils incarnent l'Etat en leur personne, et par conséquent, ils ne peuvent faire objet de poursuite judiciaire auprès d'une instance judiciaire étrangère.

205 Ibid.

206 Convention de Vienne sur les relations diplomatiques, Préambule, § 4.

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Au regard du droit international coutumier, les hauts dirigeants d'Etat jouissent d'une immunité juridictionnelle devant les tribunaux d'autres Etats pour la durée de leur mandat. Ce qui veut dire qu'au cours de l'exercice de leur fonction, ces derniers ne doivent pas être forcé à comparaitre devant une instance judiciaire étrangère, ni être sanctionné civilement ou pénalement par une juridiction étrangère. Mis à part la consécration de l'immunité par la coutume, cette dernière possède également une source conventionnelle.

B) Le fondement conventionnel de l'immunité international

Au niveau international, il n'existe pas de convention, ni de traité qui traite directement et spécifiquement de la question de l'immunité des hauts dirigeants étatiques. Cependant, plusieurs traités abordent le sujet de manière ponctuelle ou se consacrent à des domaines proches et peuvent parfois être applicables. Ainsi, plusieurs conventions au niveau international peuvent servir d'exemple parmi tant d'autres : la Convention sur les missions spéciales de 1969, La Convention de Vienne sur les relations diplomatiques de 1961, La Convention sur la prévention et la répression des infractions contre les personnes jouissant d'une protection internationale de 1973, La Convention de Vienne sur le droit des traités de 1969 et pour finir la Convention sur les immunités juridictionnelles des Etats et de leurs biens de 2004. Ces nombreuses conventions, bien que ne faisant pas forcement référence à la répression de crimes internationaux car la commission de crimes graves exclurait l'immunité internationale207, jouent un rôle important dans le cadre de cette étude.

Le 8 décembre 1969, à travers la résolution 2530 (XXIV), l'Assemblé générale des Nations Unies a adopté la Convention sur les missions spéciales ainsi qu'un Protocole concernant le règlement obligatoire des différends. La Convention sur les missions spéciales comporte en total 55 articles dont les articles 19 et 21 à 49 traitent de la question des privilèges et les immunités. La mission spéciale que vise cette convention constitue une « mission temporaire, ayant un caractère représentatif de l'Etat, envoyée par un Etat auprès d'un autre

207 Art. IV de la Convention sur la prévention et la répression du crime de génocide du 9 décembre 1948 ; voir aussi art. 1 ch. 1 Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants du 10 décembre 1984.

Etat avec le consentement de ce dernier pour traiter avec lui de questions déterminées ou pour accomplir auprès de lui une tâche déterminée »208.

Comme nous l'avions souligné ci-haut, la question des privilèges et immunités internationales sont traitée dans les articles 19 à 49. Au niveau de l'art. 21 de cette convention, la question des immunités des hauts représentants étatiques siège clairement, mais le souci est que cet article n'apporte pas de précisions utiles sur leur nature ou leur étendue209, car il se contente de renvoyer aux immunités déjà reconnues par le droit international.

En ce qui concerne la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques du 18 avril 1961, elle ne s'intéresse uniquement qu'aux diplomates et le personnel diplomatique. La Convention précise dans son préambule « qu'une convention internationale sur les relations, privilèges et immunités diplomatiques contribuerait à favoriser les relations d'amitié entre les pays, quelle que soit la diversité de leurs régimes constitutionnels et sociaux »210, elle rappelle que les privilèges et les immunités permettent « l'accomplissement efficace des fonctions des missions diplomatiques en tant que représentants des Etats »211. La convention de vienne sur le droit des traités quant à elle, attribue un statut particulier de représentation de l'Etat qui est spécifique aux membres de la mission.

Concernant la Convention sur les immunités juridictionnelles des Etats et de leurs biens inclut les organes de gouvernement dans sa définition d'Etat212. Ainsi, cette immunité est accordée aux représentants de l'Etat lorsqu'ils agissent dans leur capacité officielle. Il est bien de noter que la Convention ne fait toutefois ni référence au chef de gouvernement ni au ministre des affaires étrangères. Elle ne traite pas des immunités rationae personae mais précise qu'elle ne porte pas préjudice à ce type d'immunité lorsqu'elles bénéficient aux chefs d'Etat213.

208 Convention sur les missions spéciales, 8 décembre 1969, article 1er.

209 Convention sur les missions spéciales, 8 décembre 1969, Article 21 STATUT DU CHEF DE L'ETAT ET DES PERSONNALITÉS DE RANG ÉLEVÉ : « 1. Le chef de l'Etat d'envoi, quand il se trouve à la tête d'une mission spéciale, jouit, dans l'Etat de réception ou dans un Etat tiers, des facilités, privilèges et immunités reconnus par le droit international aux chefs d'Etat en visite officielle. 2. Le chef du gouvernement, le ministre des affaires étrangères et les autres personnalités de rang élevé, quand ils prennent part à une mission spéciale de l'Etat d'envoi, jouissent, dans l'Etat de réception ou dans un Etat tiers, en plus de ce qui est accordé par la présente Convention, des facilités, privilèges et immunités reconnus par le droit international ».

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210 Convention de Vienne sur les relations diplomatiques du 18 avril 196164, préambule.

211 Ibid.

212 Convention des Nations Unies sur les immunités juridictionnelles des Etats et de leurs biens du 2 décembre 2004,

213 Ibid. article 3, chap 2.

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A tout cela, nous pouvons ajouter l'immunité des ressortissants américains devant CPI. En effet, à travers la résolution 1422 du 12 juillet 2002 adopté par le conseil de sécurité de l'ONU, les Etats-Unis jouissent de l'immunité systématique et perpétuelle de poursuite devant la Cour pénale internationale de tout citoyen d'un pays n'ayant pas signé le traité de Rome. L'enjeu du compromis était de taille : les Etats-Unis ayant menacé que, si les Etats-Unis ne pouvaient pas obtenir pour leurs ressortissants une protection jugée par eux suffisante, ils étaient disposés à mettre fin aux opérations de maintien de la paix à travers le monde l'une après l'autre au fur et à mesure que leur mandat arrivait à expiration.

En partant de tout ce qui précède, nous pouvons constater que l'immunité international a été consacrée par de nombreux textes internationaux et la coutume internationale. Toutefois, en droit international pénale, une solution a été trouvée pour lutter contre la question de l'immunité internationale.

Paragraphe 2 : Le défaut pertinence de la qualité officielle : une solution controversée à la question de l'immunité

En effet, la question de l'immunité a bien été traitée par le S.R. Ce dernier rejette la possibilité d'invoquer l'immunité devant la Cour Pénale Internationale à travers le principe du défaut de pertinence de la qualité officielle. Cependant ce principe mis en place par le S.R semble un peu controversée. Pour aller plus loin nous verrons dans un premier temps l'étendu du principe du défaut pertinence de la qualité officielle (A) avant de voir dans un second temps les limites au principe (B).

A) L'étendu du principe de la non-pertinence de la qualité officielle

La principe défaut de pertinence de la qualité officielle est cristallisée dans l'article 27 du Statut de Rome de la CPI. A la lumière de l'article 27 : « 1. Le présent Statut s'applique à tous de manière égale, sans aucune distinction fondée sur la qualité officielle. En particulier, la qualité officielle de chef d'État ou de gouvernement, de membre d'un gouvernement ou d'un parlement, de représentant élu ou d'agent d'un État, n'exonère en aucun cas de la responsabilité pénale au regard du présent Statut, pas plus qu'elle ne constitue en tant que

telle un motif de réduction de la peine. 2. Les immunités ou règles de procédure spéciales qui peuvent s'attacher à la qualité officielle d'une personne, en vertu du droit interne ou du droit international, n'empêchent pas la Cour d'exercer sa compétence à l'égard de cette personne. »214.

En effet, le défaut de pertinence de la qualité officielle implique que le Statut de la CPI s'applique à tous de manière égale, sans aucune distinction fondée sur la qualité officielle. Elle a été instaurée plus précisément pour en venir à bout de l'immunité des chefs d'états et de gouvernement, de membre de gouvernement ou de parlementaire, de représentant élu ou d'agent d'un Etat. Pour appuyer, l'article 7 du Statut de Rome dispose que « les immunités ou règles de procédure spéciales qui peuvent s'attacher à la qualité officielle d'une personne, en vertu du droit interne ou du droit international, n'empêchent pas la Cour d'exercer sa compétence à l'égard de cette personne »215.

Ainsi, l'immunité accordée aux hauts dirigeants de l'Etat n'empêche pas la Cour d'exercer sa compétence en matière d'enquête ou de procès216. Pour ce qui concerne de responsabilité des chefs militaires et autres supérieurs hiérarchiques, l'article 28 du Statut dispose : « a) Un chef militaire ou une personne faisant effectivement fonction de chef militaire est Pénalement responsable des crimes relevant de la compétence de la Cour commis par des forces placées sous son commandement et son contrôle effectif, ou sous son autorité et son contrôle effectifs »217.

A travers ces deux textes, nous pouvons avoir la confirmation du fait que toutes les personnes comparaissent devant la CPI sur un pied d'égalité, quelle que soit la qualité officielle dont elles jouissent, ou plus précisément, la qualité officielle ne constitue pas un motif de distinction entre ceux qui en bénéficient et les autres. Elle ne constitue pas non plus un motif d'impunité ou d'atténuation de la punition. Les textes confirment également la non-pertinence des immunités ou d'autres règles de procédure, qu'elles soient prévues dans le droit pénal national ou international.

214 Statut de Rome de la CPI, Article 27.

215 Statut de Rome de la CPI, Article 7.

216 DOMINCE (C.), « Quelques observations sur l'immunité de juridiction pénale de l'ancien chef d'Etat », in Revue générale de droit international public, Paris, Pedone, 1999, pp. 297-308.

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217 Statut de Rome de la CPI, Article 28.

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En partant ce qui a été développé ci-haut, nous pouvons conclure que la non-pertinence de la qualité officielle a été posé par le Statut de Rome pour une meilleure efficacité de la CPI dans l'exécution de sa mission. Cependant nous constatons que ce principe n'est pas absolu car il regorge certaines limites et est confrontés à certains défis.

B) Les limites au principe du défaut de pertinence de la qualité officielle

En effet le défaut de pertinence de la qualité officielle connait certaines limites qui, indirectement affecte la CPI dans la poursuite et le jugement des personnes ayant commis des crimes internationaux. Le Statut a inclus dans l'article 98 du Statut de Rome la « coopération en relation avec la renonciation à l'immunité et le consentement à la remise » qui constitue une entrave fondamentale à l'exercice des fonctions de la Cour par l'adoption d'un mécanisme obligatoire pour la levée de l'immunité. Et ce, en contradiction avec l'article 27 qui énonce le principe d'égalité des personnes devant la Cour, quelle que soit leur qualité.

A la lumière de l'article 98 : « 1. La Cour ne peut poursuivre l'exécution d'une demande de remise ou d'assistance qui contraindrait l'État requis à agir de façon incompatible avec les obligations qui lui incombent en droit international en matière d'immunité des États ou d'immunité diplomatique d'une personne ou de biens d'un État tiers, à moins d'obtenir au préalable la coopération de cet État tiers en vue de la levée de l'immunité. 2. La Cour ne peut poursuivre l'exécution d'une demande de remise qui contraindrait l'État requis à agir de façon incompatible avec les obligations qui lui incombent en vertu d'accords internationaux selon lesquels le consentement de l'État d'envoi est nécessaire pour que soit remise à la Cour une personne relevant de cet État, à moins que la Cour ne puisse au préalable obtenir la coopération de l'État d'envoi pour qu'il consente à la remise. ».

Nous pouvons comprendre à travers cet article que les hauts dirigeants de l'Etats qui sont appelés à comparaître devant la CPI ne doivent pas être sur le territoire de l'État dont ils ont la nationalité, et qui leurs confère l'immunité. Ils doivent donc se situer sur le territoire d'un Etat étranger. De ce fait la Cour a la possibilité de demander à cet État de lui remettre la personne et de demander en même temps à l'État dont la personne a la nationalité de renoncer à l'immunité conformément à la législation nationale applicable.

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Dans la mesure où l'Etat refuse de lever l'immunité de son président ou de son dirigeant, la Cour ne sera plus en mesure de poursuivre la personne et de mettre un terme à l'impunité des auteurs de crimes internationaux. Il faut noter que la CPI n'a pas la possibilité de contraindre l'État hôte du président à le lui remettre ; dans ce cas, l'État hôte pourrait simplement invoquer le fait que l'extradition d'un chef d'État serait en violation de son obligation internationale de respecter l'immunité qui lui est reconnue par la législation de l'État dont le Président est ressortissant. Ce qui pourrait entrainer une tension dans les relations entre les deux États si les pays hôtes doivent remettre les prévenus à la Cour à l'insu des États dont ils sont ressortissants ou sans leur consentement, en levant par là-même l'immunité de la personne concernée, bien que cette possibilité soit rare.

Ainsi, nous pouvons conclure que l'article 98 relatif à l'exception d'immunité se heurte fondamentalement à l'article 27 du Statut de Rome. Car ce dernier dispose en son alinéa 1 que le Statut « s'applique à tous de manière égale, sans aucune distinction fondée sur la qualité officielle ». Au regard de l'alinéa 2 les immunités ou règles de procédures spéciales qui peuvent s'attacher à la qualité officielle de la personne sont écartés en vertu du droit interne ou du droit international comme motif d'incompétence de la Cour. En d'autres termes, d'une part, la qualité officielle « n'exonère en aucun cas de la responsabilité pénale » au regard du Statut de Rome, pas plus d'ailleurs qu'elle ne constitue en tant que telle un motif de réduction de la peine ; d'autre part, les immunités ou règles de procédures spéciales pouvant s'attacher à ladite qualité n'empêchent nullement la Cour d'exercer sa compétence à l'égard d'une personne ayant la qualité officielle218.

Ainsi, la souveraineté de l'Etat et l'immunité internationale sont de loin les deux grands obstacles juridiques que fait face la Cour Pénale Internationale dans la lutte contre l'impunité des crimes internationaux. Cependant la Cour aussi face à des obstacles d'ordre politique qui freinent ou empêchent son action.

218 MANDIANG I., Les États africains et l'obligation de coopération avec les juridictions pénales internationales, Thèse de doctorat en Droit Public, UCAD, 2017, 489p

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