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La CPI et la lutte contre l'impunité des crimes internationaux


par Berger-Le-Bonheur RAWAGO
Institut Supérieur de Droit de Dakar - Master 2 Droit Public 2023
  

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Chapitre 1 : Les entraves juridiques de la Cour Pénale Internationale

Les obstacles d'ordres juridiques auxquels la CPI fait face dans l'exécution de sa mission sont nombreux et variés. Dans le cadre de cette étude nous mettrons en exergue la souveraineté étatique (Section 1) et l'immunité internationale (Section 2) qui sont les deux plus grandes difficultés qui se dressent devant la CPI dans la lutte contre l'impunité des crimes internationaux.

Section 1 : Les obstacles juridiques liés à la souveraineté étatique

En effet, l'un des obstacles majeurs qui se dresse contre l'efficacité de la CPI est la souveraineté, souvent évoqué par les Etats pour rendre l'exercice de la Cour impossible165. L'étude du conflit existentiel entre la souveraineté étatique et les compétences de la CPI (Paragraphe 1) sera menée dans un premier temps avant l'analyse dans un second temps les obstacles issues des lois nationales des Etats (Paragraphe 2) qui freinent le bon fonctionnement de la justice pénale internationale.

Paragraphe 1 : Le conflit existentiel entre la souveraineté étatique et les compétences de la CPI

En effet, la souveraineté étatique a un impact négatif, dans une certaine mesure, sur les activités de la Cour Pénale Internationale. Pour aller plus loin, notre étude se tournera d'abord sur la signification du principe de la souveraineté étatique (A) avant d'analyser l'influence de la souveraineté étatique sur l'action de la CPI (B).

A) La signification du principe de la souveraineté étatique

La souveraineté, comme de nombreuses notions de Sciences Sociales, est imprécise et indéterminée166. Hans STEINBERGER va appuyer en disant que « c'est la notion la plus controversée du droit international public »167. Elle est le principe de l'autorité suprême. En matière de politique, la souveraineté est le droit absolu d'exercer une autorité (législative,

165 El ZAWAM (S.), Les obstacles au jugement des criminels devant la Cour Pénale Internationale, Thèses de doctorat, Université de Bordaux, 24 Novembre 2022, 546p.

166 ROUSSEAU (C.H), « l'indépendance de l'État dans l'ordre international », Recueil des Cours de l'Académie de Droit International de La Haye, ci-après « R.C.A.D.I. », 1948-II, t. 73, pp. 167-253.

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167 STEINBERGER (H.), Souveraineté, In : Encyclopédie des différends, tranche 10, Elsevier, Amsterdam, 397418.

judiciaire et/ou exécutive) sur une région, un pays ou sur un peuple. Dans la conception machiavélique, la souveraineté désignait le degré de puissance d'un être sans aucune soumission, c'est-à-dire une sorte d'autorité suprême et illimitée168. En effet la souveraineté, selon la formule employée par l'arbitre Max HUBERT dans l'affaire Ile de Palmas : « est la plénitude et l'exclusivité des compétences de l'État, c'est-à-dire l'indépendance relativement à une partie du globe et le droit d'y exercer, à l'exclusion de tout autre État, les fonctions Étatiques169 ». Cette jurisprudence célèbre appréhende la souveraineté Étatique dans le sens classique. Chaque État est maitre absolu sur son territoire national. Cela signifie également que « Chaque État a le droit de choisir et de développer le système politique, social et économique qui lui convient »170. Pour Jean BODIN, il définissait la souveraineté comme : « la puissance absolue et perpétuelle d'une République »171 . Ce dernier va encore ajouter que c'est « le pouvoir de commander et de contraindre sans toutefois être commandé ni contraint par qui que ce soit »172. Pour Georges JELLINEK quant à lui, il avait fait le lien entre la notion de souveraineté à la toute-puissance de l'État pour parler de « la compétence des compétence ». On peut comprendre par-là, le pouvoir originaire, illimité, incontesté, incontestable, et inconditionné de l'État. C'est-à-dire qu'elle est continue et illimitée.

La souveraineté peut être appréhender sur le plan interne ou externe. Au plan interne, la souveraineté signifie que dans son territoire et dans la limite de ses frontières, l'État se trouve au sommet. L'État n'est subordonné à aucune autre entité et n'est soumis qu'à sa propre volonté. Il exerce son autorité suprême sur une population et un territoire donné. La souveraineté signifie donc indépendance, capacité à ne pas se voir imposer la volonté des autres, et liberté d'organisation interne. C'est pour cette raison que Monsieur Charles LOYAUX disait que : « c'est la souveraineté qui donne l'être à l'État ».

Au niveau international, la souveraineté repose sur le principe d'égalité entre les États, quelles que soient leur puissance effective, leurs ressources ou leur démographie, et donc indépendamment des inégalités de fait. On parle ainsi, dans la Charte des Nations unies, d'« égalité souveraine »173. Cette égalité signifie aussi que les États ne sont soumis à aucune instance supérieure. Ils sont théoriquement subordonnés aux seules normes qu'ils ont eux-

168 MACHIAVEL (N), LE PRINCE, Ebooks libres et gratuits, 1515, 119p.

169 Sentence arbitrale rendue par la CPA dans l'affaire l'ile des Palmas ayant opposé les USA au Pays-Bas le 28 Avril 1928, RGDPI, 1935, vol II, P.838.

170 Voir Résolution 2625(XXVe AG de l'ONU) du 25 Octobre 1970 sur les relations amicales entre les États.

171 BODIN (J.), Les Six livres de la République, Paris, Jacques du Puis, 1576, 861 p.

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172 Ibid.

173 La Charte des Nations Unies du 26 juin 1945, article 2 § 1.

mêmes définies ou auxquelles ils ont consenti. Les relations internationales sont ainsi caractérisées par des relations horizontales entre des groupes politiques indépendants.

En d'autres termes, la souveraineté est perçue au niveau externe comme le droit qu'a l'État de gérer pleinement les affaires nationales en toute indépendance, sans ingérence étrangère. C'est une puissance structurante de la société internationale, mais surtout un principe d'autorité suprême s'appliquant individuellement à chaque État indépendant174. La consécration d'un tel principe vise à équilibrer les relations internationales. Ainsi, « l'existence du principe de l'égalité souveraine est une nécessité logique qui découle de l'existence même de la société internationale. Dans une telle société, souveraineté et pluralité vont de pair »175. Pour Monsieur Koffi Atta ANAN176, « la souveraineté intègre les valeurs d'humanité qui est désormais redéfinie par les forces de la mondialisation et de coopération internationale »177. Cette conception semble limiter la notion de souveraineté. Dans la mesure où l'environnement international se caractérise par un faisceau des principes et des règles intangibles. C'est ce qui justifie la déclaration de Monsieur Boutros Boutros GHALI : « Il est inconcevable qu'un État s'abrite derrière sa souveraineté pour bafouer sur son territoire et à l'abri des regards les principes démocratiques et les droits de la personne humaine ». Par exemple, « la violation de l'obligation démocratique par un gouvernement ou l'éclatement d'un conflit armé de grande ampleur, peuvent ouvrir la voie à l'intervention extérieur au moyen de la force armée, sous réserve d'une autorisation expresse par le CS »178. En en droit international pénal, nous remarquons une certaine influence de la souveraineté étatique sur les actions de la CPI.

B) L'influence de la souveraineté étatique sur l'action de la CPI

En effet, le droit international pénal, à l'image de La CPI, est fondé sur la souveraineté des Etats. Les TPI ad hoc (le TPIR et le TPIY) et la CPI sont des juridictions pénales internationales créées pour juger les auteurs des faits commis sur le territoire d'un ou plusieurs

174 MOUELLE KOMBI (N), « Ethique et souveraineté des États dans l'ordre juridique international » in revue camerounaise d'étude internationale, NO 2, 1er semestre, 2009, p32.

175 KOHEN (M. K), « commentaire de l'article 2 de la charte des nations unies » in commentaire de la CNU, 2005, P.401-402.

176 Ancien Secrétaire Général de l'ONU

177 ANAN (K.A.), « two concepts of sovereignty », the economist, 1999, pp49-50.

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178 OLINGA (D. A), l'assistance humanitaire et la protection des droits de l'homme face au principe de nonintervention en droit international contemporain, thèse de doctorat, Université de Montpellier I, 1993,

487p.

Etats disposant tous d'un système judiciaire. Dès lors que sont créées les juridictions pénales internationales, la question doit alors être tranchée de savoir si la justice pénale internationale a la primauté sur celle nationale ou si elle est simplement complémentaire, subsidiaire179. Contrairement aux TPI ad hoc, la CPI n'a aucune primauté pour la poursuite et le jugement des auteurs présumés responsables des crimes visés par son Statut. « C'est même l'inverse »180. Le Statut est fondé sur un principe de complémentarité de la CPI par rapport aux juridictions nationales. Ce principe, affirmé dès le préambule du Statut, a pour conséquence les questions de recevabilité exposées dans les articles 17, 18 et19.

Concrètement, cela implique que la Cour doit déclarer irrecevable toute affaire portée devant elle par le Procureur de la Cour si elle a donné ou donne lieu à enquête, poursuite ou jugement dans un Etat ayant compétence. Si, toutefois, la procédure engagée par l'Etat semble symbolique ou si elle ne traduit pas l'intention réelle de réprimer les faits en cause, la Cour est alors fondée à en connaître.

En d'autres termes, nous pouvons considérer que la Cour Pénale Internationale est une juridiction qui fondée sur la souveraineté des Etats, dans la mesure où celle-ci n'a pas été créé pour se substituer aux juridictions internes des Etats, mais pour les compléter. L'Etat dispose d'une souveraineté juridictionnelle qui constitue « un ensemble de pouvoir juridiques reconnus aux Etats, lui permettant d'exercer, dans un espace déterminé, les fonctions étatiques, c'est-à-dire d'accomplir des actes destinés à produire des effets de droit (...) »181. En effet, la primauté des juridictions internes consacrée par le S.R. justifie la souveraineté judicaire des Etats dans l'ordre interne.

Cependant, en matière juridictionnelle, beaucoup d'Etat, en vertu de la souveraineté, souhaitent toujours sauvegarder l'autorité de leurs tribunaux et réserver l'exercice de la compétence de la CPI au seul cas où il y'aurait une défaillance incontestable du système judicaire national ou une manipulation claire pour faire échapper des suspects à la CPI182. D'autre part, de manière souveraine, les Etats sont très souvent prêt à exiger des garantis au

179 BAZELAIRE (J-P.) et CRETIN (T.), « La justice pénale internationale », In: Politique étrangère, n°1 - 2001 - 66?année. pp. 212-213.

180 DAVID (E.), Principes de droit des conflits armés, 6e éd., Bruxelles, Bruylant, 2019, 14124p.

181 ROUSSEAU (C.E.), Droit international public, 7e édition, Dalloz, 1973, 415 p.

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182 BAKKER (C), « Le principe de complémentarité et les auto-saisines, un regard critique sur la Cour pénale internationale », RGDIP, 112/2008, N°2, pp.362-375.

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niveau de la coopération entre eux et la CPI. Ils ont entre autres la possibilité d'évoquer « la sécurité nationale » pour refuser de fournir certaines informations à la CPI, ce qui est tout à fait de leur droit accordé par le Statut de Rome en vertu de l'article 72183. Cependant, dans le but de se soustraire de la justice pénale internationale, les dirigeants ont tendance à évoquer cet article pour servir de bouclier face à la répression des crimes commis.

La CPI étant une O.I, crée sur la base d'un traité international, a qui les Etats ont donné la compétence de réprimer les crimes les plus graves touchant la Communauté internationale, ces derniers peuvent aussi à tout moment, en vertu de la souveraineté se soustraire de cette juridiction, en se retirant de l'organisation. Comme nous pouvons le constater dans ces deux dernières décennies les nombreuses menaces de retrait émis par les Etats dans le monde, dont en tête les Etats africains. Nous pouvons donc admettre l'idée que la souveraineté des Etats influence d'une certaines manières les actions de la CPI dans la répression des crimes internationaux, car elle peut servir de raison à un Etat de ne pas coopérer avec la CPI. Dans le même ordre d'idée, les américains soutiennent que l'application supranationale des principes des droits de l'homme ne peut s'opposer à la souveraineté. Nous pouvons y retenir que la préservation de la souveraineté est rigueur pour les Etats-Unis, ce qui justifie d'une certaine manière leur non adhésion à la CPI.

En partant de toutes ces considérations, nous pouvons conclure que l'attachement des Etats à leur souveraineté n'est pas favorable à l'efficacité de la Cour pénale internationale dans l'exécution de la mission qui lui incombe. Mettant en avant leur souveraineté, les Etats, dans l'exercice de leurs compétences, peuvent être aussi amenés à adopter des lois nationales qui pourraient également servir d'obstacle à l'action efficace de la CPI.

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