La discrimination dans le monde du travail au Togo.par KOMLA DJIGNEFA YAO Institut des hautes études des relations internationales et stratégiques - Master en Droit Privé Fondamental 2016 |
Section 2 : Un encadrement inapproprié de la discrimination dans le droit positiftogolais Le législateur togolais dans sa volonté d'éradiquer la discrimination dans le monde du travail dispose à cette fin d'un double outil. D'une part, il prohibe certaines discriminations qui sévissent. D'autre part, il engage une politique de discrimination positive à l'endroit des groupes considérés comme vulnérables. Mais l'analyse des différents textes révèle l'insuffisance de ces mesures. En effet, non seulement l'interdiction de la discrimination orchestrée par la loi comporte des lacunes (§1). Mais aussi, les textes qui sont censés protéger les groupes de personnes systématiquement désavantagées sont limités dans leur objet (§2). Paragraphe 1 : Une prohibition insuffisante de la discriminationPour sanctionner les pratiques discriminatoires, il faut les prouver. Or, d'après la législation en vigueur, il est extrêmement difficile d'y parvenir (A) et les sanctions légales existantes demeurent problématiques (B). A- La difficile preuve de la discriminationLa preuve de la discrimination désigne à la fois ce qui démontre, établit sa véracité et le procédé utilisé à cette fin. C'est donc ce qu'il faille prouver dans un cas de discrimination. Or parvenir à cette fin est une tâche ardue en droit togolais. Etudier la difficile preuve de la discrimination dans le monde du travail au Togo équivaut à s'atteler à son mode et à sa charge. S'agissant du mode de la preuve de la discrimination, il est régi par le principe de la liberté. Ainsi, tous les moyens de preuve sont donc admis80. Le plaignant de discrimination peut utiliser tous les moyens dont il dispose pour faire valoir sa cause. Cela peut être des témoignages, des courriels, des échanges de courriers ou de courriels, des procès-verbaux des documents médicaux ou des constats d'huissier. Quant à la charge de la preuve de la discrimination, elle varie selon qu'on est en matière pénale ou en matière civile. Au pénal, en vertu du principe de la présomption d'innocence81, il est du devoir du plaignant en l'occurrence la victime et/ou le Ministère Public d'apporter la preuve des faits qu'il dénonce. Dès lors, pour qualifier la discrimination de délit, la réunion de deux éléments est nécessaire : un élément matériel et un élément moral. S'agissant de l'élément matériel, la victime de la 80 DRAY (J.), « Discrimination au travail et charge de la preuve » 08/05/2012LegaVox.fr 81 Article 18 al.1er Constitution Togolaise de la IVème République, 2002 ; Article 9-1 al. 1er Code Civil français ; article 11-1 DUDH, 1948 ; Article 9 DDHC, 1789. La discrimination dans le monde du travail au Togo Page 23 discrimination est tenue d'apporter un élément de fait devant permettre d'apprécier ce délit dans le cadre des actes dans la mesure où l'élément matériel n'est constitué que par un acte. En ce qui concerne l'élément moral, il s'agit de la volonté orientée vers l'accomplissement d'un acte prohibé par la loi. Cette preuve se révèle difficile à établir, surtout en cas de discrimination indirecte. Il s'agit en conséquence d'une preuve lourde pour le plaignant. Au civil, en application de la maxime « actori incombit probatio » et selon l'article 1315 du Code Civil Français, la preuve de la discrimination incombe à celui qui l'allègue. Il s'agit du plaignant, donc de la victime. En vertu de cette règle de droit commun, l'employé qui s'estime victime de toutes formes de discrimination, a l'obligation d'en apporter la preuve car la preuve est la rançon du droit. Cependant, force est de remarquer qu'un problème très délicat se pose en matière de la discrimination dans le monde du travail togolais, ce que Hélène MASSE-DESSEN82 a reconnu depuis 1995 en droit français. Il s'agit bien évidemment de celui de la preuve. En effet, au regard de l'article 43 du Code de Procédure Civile du Togo qui dispose qu'il « incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les fais nécessaires au soutien de sa prétention », il est extrêmement difficile à celui qui dépose une plainte en justice d'apporter la preuve de la discrimination dont il est victime. Démontrer l'existence de la discrimination n'est pas chose aisée pour la victime puisqu'elle supporte seule la charge de la preuve. Etablir la preuve de toute forme de discrimination se révèle donc très difficile en droit positif togolais. Outre la difficulté de la victime à rapporter la preuve de la discrimination parce que se trouvant seule dans sa mission probatoire, l'auteur de la discrimination mettra tout en oeuvre pour occulter son délit83. Face à cette situation problématique qui prévaut, on a du mal à comprendre pourquoi le législateur togolais n'entreprend pas des démarches idoines afin de rendre plus facile la tâche au plaignant. Il est regrettable que la preuve de la discrimination dans le monde du travail au Togo soit restée dans son état embryonnaire. Elle n'a connu aucune évolution. Pourtant, le législateur français a pris le soin d'aménager la charge de la preuve de la discrimination en matière civile. En effet, il a procédé au renversement de ladite charge par la loi n°2001-1066 du 16 novembre 200184 au profit de la victime. Ainsi, le demandeur doit apporter les éléments de faits laissant supposer la discrimination dont il prétend être victime et il revient alors au défendeur de démontrer que 82 MASSE-DESSEN (H.), « La résolution contentieuse des discriminations en droit du travail », Droit Social, mai 1995 83 GUISLAIN (V.), Etude : la preuve de la discrimination en droit du travail, 15/09/2012 LegaVox.fr, p.3 84 Loi modifiant l'art L1134-1 (ancien art L122-45) du Code du travail et renverse la charge de la preuve La discrimination dans le monde du travail au Togo Page 24 sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. Il en est de même de l'article L. 244-3 du CTL. Pour remédier à l'inertie du législateur togolais, il serait souhaitable que celui-ci se mette au diapason de son homologue français. Le droit togolais ne permet pas aux parties à un procès en matière de discrimination d'alléguer leurs prétentions sur un pied d'égalité. Le discriminé se trouve dans une situation de net désavantage qui ne lui permet pas de présenter ses preuves de manière raisonnable. Ce qui laisse supposer que ce droit pratique indirectement la discrimination à l'égard des victimes. La difficile preuve de la discrimination est un obstacle majeur pour la victime, ce qui justifie que le contentieux ait bien du mal à émerger85 et l'inertie de la jurisprudence en la matière. Face à la délicate situation de la preuve en matière de discriminations, celles-ci resteront impunies et persisteront largement dans un monde du travail sans soutien probatoire. Toutefois, une discrimination prouvée, devrait recevoir l'application des sanctions. Mais, celles-ci sont problématisées. |
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