CHAPITRE II
L'IMPLICATION DES ACTEURS DU MONDE DU TRAVAIL
DANS LA LUTTE CONTRE LA DISCRIMINATION
La lutte contre la discrimination n'étant pas seulement
qu'une question de législations, de règlements ou de conventions,
les acteurs du monde du travail doivent aussi faire leurs en s'y impliquant
davantage.
L'implication qui vient du latin « implicatio » est
la participation ou l'engagement dans une action. Ainsi, on peut dire que les
acteurs du monde du travail doivent s'investir corps et âme pour lutter
contre la discrimination. Pour cette raison, ils doivent s'évertuer pour
que la lutte qu'ils mènent ne soit pas vaine.
Comment les acteurs du monde du travail togolais doivent t'ils
s'impliquer dans la lutte contre la discrimination ?
Le degré d'implication des acteurs du monde du travail
varie selon qu'il s'agit de l'Etat ou des acteurs au sein des entreprises et
des autres partenaires.
S'agissant de l'Etat togolais, face à la
problématique de la discrimination, celui-ci doit revoir l'état
de ses institutions en vue de les adapter à une politique susceptible
d'extirper la discrimination de l'univers du travail.
Quant aux autres acteurs et partenaires, en l'occurrence les
représentants des travailleurs et les représentants des
employeurs, ils doivent agir efficacement contre la discrimination afin qu'elle
cesse d'être un handicap dans la vie des personnes qu'ils
représentent et la leur. Si nombre d'organisations de la
société civile togolaise ont fait de la discrimination dans le
monde du travail leur cheval de bataille, celles-ci devraient donc oeuvrer pour
son élimination. L'Organisation International du Travail de par son
importance dans le monde du travail ne doit pas rester en marge de cette
lutte.
Pour une lutte efficace contre la discrimination, l'Etat
togolais doit s'impliquer de manière très active (section I), et
les acteurs au sein des entreprises et les autres partenaires doivent
l'être de manière accru (section II).
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Section 1 : Une implication très active de
l'Etat togolais
L'Etat togolais est incontestablement le premier acteur du
monde du travail. Celui-ci est censé apporter son expertise pour
éliminer la discrimination. Pour atteindre cet objectif, il convient de
mettre en place des institutions qui soient en adéquation avec la
politique du gouvernement qui consiste à contrer la discrimination
(§1) et qu'il oriente cette politique vers une nouvelle vision
(§2).
Paragraphe 1 : L'exigence d'une adéquation des
institutions impliquées dans la lutte contre la discrimination
Afin de remédier à l'inefficacité des
instituions qui interviennent dans la lutte contre la discrimination et de
parvenir à instaurer une égalité parfaite entre tous les
travailleurs, il faut dès lors insuffler un dynamisme aux institutions
administratives existantes (A) et instituer une nouvelle institution plus
spécialisée en matière de lutte contre la discrimination
et de promotion de l'égalité (B).
A- La dynamisation du cadre institutionnel
Pour triompher de la discrimination, il faut mettre en place
des institutions très fortes et assurant des services très
efficaces. Ces institutions administratives qui sont les juridictions,
l'inspection du travail et les ministères en charges du travail doivent
être exemplaires dans la lutte contre la discrimination sur le
marché du travail.
Face à la discrimination, le juge togolais est
appelé à agir avec beaucoup de discernement. Ainsi, lorsqu'il est
saisit d'un cas de discrimination, deux possibilités pourraient s'offrir
à lui.
Premièrement, il peut recourir à la comparaison
entre différents salariés pour déterminer l'existence de
la discrimination. C'est le cas par exemple lorsqu'il y a
inégalité de rémunération entre certains
salariés alors qu'ils devraient percevoir les mêmes revenus. Dans
ce cas de figure, le juge devra jouer le rôle d'investigateur. Cette
investigation consistera pour celui-ci d'ordonner au défendeur de
fournir les documents utiles à la comparaison de la situation de la
supposée victime avec celle de ses collègues de
travail221. Force n'est besoin cependant d'une similarité
totale entre les éléments de comparaisons222 pour que
le juge retienne la discrimination. Souvent, la recherche
d'éléments de comparaison n'intervient qu'en cas de sollicitation
de la victime. Mais nous pensons que pour simplifier l'accès à la
preuve, il est
221 Cass. Soc. 9 avril 1996, n°1727
222 Cass. Soc. 28 janvier 2010 n°08-41-959
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important de rendre automatique cette procédure
d'instruction comme il en est le plus souvent en matière pénale.
Mais cette procédure n'est pas évidente dans tous les cas de
discrimination.
Deuxièmement, le juge peut ne pas exiger la fourniture
d'élément de comparaison lorsque cela n'est pas nécessaire
pour élucider l'existence de la discrimination. C'est le cas par exemple
lorsqu'un salarié prétend avoir été victime du
harcèlement sexuel à caractère discriminatoire.
Le juge est un acteur clé dans la quête de la
vérité sur l'existence ou non de la discrimination. Il est donc
tenu au respect scrupuleux « des règles de loyauté de la
preuve ». Ainsi, face à une allégation de
discrimination, une double obligation s'impose à lui : il doit
apprécier aussi bien les éléments soulevés par le
demandeur que « les justifications mises en exergue par le
défendeur »223.
Face à la pesanteur des dossiers, à la lenteur
et à l'éloignement des juridictions en charge de trancher les
litiges en matière de discrimination dans le monde du travail, il est
impérieux de décentraliser le tribunal du travail par la
création dudit tribunal dans toutes les juridictions du pays et la
création des tribunaux administratifs du moins dans les régions
économiques du Togo. Ce qui suppose aussi le recrutement des magistrats
pour combler le grand vide qui existe déjà et la formation des
juges administratifs.
En matière de lutte contre la discrimination, la
justice togolaise doit être une justice « juste ».
Pour atteindre cet objectif, cette justice doit être indépendante
et impartiale. Il revient au juge togolais de faire preuve de probité
morale. La corruption étant un vice, elle doit être combattue
sévèrement. Ainsi en sanctionnant les juges corrompus et en
divulguant leur identité cela pourra servir d'exemple aux autres afin de
les dissuader de pratiquer la discrimination. Une juridiction de bon augure
nécessite donc la mise en place d'un mécanisme pour
accélérer les procédures judiciaires et assainir la
corporation judicaire.
Face à la discrimination, l'inspecteur du travail et
des lois sociales est censé apporter son expertise à la
création d'un monde du travail sans ce phénomène. Pour
cela, il est tenu de surveiller les pratiques discriminatoires dans le cadre du
programme d'amélioration des conditions de travail des entreprises.
L'inspecteur du travail doit user de ses pouvoirs
d'investigation pour accéder aux documents des entreprises afin de
dévoiler des cas de discrimination qui se pratiquent. Il doit aussi,
faire
223 GUISLAIN (V.), op.cit., p.15
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l'effort de saisir le juge des référés
lorsque cela est nécessaire afin d'interrompre une discrimination
pratiquée à l'encontre d'un salarié.
La direction des statistiques de l'inspection du travail du
Togo doit avoir des statistiques annuelles assez fiables sur la discrimination
dans le monde du travail au Togo. Ce qui permettra d'avoir une nette
appréhension de ce fléau.
Le renforcement des pouvoirs et de l'effectif des inspecteurs
du travail et doter ceux-ci de ressources suffisantes serait un atout devant
leur permettre d'oeuvrer activement et efficacement à la
prévention ou à l'élimination de la discrimination dans le
monde du travail.
Pour connaitre l'état d'avancement de la discrimination
et l'impact des politiques mises en place pour combattre ce
phénomène, il faut imposer aux inspecteurs de travail de faire
des bilans annuels : bilan social224 sur l'état de la
discrimination dans les entreprises ; élaborer un rapport
égalité des chances hommes et femmes225.
Les ministères en charges du travail au Togo doivent
nécessairement intensifier leurs actions afin de pouvoir combler les
attentes de l'opinion. Pour cette raison, ils doivent éviter des actions
simplement symboliques en ne prenant que celles qui auront une connotation
concrète. Il est donc temps que le gouvernement puisse «
joindre la parole à l'acte ». Pour cela, il doit innover
des stratégies assez idoines pour instituer l'égalité dans
le monde du travail.
Les institutions ne doivent être qu'au service des
travailleurs, des victimes de la discrimination. Il s'agit d'un
intérêt légal. En dépit du renforcement des
institutions administratives existantes pour les rendre compatibles avec la
politique de lutte contre la discrimination, il urge d'instituer un organe plus
spécialisé dans lutte contre la discrimination et de la promotion
de l'égalité.
B-L 'institution du Conseil National de lutte contre
la discrimination et pour l'égalité Par
décret, le gouvernement doit créer le Conseil National de Lutte
contre la Discrimination et pour l'Egalité (CNLDE). Ce décret
déterminera ses missions, ses obligations, ses pouvoirs et sa
composition.
Le CNLDE doit se faire connaître du public togolais.
Pour ce faire, des colloques et des séminaires seront organisés
à l'intention des acteurs du monde du travail afin de gagner leur
224 Arrêté royal du 4 août 1996
225 Arrêté royal du 14 juillet 1987
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confiance pour avoir plus de crédibilité
à leurs yeux. Il aura le mérite d'être un organe assez
simple, ses actions seront efficaces et sa saisine se fera gratuitement.
Comme l'indique son nom, le CNLDE aura une mission bien
déterminée : combattre la discrimination et promouvoir
l'égalité dans le monde du travail. Il doit se charger
d'être « les yeux et les oreilles » de l'Etat Togolais
en promouvant et en veillant au respect scrupuleux des conventions
internationales ratifiées par celui-ci, de la législation et du
règlement antidiscrimination en valorisant donc l'égalité
de chance, de traitement et de rémunération entre toutes les
personnes. En exerçant ses fonctions en toute indépendance et
impartialité, il doit faciliter l'accès à la preuve des
victimes de discriminations.
En vue de promouvoir l'égalité telle que
définie par l'OIT dans le monde du travail togolais, le CNLDE peut
diffuser de bonnes pratiques et procéder à la création de
partenariats avec des acteurs privés et publics226.
Pour prévenir la discrimination, le CNLDE est
censé mener des actions de sensibilisation, de formation, d'information
et de communication ce qui édifiera les acteurs du monde du
travail227. A cela s'ajoute une coopération ponctuelle avec
les acteurs concernés en passant par le renforcement des
capacités institutionnelles228. Tout cela doit se faire
nécessairement par la mise à la disposition de cette institution
de moyens financiers.
A la fin de chaque année, le CNLDE aura l'obligation de
remettre au premier responsable du pays et de présenter au public les
résultats de ses actions aussi bien positives que négatives tout
en envisageant des perspectives. Ce rapport sera audité pour
vérifier sa fiabilité. Il est intéressant de noter que le
CNLDE pourra être consulté sur toutes les thématiques
relatives à la lutte contre la discrimination. Ainsi, de sa mission, le
CNLDE peut émettre des avis et recommandations. Il peut donc s'adresser
aux autorités publiques pour apporter son expertise à des
réformes de la législation ou règlement
anti-discrimination.
Plusieurs obligations seront mises à la charge du
CNLDE. Ainsi, il se comportera en bon père de famille et sera tenu d'une
obligation de loyauté envers les personnes qui vont le saisir. Tous les
membres de le CNLDE seront tenus à l'obligation de réserve et au
respect du secret professionnel pour les informations, faits, actes et
renseignement dont ils auront connaissance
226 Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et
pour l'égalité, Rapport annuel, 2010, p.5
227 Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et
pour l'égalité, Rapport annuel, 2010, p.4
228 BIT, L'égalité au travail : un objectif qui
reste à atteindre, op.cit. p.
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dans l'exercice de leur fonction. Tout manquement aux
obligations constituerait une faute lourde susceptible d'entrainer la
révocation du membre du CNLDE ou le licenciement de l'agent en cause
sans préjudice des poursuites judiciaires à son encontre.
Ayant pour vocation de combattre la discrimination, le CNLDE
doit être investi par la loi de pouvoir spécial devant lui
permettre d'accomplir bien sa mission. Le CNLDE doit pouvoir faire office de
médiateur entre la victime et l'auteur de la discrimination en essayant
de les concilier tout en proposant lorsqu'il le jugera nécessaire une
transaction à l'auteur de la discrimination qui peut consister au
versement d'une indemnisation ou d'une amende. En cas d'échec de ce mode
alternatif de règlement des litiges, il doit se charger de saisir
l'autorité judiciaire compétente en prêtant son assistance
aux personnes victimes de la discrimination en leur prodiguant des conseils sur
les démarches juridiques à mener.
Afin de mieux appréhender la discrimination et proposer
des stratégies adéquates pour la contrer, des investigations
seront donc menées par le CNLDE surtout en matière de preuve.
Le CNLDE peut être saisi par toute personne qui s'estime
être victime ou témoin d'une discrimination et par les
associations agréées et régulièrement
constituées agissant dans l'intérêt d'un travailleur
discriminé qui opte pour « la loi du silence ».
Le CNLDE sera composé de huit membres avec un nombre
paritaire d'hommes que de femmes. Ils doivent être constitués de
six éminents juristes, d'un psychologue, d'un sociologue. Ces membres
seront nommés en fonction de leur capacité à remplir cette
mission par ordonnance souveraine pour une période de quatre ans
renouvelable une fois.
Le CNLDE aura son siège à Lomé. Mais pour
plus de proximité avec tous les travailleurs du Togo, il devrait avoir
deux représentants dans chaque préfecture du pays qui seront
chargés d'assurer le relais des informations entre l'intérieur du
pays et le siège.
Il est clair que pour venir à bout de la
discrimination, les institutions étatiques qui luttent contre elle ont
besoin d'avoir assez de ressources humaines et financières, elles
doivent aussi être impartiales, transparentes et agir en toute
indépendance tout en comptant sur un soutien politique sans
faille229.
En symbiose avec l'exigence d'une adéquation des
institutions impliquées dans la lutte contre
229 BIT, L'heure de l'égalité au travail, op.cit.
p.128
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la discrimination, le gouvernement doit axer sa politique sur une
nouvelle vision.
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