A- La précision lacunaire du harcèlement
Dans l'univers du travail, le harcèlement est
perçu comme un phénomène mondial. Il est
considéré en vertu des Directives de l'Union européenne
relatives à la non-discrimination comme une forme de discrimination
« lorsqu'un comportement indésirable lié à une
«caractéristique protégée » se manifeste, qui a
pour objet ou pour effet de porter atteinte à la dignité d'une
personne, et/ou de créer un environnement intimidant, hostile,
dégradant, humiliant ou offensant »59. A cet effet,
la Directive relative à l'égalité de traitement entre
hommes et femmes fait du harcèlement sexuel une forme
particulière de discrimination60. Le
58 Manuel de droit européen en matière de
non-discrimination, op.cit. p. 35
59 Article 2, par. 3, de la Directive sur l'égalité
raciale ; article 2, par 3, de la Directive sur l'égalité de
traitement en matière d'emploi et de travail ;
60 Article 2, par. 1. d, de la Directive sur
l'égalité de traitement entre hommes et femmes (version
refondue).
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17
législateur togolais n'est pas resté en marge
d'une telle appréhension. Ainsi, le harcèlement sexuel fait
partie intégrante désormais du CTT de 2006. Cette
consécration du législateur constitue une innovation salutaire
car l'ancien code du travail de 1974 ne contenait aucune disposition en la
matière.
L'article 40 alinéa 1er du CTT
définit le harcèlement sexuel en ces termes : « Aucun
salarié ne peut être sanctionné ni licencié pour
avoir subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement d'un
employeur, de son représentant ou de toute autre personne qui, abusant
de l'autorité que lui confèrent ses fonctions, a donné des
ordres, proféré des menaces, imposé des contraintes ou
exercé des pressions de toute nature sur ce salarié dans le but
d'obtenir des faveurs de nature sexuelle à son profit ou au profit d'un
tiers ». A travers cette définition, la loi prohibe
expressément le harcèlement sexuel. Pourtant, cette
définition du harcèlement sexuel proposée par le
législateur est peu convaincante du fait de sa double lacune.
D'une part, elle n'est pas assez précise. En effet,
l'article 40 al. 1er précité ne comporte que les
éléments de définition du harcèlement sexuel. Le
législateur togolais n'a pas donné à cette notion une
vraie définition. Cette insuffisance est tout de même
compensée par l'article 399 du CPT qui dispose que « constitue
un harcèlement sexuel, le fait pour une personne d'user d'ordre, de
menace, de contraintes, de paroles, de gestes, d'écrits ou tout autre
moyen dans le but d'obtenir d'autrui, contre son gré, des faveurs de
nature sexuel ».
Le législateur français plus explicite, sur la
notion du harcèlement sexuel prévoit que ce harcèlement
est constitué soit par des faits avérés et à
caractères répétitifs61 soit par des faits
assimilés au harcèlement sexuel même non
répétés62.
D'autre part, l'article 40 al.1er du CTT est
restrictif au sujet de la qualité des acteurs du harcèlement
sexuel qui sont l'auteur de la discrimination et sa victime.
S'agissant de la victime, les femmes sont hautement plus
touchées que les hommes par ce fléau comme en témoigne le
rapport du Directeur général de l'OIT, « il s'agit d'une
sorte particulière de violence qui touche principalement les femmes,
mais non elles seules »63. Aussi, au Togo, 95,91% de
victimes sont de sexe féminin et 4,08% seulement sont des victimes de
sexe masculin64.Toutefois, le champ de protection de la loi est
assez restreint, car, il ne protège que
61 Article L1153-1° CTF
62 Article L1153-2° CTF
63 BIT, L'heure de l'égalité au travail,
Rapport global en vertu du suivi de la Déclaration de l'OIT relative aux
principes et droits fondamentaux au travail, Conférence internationale
du travail, 91e session 2003, p. 20.
64 Prof. WOLOU (K), op.cit. p.37
La discrimination dans le monde du travail au Togo Page
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les salariés comme l'atteste si bien l'alinéa
1er de l'article 40 du CTT précité. Ce qui nous fait
constater que le CTT exclut de sa ligne de mire les stagiaires qui font aussi
partie du monde du travail, qui sont soumis au lien de subordination et sont
donc exposés à cette discrimination. Le CTT n'ayant pas encore
réglementé le contrat de travail des stagiaires, il les place
dans une situation vulnérable. Les candidats à un emploi, les
personnes exerçant une activité non salariée, sont aussi
exclus de ladite protection.
Quant à l'auteur du harcèlement sexuel, selon le
CTT, cette discrimination est intrinsèquement liée au lien de
subordination. Ceci suppose donc que le harcèlement sexuel ne peut
être évoqué qu'entre l'auteur du harcèlement en
position de force usant de son autorité et sa victime en situation
d'infériorité hiérarchique. Or le constat est que, le
harcèlement sexuel peut aussi être l'oeuvre d'un collègue
de travail ou d'un subordonné. Cette affirmation est d'ailleurs
corroborée par les enquêtes de terrain menées par le
Professeur Komi WOLOU. Selon ses études, les actes de harcèlement
sexuel émanent de 35 Collègues de service et de 34
Supérieurs hiérarchiques dans le secteur formel et de 16
collègues de service contre 30 de la part des supérieurs
hiérarchiques dans le secteur informel65. Ce qui montre
à outrance les lacunes de la loi. Il s'agit d'approches limitatives du
phénomène de harcèlement sexuel qui du coup réduit
considérablement son champ d'application.
Si le législateur togolais s'est évertué
pour faire sortir le CTT de sa léthargie en prohibant de manière
systématique le harcèlement sexuel, il faut souligner que le
SGFPT demeure toujours silencieux sur ce sujet. Même de nos jours, ce
texte de loi ne contient aucune disposition expresse relative audit
fléau. Est-ce une raison suffisante pour dire que le harcèlement
sexuel est absent de la fonction publique togolaise ? Cette situation est
déplorable dans la mesure où cette discrimination fait partie
intégrante de cette fonction publique aussi bien que dans le secteur
privé. Ne pas la prohiber, laissera le champ libre à ces auteurs
de le perpétuer. Par contre, la prohibition du harcèlement sexuel
par le SGFPT devrait assurer une protection aux agents soumis audit statut.
L'autre variante à laquelle font face les acteurs du
monde du travail, est le harcèlement moral. Pourtant, le
législateur togolais est resté muet sur ce sujet. En effet, ni le
CTT, ni le SGFPT ni le CPT n'interdisent encore ce harcèlement. Le
législateur français a quant à lui clairement
prohibé cette discrimination66. Cette absence de
considération de l'aspect psychique ou
65 Prof. WOLOU (K), op.cit. pp. 38 et 39
66 Article 1152-1à 1152-6 Code du Travail de la France
(CTF) et article 6 Statut de la Fonction Publique de la France (SFPF)
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psychologique de la notion de harcèlement par le droit
positif togolais marque l'existence « d'une violence non
conscientisée en termes de responsabilités
»67 et est susceptible de rendre difficile la tâche
aux juges et aux inspecteurs de travail dans leurs prises de
décisions68.
Constitue un harcèlement moral, les agissements
répétés subis par un salarié, une personne en
formation ou en stage, ayant pour objet non seulement la dégradation de
ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et
à sa dignité, mais aussi d'altérer sa santé
physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel69.
Ce harcèlement est qualifié de discrimination lorsqu'il se fonde
sur une caractéristique protégée qui est un motif de
discrimination. En dehors d'un tel motif, le harcèlement moral est non-
discriminatoire70. Ce qui veut dire que tout harcèlement
moral n'est pas forcément une discrimination.
Que le harcèlement discriminatoire soit moral ou
sexuel, celui-ci génère des impacts pervers. En effet, il nuit
non seulement au bien-être des travailleurs mais aussi à leur
productivité plus encore à leurs perspectives d'emploi et
d'avancement, comme le reconnaissait déjà en 1985 la
Conférence Internationale du Travail (CIT) à propos du
harcèlement sexuel71. Pour toutes ces raisons, les
harcèlements sexuel et moral doivent être combattus.
En s'inscrivant dans cette dynamique, l'avant-projet d'acte
uniforme en droit du travail innove en prohibant en son article 12 les
harcèlements sexuel et moral. Il s'agit d'une garantie qu'offre le
législateur de l'OHADA aux acteurs du monde du travail de cet
espace72.
A l'instar du harcèlement, l'injonction de discriminer
est une forme de discrimination dans le monde du travail. Pourtant, celle-ci
n'est pas encore interdite par le droit positif togolais.
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