CHAPITRE 6: THEORIES EXPLICATIVES
Afin de saisir la résistance au changement des
commerçants de trottoirs, il est question, à la faveur de ce
chapitre, de traiter des théories susceptibles d'orienter la
présente étude. C'est-à-dire de faire le choix du
« modus operandi », à l'effet de mettre en
relief la scientificité et la rationalité de l'étude.
C'est le lieu d'exposer les travaux des devanciers et des'en inspirer pour
expliquer sa problématique et tenir son propre argument.
Trois cadres théoriques ont alors été
mobilisés à savoir la théorie de la réactance
psychologique selon la perspective de Brehm ; la théorie de changement
selon les modèles de Kurt Lewin, de Corellette, Deliste et
Perron, de Coch et French et enfin l'approche théorique de
l'éducation des adultes selon Malcom Knowles et David Kolb. Toutefois,
un accent sera mis sur la théorie de la réactance psychologique
et celle de l'éducation des adultes, qui sont les théories
fondatrices de l'étude.
6.1. THÉORIE
DE LA RÉACTANCE PSYCHOLOGIQUE
La théorie de la réactance psychologique a
été élaborée par Brehm (1966). La proposition
centrale de la théorie est la suivante : « Étant
donné un individu qui dispose d'une gamme de « comportements libres
», cet individu éprouvera de la réactance chaque fois que
l'un de ces comportements est éliminé ou menacé
d'élimination ». Cette théorie postule donc que
l'individu réagit aux tentatives de contrôle de son comportement
et aux menaces de sa liberté de choix en prenant une position de retrait
ou de rejet (Darpy et Prim-Allaz, 2006). En matière de marketing
commercial, elle a été étudiée pour expliquer des
changements de préférence d'un clientvis-à-vis d'un
produit. Lorsqu'un consommateur se voit refuser la liberté de choisir
une certaine alternative, même si celle-ci n'avait pas été
sa préférence au départ, l'alternative devient alors sa
préférée (Maillard, 2014).
D'après Moscovici et Plon (1968), Brehm part de
l'idée très simple que les individus ont le sentiment --
réel ou illusoire -- qu'ils sont libres de choisir, de s'engager dans
une gamme de comportements au sein de laquelle ils peuvent ainsi affirmer leur
liberté. Si cette liberté ou cette autonomie de choix est
réduite ou simplement menacée d'être réduite,
l'individu va être sensibilisé au niveau motivationnel. Cette
sensibilisation va être orientée contre toute nouvelle
réduction et vers le rétablissement de la liberté perdue
ou menacée. L'état motivationnel en question est donc une
réponse à la réduction ou à la menace de
réduction de la liberté de choixet il peut être
estimé en terme lewinien comme une
« contre-face », désignée sous le
nom de « réactance psychologique ».
Brehm insiste sur un point, il est important de ne pas
assimiler la réactance à une réaction de frustration,
cette dernière survenant si l'on supprime l'objectif
préféré de l'individu. Alors que dans le cas de la
réactance, la suppression concerne des comportements ou des choix. La
réactance se produit donc à propos d'une gamme de comportements
qui restent prisés.
L'intensité de la réactance ainsi produite sera
une fonction directe de quatre déterminants :
a) L'intensité de la réactance est d'autant plus
grande que l'importance du comportement libre éliminé ou
menacé est grande.
b) L'intensité de la réactance est aussi une
fonction directe de l'importance relative d'un comportement
éliminé ou menacé de l'être à un moment
donné par rapport à l'importance de l'ensemble des comportements
libres en ce même moment.
c) Plus la proportion de comportements éliminés
ou menacés de l'être est grande, plus l'intensité de la
réactance estgrande. Par exemple, si un individu estime pouvoir
effectuer librement trois actions, il éprouvera une réactance
psychologique plus grande s'il lui est empêché de réaliser
deux de ces actions plutôt qu'une seule.
d) Si un comportement libre est menacé
d'élimination, plus grande est le pouvoir de la menace, plus grande est
la réactance. Par exemple, si l'origine de la menace est située
chez autrui, la menace est considérée comme d'autant plus forte
et partant la réactance d'autant plus grande que cet autrui a un pouvoir
élevé.
La théorie de la réactance permet de montrer que
l'option perdue suite à une contrainte de liberté de choix est
finalement préférée, même si tel n'était pas
le cas avant la suppression de l'alternative. Un comportement forcé par
une influence extérieure, celui de la libération des trottoirs
par exemple, est peu apprécié. Une influence sociale agissant
pour soutenir une contrainte de liberté peut avoir un
« effet boomerang »sur l'initiative du soutien. La
théorie de la réactance psychologique postule que dès que
la liberté de choix entre deux options est menacée en rendant
l'une d'entre elle difficile et complexe, l'attractivité, de l'individu,
pour cette dernière est renforcée.
Un comportement considéré comme «
problématique » devient plus attractif si une intervention remet en
cause, ou met au défi, la liberté individuelle. Alors, la
théorie postule que, chaque fois que notre liberté de choix se
trouve limitée ou menacée, nous attachons soudain plus de valeur
à ce choix par le fait qu'il semble inaccessible. Autrement dit, le fait
d'éliminer, ou simplement de menacer, la liberté d'action d'un
individu provoque une motivation dite « réactance psychologique
». Cette motivation dirige le comportement de l'individu vers le
rétablissement de la liberté perdue virtuellement ou
réellement.(Paboussoum, s.d.)
Marie-Claire Maillard(2014),utilise la figure2ci-dessous pour
schématiser la réactance psychologique.
FIGURE 2 :
Illustration de la théorie psychologique de la réactance
Source :Marie-Claire Maillard,
Thèse de Doctorat (2014)
Au regard de ce qui précède, la théorie
de la réactance psychologique est tout à fait valide pour
expliquer la résistance au changement des commerçants de
trottoirs. En effet, « la pratique du laisser-faire par le
laxisme des pouvoirs publics a favorisé l'ancrage mental d'un imaginaire
citadin difficile à déconstruire chez les opérateurs
informels et les autres citadins » (Mbouombouo et Nsangou,
2012).Cette longue accoutumance aurait fait en sorte d'aux yeux de ces
commerçants ou pour une bonne fraction d'entre eux, les trottoirs se
caractériserait par son « opportunité
entrepreneuriale » et sa « disponibilité
foncière » (Steck, 2006). Les trottoirs seraient
alorspour le « négro-africain » des espaces vacants,
disponibles et à prendre (Janin, 2001). L'occupation des trottoirs
étant ainsi entrée dans la « conscience
collective » à cause d'une longue pratique, le citadin
africain est habité par la ferme conviction qu'il est libre d'occuperune
portion de trottoirs pour un usage privé. L'occupation du trottoir
participe par conséquent de sa liberté de choix. D'où la
réactance psychologique, dès que l'on tente de lui imposer le
contraire. Ladite réactance psychologique se manifestepar la
défense de sa liberté à vendre sur le trottoir.
|