Style autoritaire en education extrascolaire et resistance au changement: cas des commerçants de trottoirs du marché Melenpar Cyrille Armel SAPE KOUAHOU Université de Yaoundé 1 - Master 2017 |
CHAPITRE 1: CHAPITRE 4: PROBLEMATIQUE DE L'ETUDE4.1. CONTEXTE ET JUSTIFICATIONDans toutes les sociétés humaines, l'augmentation du « volume de la société »1(*), de sa «densité matérielle2(*) et morale3(*) », ainsi que les corollaires y consécutives, notamment le passage de la « solidarité mécanique4(*)» à la « solidarité organique5(*) » (Durkheim, 1893) sont sujettes à diverses réflexions. L'urbanisation est de ce point de vue une préoccupation mondiale, car elle génère souvent des phénomènes sociaux complexes, parfois incompris et mal maîtrisés. Si le processus d'urbanisation s'est stabilisé dans les pays développés (CNUEH, 2001), il demeure par contre, compte tenu de sa frénésie, une préoccupation majeure dans les pays en développement. Le continent africain détient la palme d'or mondiale en termes de vitesse d'expansion de sa population urbaine (Bebien, 2013). Estimée à 15% en 1950, le taux de progression de la population dans les villes d'Afrique centrale est porté à 43% en 2011(Minkeng, 2014); le rythme actuel du continent estde 3,4% par an en moyenne selon ONU-Habitat (Bebien, 2013). Cette urbanisation rapide, conjuguée aux effets de la crise économique qui a frappé les économies des Etats d'Afrique subsaharienne dans les années 80 a eu des conséquences néfastes sur le tissu urbain. Ce d'autant plus que l'Afrique subsaharienne est demeurée la seule région du monde où l'urbanisation est liée à une croissance économique négative (Soraya, 2012). Djouda (2010) observe à ce propos que la plupart des auteurs qui se sont intéressés à l'étude des villes d'Afrique noire les qualifient de « villes éparpillées », « villes anarchiques», « villes rurales», «villes poubelles», «villes insalubres ou poussiéreuses », «villes fragmentées», «villes cruelles», « bidonvillisées», «disloquées», etc. Mayer et Soumahoro (2010) quant à eux, trouvent aux espaces urbains tropicaux africains au sud du Sahara, l'aspect d'un « fouillis total ». Ils parlent de la « ruralisation » des villes d'Afrique noire et seconde en cela Jean-Marc Ela (1983) qui parle de la « villagisation » de ces villes. Cette description aux relents chaotiques des villes africaines noires trahit, à bien des égards, l'existence manifeste de nombreuses « irrégularités» ou de « dysfonctionnements », -- en liaison avec l'urbanisation effrénée -- en gestation dans l'espace urbain africain. C'est le cas notamment des problématiques liées au «désordre urbain», fortement évoquées et fermement combattues ces dernières années au Cameroun par les pouvoirs publics. Au Cameroun en effet, l'urbanisation galopante, couplée à l'indolence économique, a donné lieu à des phénomènes urbains insolites et généralisés, que les autorités institutionnelles ont labellisé «désordre urbain». Ses manifestations sont nombreuses : l'insalubrité invasive; la prolifération des laveries automobiles clandestines; l'ouverture irrégulière des débits de boisson; la multiplication non maîtrisée des restaurants-bars sur le domaine de l'Etat; les troubles à l'ordre civil (nuisances sonores); les habitats insalubres, la multiplication des fléaux sociaux comme la toxicomanie, la prostitution, l'alcoolisme, la délinquance, le vandalisme; la prolifération des communautés religieuses illégales; les arrêts intempestifs et stationnement fantaisistes des automobiles sur la voie publique; l'invasion des centres urbains par des mototaxis non autorisés; les violences urbaines telles que les agressions, le vandalisme, les atteintes à la pudeur, les incivilités de tout genre et l'occupation anarchique du domaine public... C'est cette occupation anarchique du domaine public qui va retenir l'attention au cours de la présente étude. L'intérêt se cristallisant davantage sur l'occupation marchande des trottoirs, qui s'inscrit dans le champ des détournements des trottoirs comme dirait Pierre Mbouombouo (2005). C'est le lieu d'analyser une des formes de désordre urbain les plus patents dans les villes d'Afrique subsahariennes en général et celles du Cameroun en particulier, Yaoundé et Douala étant les métropoles les plus représentatives. A Yaoundé, la capitale politique du Cameroun, la difficulté à circuler dans certaines rues est remarquable. Cette situation est révélatrice de l'encombrement des trottoirs et de la chaussée par des activités marchandes « illicites » ou informelles dont l'ampleur s'étend ces dernières années, à cause de l'émergence des transactions commerciales inédites et quelque peu insolite, allant du vestimentaire à l'alimentaire, en passant par les produits culturels et technologiques. Ces commerces protéiformes envahissent et s'accaparent de nombreux tronçons de trottoirs, traditionnellement destinés à la mobilité piétonne. Cettecongestion de la voie publique, ainsi que ses conséquences : accidents de circulation, embouteillages, défaut d'esthétique urbain et des désagréments multiples, a amené les pouvoirs publics administratifs et municipaux, à rechercher des solutions pour y remédier. Des politiques d'éducation à la citoyenneté urbaine ont alors été définies et implémentées dans la métropole politique camerounaise dans le butd'éradiquer ces formes de subversion des lieuxpublics (Barthel, 2005). A titre illustratif, citons : v L'Arrêté communal N° 059/90/CU/YDE du 27 juillet 1990réprimant l'encombrement de la voie publique à Yaoundé ; v Arrêté communal N° 183/CAB/CUY/DST/03 du 16 juin 2003interdisant la mendicité et le petit commerce dans les carrefours de la Ville de Yaoundé; v L'arrêté préfectoral N° 00001092/AP/JO6/BASC du 19 avril 2012 portant création, organisation et fonctionnement du comité départemental de lutte contre le désordre urbain dans le département du Mfoundi; v La création d'une police municipale chargée de lutter contre le désordre urbain. Toutefois, il est à préciser que ces diverses mesures gouvernementales d'éducation à l'ordre urbain qui visent entre autres le changement de comportement des commerçants de trottoirs rencontrent la vive résistance de ces derniers. Ils font montre d'une opiniâtreté quasi légendaire. Déguerpis un jour d'un lieu par les agents en charge de l'ordre urbain (« Awara »), le jour d'après, comme par enchantement, ils regagnent les mêmes lieux. Les pouvoirs publics, notamment la Communauté Urbaine de Yaoundé a d'ailleurs précédé à la construction de nouveaux marchés et à l'aménagement des espaces dédiés au commerce informel. Mais cela ne semble rien changer à la vivacité de la privatisation marchande des trottoirs. Les trottoirs de Yaoundé sont devenus« des espaces de promotion de l'auto-emploi et de la mise au travail des citadins plus faibles économiquement » (Mbouombouo, 2005). Le phénomène semble inextricable face aux efforts déployés et sans cesse renouvelés des autorités pour le combattre. Pourtant, la présence de ces opérateurs économiques d'un autre genre donne à Yaoundé, la figure d'une métropole en proie à la banalisation de son espace public urbain. La figure 1 ci-dessous donne un aperçu du phénomène. Figure 1 : Schématisation del'espace urbain sub-saharien Source :Etongue Mayer, R. et Soumahoro, M. (2014). Ce travail ambitionne de porter un regard scientifique sur la privatisation marchande des trottoirs, ces derniers faisant partie des « espaces conflictuels » de la ville de Yaoundé. Leur occupation participe des modes de vie, de la culture urbaine du risque et du désordre inventif. Il se veut une contribution de plus sur l'éclairage des politiques de gouvernance urbaine au Cameroun. * 1Nombre d'individus qui appartiennent à une collectivité donnée * 2 Nombre d'individus sur une surface donnée du sol * 3 L'intensité des communications et des échanges entre les individus * 4 Ou encore « solidarité de similitude », elle est caractéristique des « sociétés simples », « primitives » * 5 Ou encore « solidarité de différenciation », elle est caractéristique des « sociétés complexes », « moderne » |
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