Paragraphe 2 : Les réquisits à
l'amélioration de la preuve et des sanctions de la discrimination
Pour donner l'opportunité aux victimes de
discrimination de pouvoir la prouver efficacement afin de sanctionner les
coupables, il est primordial de réviser le régime de la preuve de
la discrimination (A) et d'aggraver ses sanctions (B).
A-L 'aménagement du régime de la preuve
de la discrimination
Pour mieux combattre la discrimination, il faut que le
législateur togolais prenne en compte les difficultés
inhérentes à l'établissement de sa preuve en donnant les
moyens adéquats aux victimes de pouvoir se défendre efficacement.
La concrétisation de cette action passera inéluctablement par
l'aménagement de la charge de la preuve de la discrimination et par la
consolidation des mesures de protections légales dans la
législation anti-discrimination.
D'une part, s'agissant de l'aménagement de la charge de
la preuve, le législateur togolais peut s'inspirer de l'article
L.1132-3-3 du CTF. De cette disposition, il résulte une triple
obligation. D'abord le demandeur c'est-à-dire la victime a l'obligation
de soumettre les faits laissant supposer l'existence de la discrimination. Il
s'agit d'une présomption simple187. La victime serait donc en
phase d'une probable reconnaissance de la discrimination puisqu'elle
hérite d'une facilité d'accès à la preuve.
Ensuite, étant débiteur d'une preuve de
non-discrimination188, le défendeur s'évertuera
à démontrer l'inexistence de la discrimination. Il s'agira de
démontrer l'objectivité de sa décision c'est-à-dire
le non fondé des allégations du demandeur ce qui équivaut
à la maxime « Reus in excipiendo fit actor ». Avec
cette stratégie, on déduit que la charge de la preuve est
transférée au présumé auteur de la discrimination.
Est-ce une inversion réelle de la charge de la preuve ? Selon certains
auteurs, il s'agit de l'« aménagement »189
de la charge de la preuve. Il s'agit d'un aménagement au profit du
demandeur et au détriment du défendeur. Mais compte tenu du fait
que la victime n'est pas totalement déchargée de la preuve, qu'il
pèse encore sur elle le fardeau de prouver les faits qui laissent
supposer l'existence d'une discrimination, il serait judicieux de parler de
partage de charge de preuve entre les deux parties190. Toutefois
afin d'éviter toute polémique à ce sujet et dans le but de
concéder une facilité de preuve indéniable à la
victime,
187 Mazeaud (A.), « La discrimination dans la vie du travail
», Rapport français, p. 353
188 GUISLAIN (V.), op.cit. p.16
189 LHERMOULD (J. -Ph.), note sous Soc 29 juin 2011,
Jurisprudence soc. Lamy 2011, n°307-3, p. 12
190 DANIS-FANTÔME (A.), ibidem
La discrimination dans le monde du travail au Togo Page
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il faut y stipuler que « le doute profite à la
victime de discrimination »191.
Enfin, il revient au juge togolais saisi de former sa
conviction. En conclusion, un défendeur qui arrive à
démontrer l'objectivité de sa décision sera
disculpé de tout acte discriminatoire. Par contre, si la discrimination
est établie, sa responsabilité sera engagée.
Reconnaissons tout de même qu'eu égard à
la nécessité de protéger les droits fondamentaux de la
victime, l'aménagement des règles de preuve ne viole pas le
principe de l'égalité des armes qui tend à protéger
l'équilibre procédural entre l'accusation et la
défense192. En conséquence, le but visé en
souhaitant l'aménagement de la charge de la preuve de la discrimination
est de faciliter dorénavant, la démonstration de celle-ci.
Même si cet aménagement ne sera d'application qu'en matière
civile, nous estimons que compte tenu de la gravité de ce fléau,
qu'exceptionnellement on puisse instituer cet aménagement au
pénal uniquement en matière de discrimination.
D'autre part, pour parfaire le régime de la preuve de
la discrimination, il faut renforcer les mesures de protection légale.
La consolidation de ces mesures s'articule autour de quatre points. Primo, que
la loi reconnaisse le droit au travailleur victime de discrimination d'exiger
du juge des référés d'enjoindre à son employeur de
lui communiquer tous les documents concernant les autres travailleurs : les
contrats de travail, avenants, bulletins de paie, les tableaux
d'avancement et de promotion193 avant tout procès et sous
astreinte pour prouver la discrimination dont elle se prévaut.
Secundo, une fois interpellé, l'employeur aura la
lourde obligation de fournir tous les documents qui lui sont exigés. En
cas de refus il doit être sanctionné.
Tertio, il est opportun de rendre plus efficace la protection
des victimes pour qu'elles soient beaucoup plus disposées à
dénoncer les actes de discriminations dont elles font le plus souvent
l'objet afin de pouvoir obtenir l'annulation des mesures discriminatoires
intervenues à raison de leur action en
justice194.
Quarto, le renforcement de la protection due aux
témoins de la discrimination. L'article 40 al.2 du CTT protège
les témoins de la discrimination contre toute mesure de
rétorsion. Mais, cette protection n'étant pas absolue, il est
essentiel de la perfectionner en permettant aux témoins de
191 Ibidem
192 Cass. Soc. 28 janvier 2010, n° 08-41.959, Soc 7
février 2012, JCP S 2012 1150, n. Boulmier (D.), RJS 4/12, n°299
193 Art 145 Code de Procédure Civile Français
194 Cour de Cassation Française Troisième partie,
Rapport annuel 2008, ibidem
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témoigner sous anonymat. Ainsi, leur identité ne
sera pas révélée à l'auteur de la discrimination.
Cette initiative incitera sans doute les témoins à certifier
l'existence de la discrimination tout en restant à l'abri des
représailles. Cette technique qui consiste à témoigner
sous anonymat a d'ailleurs fait ses preuves aux Etats Unis d'Amérique
sous le nom de« Whistleblowings » et en France sous
l'appellation de « dispositif d'alerte »195.
Outre les dispositions préconisées pour
faciliter la preuve de la discrimination, deux mesures nécessitent
d'être prises afin de rendre la tâche plus aisée à la
victime de ce phénomène. Premièrement, le
législateur peut disposer que les organisations de la
société civile régulièrement constituées au
moins cinq ans196 se substituent aux victimes de la discrimination
pour agir à leur place en justice lorsque ces dernières
s'obstinent à porter leur action devant les tribunaux.
Deuxièmement, compte tenu du fait qu'il est parfois difficile aux
victimes d'apporter individuellement la preuve de la discrimination, il sera
judicieux de leur offrir l'opportunité de se constituer en groupe pour
intenter leur action en justice.
A l'instar de l'aménagement du régime de la
preuve de la discrimination, le renforcement du système punitif devra
consolider les acquis d'une bonne répression de ce
phénomène.
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