Chapitre 1 : Les entraves juridiques de la Cour
Pénale Internationale
Les obstacles d'ordres juridiques auxquels la CPI fait face
dans l'exécution de sa mission sont nombreux et variés. Dans le
cadre de cette étude nous mettrons en exergue la souveraineté
étatique (Section 1) et l'immunité internationale (Section 2) qui
sont les deux plus grandes difficultés qui se dressent devant la CPI
dans la lutte contre l'impunité des crimes internationaux.
Section 1 : Les obstacles juridiques liés
à la souveraineté étatique
En effet, l'un des obstacles majeurs qui se dresse contre
l'efficacité de la CPI est la souveraineté, souvent
évoqué par les Etats pour rendre l'exercice de la Cour
impossible165. L'étude du conflit existentiel entre la
souveraineté étatique et les compétences de la CPI
(Paragraphe 1) sera menée dans un premier temps avant l'analyse dans un
second temps les obstacles issues des lois nationales des Etats (Paragraphe 2)
qui freinent le bon fonctionnement de la justice pénale
internationale.
Paragraphe 1 : Le conflit existentiel entre la
souveraineté étatique et les compétences de la
CPI
En effet, la souveraineté étatique a un impact
négatif, dans une certaine mesure, sur les activités de la Cour
Pénale Internationale. Pour aller plus loin, notre étude se
tournera d'abord sur la signification du principe de la souveraineté
étatique (A) avant d'analyser l'influence de la souveraineté
étatique sur l'action de la CPI (B).
A) La signification du principe de la
souveraineté étatique
La souveraineté, comme de nombreuses notions de
Sciences Sociales, est imprécise et
indéterminée166. Hans STEINBERGER va appuyer en disant
que « c'est la notion la plus controversée du droit
international public »167. Elle est le principe de
l'autorité suprême. En matière de politique, la
souveraineté est le droit absolu d'exercer une autorité
(législative,
165 El ZAWAM (S.), Les obstacles au jugement des criminels
devant la Cour Pénale Internationale, Thèses de doctorat,
Université de Bordaux, 24 Novembre 2022, 546p.
166 ROUSSEAU (C.H), « l'indépendance de
l'État dans l'ordre international », Recueil des Cours de
l'Académie de Droit International de La Haye, ci-après «
R.C.A.D.I. », 1948-II, t. 73, pp. 167-253.
52
167 STEINBERGER (H.), Souveraineté, In :
Encyclopédie des différends, tranche 10, Elsevier,
Amsterdam, 397418.
judiciaire et/ou exécutive) sur une région, un
pays ou sur un peuple. Dans la conception machiavélique, la
souveraineté désignait le degré de puissance d'un
être sans aucune soumission, c'est-à-dire une sorte
d'autorité suprême et illimitée168. En effet la
souveraineté, selon la formule employée par l'arbitre Max HUBERT
dans l'affaire Ile de Palmas : « est la plénitude et
l'exclusivité des compétences de l'État,
c'est-à-dire l'indépendance relativement à une partie du
globe et le droit d'y exercer, à l'exclusion de tout autre État,
les fonctions Étatiques169 ». Cette jurisprudence
célèbre appréhende la souveraineté Étatique
dans le sens classique. Chaque État est maitre absolu sur son territoire
national. Cela signifie également que « Chaque État a le
droit de choisir et de développer le système politique, social et
économique qui lui convient »170. Pour Jean BODIN,
il définissait la souveraineté comme : « la puissance
absolue et perpétuelle d'une République »171
. Ce dernier va encore ajouter que c'est « le pouvoir de commander et
de contraindre sans toutefois être commandé ni contraint par qui
que ce soit »172. Pour Georges JELLINEK quant à
lui, il avait fait le lien entre la notion de souveraineté à la
toute-puissance de l'État pour parler de « la compétence
des compétence ». On peut comprendre par-là, le pouvoir
originaire, illimité, incontesté, incontestable, et
inconditionné de l'État. C'est-à-dire qu'elle est continue
et illimitée.
La souveraineté peut être appréhender sur
le plan interne ou externe. Au plan interne, la souveraineté signifie
que dans son territoire et dans la limite de ses frontières,
l'État se trouve au sommet. L'État n'est subordonné
à aucune autre entité et n'est soumis qu'à sa propre
volonté. Il exerce son autorité suprême sur une population
et un territoire donné. La souveraineté signifie donc
indépendance, capacité à ne pas se voir imposer la
volonté des autres, et liberté d'organisation interne. C'est pour
cette raison que Monsieur Charles LOYAUX disait que : « c'est la
souveraineté qui donne l'être à l'État
».
Au niveau international, la souveraineté repose sur le
principe d'égalité entre les États, quelles que soient
leur puissance effective, leurs ressources ou leur démographie, et donc
indépendamment des inégalités de fait. On parle ainsi,
dans la Charte des Nations unies, d'« égalité souveraine
»173. Cette égalité signifie aussi que les
États ne sont soumis à aucune instance supérieure. Ils
sont théoriquement subordonnés aux seules normes qu'ils ont
eux-
168 MACHIAVEL (N), LE PRINCE, Ebooks libres et gratuits,
1515, 119p.
169 Sentence arbitrale rendue par la CPA dans l'affaire l'ile
des Palmas ayant opposé les USA au Pays-Bas le 28 Avril 1928, RGDPI,
1935, vol II, P.838.
170 Voir Résolution 2625(XXVe AG de l'ONU) du 25 Octobre
1970 sur les relations amicales entre les États.
171 BODIN (J.), Les Six livres de la République,
Paris, Jacques du Puis, 1576, 861 p.
53
172 Ibid.
173 La Charte des Nations Unies du 26 juin 1945, article 2 §
1.
mêmes définies ou auxquelles ils ont consenti.
Les relations internationales sont ainsi caractérisées par des
relations horizontales entre des groupes politiques indépendants.
En d'autres termes, la souveraineté est perçue
au niveau externe comme le droit qu'a l'État de gérer pleinement
les affaires nationales en toute indépendance, sans ingérence
étrangère. C'est une puissance structurante de la
société internationale, mais surtout un principe
d'autorité suprême s'appliquant individuellement à chaque
État indépendant174. La consécration d'un tel
principe vise à équilibrer les relations internationales. Ainsi,
« l'existence du principe de l'égalité souveraine est
une nécessité logique qui découle de l'existence
même de la société internationale. Dans une telle
société, souveraineté et pluralité vont de pair
»175. Pour Monsieur Koffi Atta ANAN176, «
la souveraineté intègre les valeurs d'humanité qui est
désormais redéfinie par les forces de la mondialisation et de
coopération internationale »177. Cette conception
semble limiter la notion de souveraineté. Dans la mesure où
l'environnement international se caractérise par un faisceau des
principes et des règles intangibles. C'est ce qui justifie la
déclaration de Monsieur Boutros Boutros GHALI : « Il est
inconcevable qu'un État s'abrite derrière sa souveraineté
pour bafouer sur son territoire et à l'abri des regards les principes
démocratiques et les droits de la personne humaine ». Par
exemple, « la violation de l'obligation démocratique par un
gouvernement ou l'éclatement d'un conflit armé de grande ampleur,
peuvent ouvrir la voie à l'intervention extérieur au moyen de la
force armée, sous réserve d'une autorisation expresse par le
CS »178. En en droit international pénal, nous
remarquons une certaine influence de la souveraineté étatique sur
les actions de la CPI.
B) L'influence de la souveraineté étatique
sur l'action de la CPI
En effet, le droit international pénal, à
l'image de La CPI, est fondé sur la souveraineté des Etats. Les
TPI ad hoc (le TPIR et le TPIY) et la CPI sont des juridictions pénales
internationales créées pour juger les auteurs des faits commis
sur le territoire d'un ou plusieurs
174 MOUELLE KOMBI (N), « Ethique et souveraineté
des États dans l'ordre juridique international » in revue
camerounaise d'étude internationale, NO 2, 1er semestre, 2009,
p32.
175 KOHEN (M. K), « commentaire de l'article 2 de la
charte des nations unies » in commentaire de la CNU, 2005,
P.401-402.
176 Ancien Secrétaire Général de l'ONU
177 ANAN (K.A.), « two concepts of sovereignty »,
the economist, 1999, pp49-50.
54
178 OLINGA (D. A), l'assistance humanitaire et la
protection des droits de l'homme face au principe de nonintervention en droit
international contemporain, thèse de doctorat, Université de
Montpellier I, 1993,
487p.
Etats disposant tous d'un système judiciaire.
Dès lors que sont créées les juridictions pénales
internationales, la question doit alors être tranchée de savoir si
la justice pénale internationale a la primauté sur celle
nationale ou si elle est simplement complémentaire,
subsidiaire179. Contrairement aux TPI ad hoc, la CPI n'a aucune
primauté pour la poursuite et le jugement des auteurs
présumés responsables des crimes visés par son Statut.
« C'est même l'inverse »180. Le Statut est
fondé sur un principe de complémentarité de la CPI par
rapport aux juridictions nationales. Ce principe, affirmé dès le
préambule du Statut, a pour conséquence les questions de
recevabilité exposées dans les articles 17, 18 et19.
Concrètement, cela implique que la Cour doit
déclarer irrecevable toute affaire portée devant elle par le
Procureur de la Cour si elle a donné ou donne lieu à
enquête, poursuite ou jugement dans un Etat ayant compétence. Si,
toutefois, la procédure engagée par l'Etat semble symbolique ou
si elle ne traduit pas l'intention réelle de réprimer les faits
en cause, la Cour est alors fondée à en connaître.
En d'autres termes, nous pouvons considérer que la Cour
Pénale Internationale est une juridiction qui fondée sur la
souveraineté des Etats, dans la mesure où celle-ci n'a pas
été créé pour se substituer aux juridictions
internes des Etats, mais pour les compléter. L'Etat dispose d'une
souveraineté juridictionnelle qui constitue « un ensemble de
pouvoir juridiques reconnus aux Etats, lui permettant d'exercer, dans un espace
déterminé, les fonctions étatiques, c'est-à-dire
d'accomplir des actes destinés à produire des effets de droit
(...) »181. En effet, la primauté des juridictions
internes consacrée par le S.R. justifie la souveraineté judicaire
des Etats dans l'ordre interne.
Cependant, en matière juridictionnelle, beaucoup
d'Etat, en vertu de la souveraineté, souhaitent toujours sauvegarder
l'autorité de leurs tribunaux et réserver l'exercice de la
compétence de la CPI au seul cas où il y'aurait une
défaillance incontestable du système judicaire national ou une
manipulation claire pour faire échapper des suspects à la
CPI182. D'autre part, de manière souveraine, les Etats sont
très souvent prêt à exiger des garantis au
179 BAZELAIRE (J-P.) et CRETIN (T.), « La justice
pénale internationale », In: Politique
étrangère, n°1 - 2001 - 66?année. pp.
212-213.
180 DAVID (E.), Principes de droit des conflits
armés, 6e éd., Bruxelles, Bruylant, 2019, 14124p.
181 ROUSSEAU (C.E.), Droit international public,
7e édition, Dalloz, 1973, 415 p.
55
182 BAKKER (C), « Le principe de
complémentarité et les auto-saisines, un regard critique sur la
Cour pénale internationale », RGDIP, 112/2008, N°2,
pp.362-375.
56
niveau de la coopération entre eux et la CPI. Ils ont
entre autres la possibilité d'évoquer « la
sécurité nationale » pour refuser de fournir certaines
informations à la CPI, ce qui est tout à fait de leur droit
accordé par le Statut de Rome en vertu de l'article 72183.
Cependant, dans le but de se soustraire de la justice pénale
internationale, les dirigeants ont tendance à évoquer cet article
pour servir de bouclier face à la répression des crimes
commis.
La CPI étant une O.I, crée sur la base d'un
traité international, a qui les Etats ont donné la
compétence de réprimer les crimes les plus graves touchant la
Communauté internationale, ces derniers peuvent aussi à tout
moment, en vertu de la souveraineté se soustraire de cette juridiction,
en se retirant de l'organisation. Comme nous pouvons le constater dans ces deux
dernières décennies les nombreuses menaces de retrait émis
par les Etats dans le monde, dont en tête les Etats africains. Nous
pouvons donc admettre l'idée que la souveraineté des Etats
influence d'une certaines manières les actions de la CPI dans la
répression des crimes internationaux, car elle peut servir de raison
à un Etat de ne pas coopérer avec la CPI. Dans le même
ordre d'idée, les américains soutiennent que l'application
supranationale des principes des droits de l'homme ne peut s'opposer à
la souveraineté. Nous pouvons y retenir que la préservation de la
souveraineté est rigueur pour les Etats-Unis, ce qui justifie d'une
certaine manière leur non adhésion à la CPI.
En partant de toutes ces considérations, nous pouvons
conclure que l'attachement des Etats à leur souveraineté n'est
pas favorable à l'efficacité de la Cour pénale
internationale dans l'exécution de la mission qui lui incombe. Mettant
en avant leur souveraineté, les Etats, dans l'exercice de leurs
compétences, peuvent être aussi amenés à adopter des
lois nationales qui pourraient également servir d'obstacle à
l'action efficace de la CPI.
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