B- L'absence de l'interdiction de l'injonction de
discriminer
En ratifiant le 20 juin 1983 la Convention n° 111 de
l'OIT concernant la discrimination en matière d'emploi et de profession
de 1958, le Togo s'était engagée par le biais des articles 2 et 3
de ladite convention à interdire sur son territoire toutes les formes de
discrimination. Malheureusement, à la lumière des textes de loi,
aucune législation anti-discrimination ne prohibe le fait d'enjoindre
à autrui la commission d'un acte discriminatoire. L'injonction de
67 Des décisions de justice citée
par, PANIER (E), l'Etat et les relations de travail au Togo, thèse pour
le doctorat en droit à l'Université Bordeaux IV - Montesquieu 7
décembre 2012 p.68
68 PANIER (E), op.cit. p.68
69 Article 1152-1 et 1152-2 du CTF
70 DOWD (M-A.), « Le harcèlement au travail : mise
en oeuvre de la Charte des droits et libertés de la personne »,
Mini colloque Le harcèlement (ou la violence au travail),
Montréal, 16 décembre 1999 : 14.
71 BIT, L'heure de l'égalité au travail,
op.cit. p.95
72 REIS (P.), « Le droit du travail dans le droit de
l'OHADA », Revue de l'ERSUMA : Droit des affaires - Pratique
Professionnelle, Etudes N° 1 - Juin 2012, p.7
La discrimination dans le monde du travail au Togo Page
20
discriminer demeure dans l'ombre. Elle ne fait pas encore
partie des annales de la législation anti-discrimination togolaise. Les
dispositions sanctionnant cette discrimination sont donc absentes aussi bien du
CTT que du SGFPT. Le Togo n'a pas encore légiféré sur ce
fléau qui, pourtant est extrêmement discriminatoire. Il s'agit
donc de déni de législation. Cette absence déplorable du
législateur nous fait dire que celui-ci ne prohibe pas toutes les formes
de discrimination qui sévissent dans la sphère du travail
togolais. Nous estimons que la législation anti-discrimination togolaise
ne permet pas une meilleure réception juridique des engagements
internationaux ratifiés par l'Etat togolais et que le silence absolu du
législateur sur la question n'est pas du tout satisfaisant.
Notre inquiétude est de savoir pourquoi la prohibition
de l'ordre de discriminer n'a pas encore pris corps dans le droit positif
togolais ? L'absence initiale de l'interdiction de l'injonction de discriminer
devrait baliser la voie à sa pratique sans que ses auteurs ne soient
inquiétés.
Mais une interrogation certaine mérite d'être
posée : qu'est-ce que l'injonction de discriminer dans le monde du
travail ? « L'injonction de discriminer » ou «
l'ordre de discriminer », est le fait pour une personne
d'enjoindre ou d'ordonner à une autre de pratiquer une discrimination
à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes sur la base
d'un critère protégé par la loi73. Cette
définition de l'injonction de discriminer présente une
particularité. En effet, à la différence des autres formes
de discrimination précitées, cette entreprise discriminatoire ne
se réalise que par le concours d'une double volonté : d'une part,
le donneur d'ordre qui intime l'ordre et d'autre part, l'exécutant de
l'ordre qui est celui qui accepte d'accomplir la directive discriminatoire.
Ceci suppose que « l'ordre de discriminer » ne peut aboutir
qu'en la présence de ces deux auteurs. Il s'agit d'une condition sine
qua non. A titre illustratif, le fait pour une entreprise sollicitant dans le
cadre du recrutement de ses agents, l'expertise de l'Agence Nationale Pour
l'Emploi (ANPE), ordonne à celle-ci de ne pas embaucher les candidats
vivant avec un handicap physique alors qu'ils sont aptes à exercer
l'emploi pourvut.
De l'injonction de discriminer se déduit une double
responsabilité. Il s'agit non seulement de la responsabilité du
donneur d'ordre mais aussi de la responsabilité de l'exécutant de
l'ordre. Si la responsabilité du donneur d'ordre est indiscutable, par
contre, doit-on toujours engager la responsabilité de l'exécutant
de la discrimination dans la mesure où celui-ci ne fait
qu'exécuter un ordre ?
73 Article 2, par 4, de la Directive sur
l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail
; article 2, par. 4, de la Directive sur l'égalité raciale.
La discrimination dans le monde du travail au Togo Page
21
En matière civile, par assimilation à la
responsabilité du commettant du fait de ses préposés, on
ne saurait engager la responsabilité de
l'exécutant74.
En matière pénale, en cas de commandement
illégal, trois théories ont été avancées
pour décider si la sanction doit intervenir ou non.
D'abord, l'obéissance passive, c'est-à-dire si
l'on doit toujours obéir aux ordres du supérieur et qu'un ordre
illégal est exécuté, il n'y a pas de
sanction75.
Ensuite, lorsqu'il s'agit des « baïonnettes
intelligentes », le subordonné est tenu d'apprécier le
caractère légal et de n'exécuter que des ordres
légaux. Au cas contraire, il encourt la sanction76.
Enfin, un subordonné qui exécute un ordre de son
supérieur hiérarchique n'est pas responsable pénalement
sauf si l'ordre est manifestement illégal77. C'est cette
position que consacre le Code Pénal Français dans son article
122-4 al.2.
En France, rappelons qu'avant que l'interdiction de
l'injonction à discriminer ne soit assortie de sanction en
matière civile par la loi du 27 mai 2008, seul le Code Pénal
permettait d'atteindre ce comportement sous l'incrimination de la
complicité prévue par les articles 121-6 et 121-7 du CP ou de la
provocation à la discrimination, à la haine ou à la
violence raciale prévue par l'article R. 625-7 du CP78.
Même si le CPT ne contient pas encore de dispositions expresses
sanctionnant l'injonction de discriminer, on peut supposer qu'au regard de son
article 23 qui dispose « que n'est pas pénalement responsable
la personne qui commet un acte commandé par l'autorité
légitime, sauf si cet acte est manifestement illégal »
que le législateur prohibe l'ordre de discriminer. Toutefois, «
il n'y a pas de responsabilité pénale lorsque l'auteur de
l'infraction a agi sous l'empire de la contrainte ou d'une force à
laquelle il n'a pu résister »79. En tout, la vraie
prohibition de cette discrimination serait plus protectrice.
Au Togo, les discriminations sont donc multiformes dans le
monde du travail. Toutes, violent les principes d'égalité, de
liberté et de justice sociale. Pour mettre ce monde du travail à
l'abri de ces discriminations, il faut les éliminer. Mais cette
tâche étant ardue, le législateur a pris l'initiative de
les encadrer. Malheureusement, cet encadrement demeure insuffisant.
74 Article 1384 al. 5 C.civ français
75 JurisPédia, Commandement de
l'autorité légitime, consulté le 12 janvier 2017
76 Ibidem
77 Ibidem
78 Cour de Cassation Française Troisième partie :
Etude : Les discriminations dans la jurisprudence de la cour de cassation
« les discriminations dans le travail » Rapport annuel 2008
79 Article 27 CPT
La discrimination dans le monde du travail au Togo Page
22
|