Style autoritaire en education extrascolaire et resistance au changement: cas des commerçants de trottoirs du marché Melenpar Cyrille Armel SAPE KOUAHOU Université de Yaoundé 1 - Master 2017 |
5.1.2. Trottoirs comme marqueurs de la présence-absence de l'EtatUne fois le constat fait du caractère antinomique public/privé des rues africaines subsahariennes, des auteurs se sont appesantis sur le comportement de l'Etat face à l'invasion des trottoirs. Manifestement espace public privatif, comme il vient d'être constaté, le trottoir s'illustre surtout comme un espace de la transgression - des normes, des territorialités - par les fonctions que lui assignent de fait ses utilisateurs autant que par les hésitations étatiques et le désintérêt de la municipalité ( Janin, 2001). Tout se passe comme si, vis-à-vis de la colonisation de l'espace public par les particuliers, l'Etat adopte une posture mi-figue mi-raisin. Ce qui est compréhensible à en croire Gabriel Kwami Nyassogbo (2011) pour qui, les activités de la rue nourrissent une proportion importante de citadins en Afrique au sud du Sahara, où l'ensemble du secteur informel emploie, suivant les évaluations, entre le tiers et les deux tiers d'actifs urbains. Ces activités, bien que n'étant pas nouvelles, se sont intensifiées en contexte d'ajustement structurel, alimentées par les migrations internes, les crises économiques successives et les réformes économiques libérales (Stamm, 2008; Aziz Njoya, 2011). Tout ceci sous le regard sinon complice, du moins inerte de l'Etat, qui a « laissé faire » cette réponse populaire, spontanée et créative face à son incapacité à satisfaire les aspirations les plus élémentaires des couches sociales déshéritées (Nyassogbo, 2011). Progressivement, la rue a cessé d'être un espace public où peut s'exprimer la volonté hégémonique d'un État africain déliquescent en manque de moyens, et exprime au mieux ses hésitations, ses contradictions et ses faiblesses ( Janin, 2001). Entérinant cette idée, Lelo Nzuzi (1989, cité par Mbouombouo, 2005) affirme que les détournements des espaces-trottoirs participent du « développement d'un urbanisme de débrouillardise et du laisser-faire ». D'autre part, lorsque l'Etat se résout à réagir, il met en branle une « politique urbaine somptuaire » ou « façadiste» à l'effet de faire de la rue des centres villes une vitrine de la modernité (Steck, 2006). Cette volonté se manifeste par des déguerpissements de trottoirs et des destructions de bidonvilles le long des principaux axes. L'ambition étant de masquer le paysage de la pauvreté que renvoient les activités informelles (Steck). Ce même constat est fait par Stamm Caroline (2008) pour qui les réglementations et les programmes des autorités sont empreint de la vision de la ville hygiéniste, fluide et sure. Or, procéder ainsi, c'est perdre de vue le fait que « faire disparaître les bidonvilles à la périphérie des grandes métropoles ne constitue qu'un effort limité d'aménagement du territoire si la structure urbaine qui prédomine n'est pas remise en cause dans sa totalité » (Ela, 1983, p.182). C'est d'autant plus ignorer que « le désordre urbain ne peut être vaincu sans un nouvel examen de la politique d'implantation des investissements productifs » (Idem). Cette politique façadièredéjà critiquée du fait qu'elle ne s'attaque pas à la racine des préoccupations populaires, perd également de sa crédibilité dans la mesure où elle est conduite de manière différenciée d'un endroit à l'autre de la même ville et parfois du même quartier. Jean-Fabien Steck (2006) s'étonne de savoir que ce discours qui sert d'argument pour interdire à l'informel d'accéder à la rue devient radicalement différent lorsqu'on arrive dans les quartiers résidentiels périphériques. Dans les périphéries, ces activités sont célébrées comme permettant à une part non négligeable de la population de subvenir à ses besoins. En matière de politique urbaine de régulation, Steck note donc que les politiques municipales d'occupation de la rue par les activités de l'informel se font à tête chercheuse. Aussi, le manque de coordination et d'homogénéité des politiques publiques entre les organes centraux et décentralisés de l'Etat aux fins de gestion de la rue alimente-t-il les télescopages et autres contradictions de programmes et projets institutionnels et achève de noircir le tableau. Cet état de chose ne permet « ni une gestion homogène des rues, ni aux entrepreneurs informels d'avoir une connaissance précise de l'identité de leurs interlocuteurs institutionnels » (Steck, 2006). De fait, l'incapacité de faire appliquer les lois et réglementations ou l'absence d'une réelle volonté politique fait prévaloir les opérations « coup-de-poing », l'État n'apparaissant jamais, en contexte africain, avoir la légitimité nécessaire pour faire accepter par les citoyens un ensemble de normes partagées (Fourchard, 2006). Le trottoir devient alors « le lieu et le facteur de nombreux processus notamment les dynamiques transactionnelles(...) conflictuelles et confrontationnelles » (Mbouombouo, 2005). |
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