II.1.3. La théorie néo-libérale de
l'économie de l'éducation
L'échec des politiques éducatives de la
majorité des pays en développement conjuguée à
l'explosion de la crise de la dette au début de la décennie 1980,
a conduit à un renversement d'approche en matière
d'économie d'éducation. Les institutions financières
internationales soutenaient que l'interventionnisme étatique et public
en la matière ne peut
36 Véronique Simonet, Op.cit. p. 136.
37 Véronique Simonet, Op.cit. p. 137.
38 Jean-Jacques Paul, Op.cit. p. 311.
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garantir la réussite des systèmes
éducatifs des pays en développement à produire une
éducation de qualité et en adéquation avec les
avancées économiques et technologiques. Voire même qu'un
tel interventionnisme et financement public massif de l'éducation sont
considérés comme une manifestation de gaspillage financier et de
manque de performance économique. Ainsi, se posent des questions, telles
que:
? Quel est le rôle et quelles sont les fonctions de
l'État en matière d'éducation ? Quand est-ce que son
intervention est nécessaire ? Quand est-ce qu'il doit s'abstenir
d'intervenir ? Et qui doit produire et financer l'offre éducative ? Et
encore, selon quels critères ?
Ces questions sont au coeur des réflexions et analyses
de la théorie néo-libérale en matière
d'éducation. Elle affirme que l'éducation est un bien
privé et doit être prise en charge par les individus. Elle
prêche et légitime le retrait de l'État et de la
réduction des dépenses publiques d'éducation, en faveur
d'un rôle de plus en plus important pour le marché. L'État
peut maintenir son rôle de stratège, mais, non celui de
gestionnaire. Ainsi, on parle de « management de l'éducation, au
lieu de politiques d'éducation39 ». On considère
aussi, que « l'éducation n'a rien de particulier par rapport aux
autres secteurs d'activité économique et que la gestion des
établissements scolaires doit s'aligner sur celle des entreprises. Et
à ce titre, il ne s'agit plus de corriger les imperfections du
marché par l'intermédiaire de l'État, mais de
suppléer les défaillances de l'État par la défense
et promotion du marché supposé autorégulateur40
». Les arguments avancés par cette théorie affirment que
:
1. Les taux de rendement privés de l'éducation
sont partout supérieurs aux taux de rendement des placements alternatifs
ce qui légitime leur financement privé; et,
2. Les taux de rendement sociaux sont toujours
inférieurs aux taux de rendement privés.
L'infériorité du rendement éducatif
public par rapport à celui du secteur privé s'explique par
l'inefficacité de la production, de financement et du contrôle
publics de l'éducation, ce qui justifie le recours au marché. De
même, on exige que les dépenses publiques en éducation
assurent un rendement suffisant en retour pour la collectivité.
39 Véronique Simonet, op.cit., p. 315.
40 Véronique Simonet, op.cit., p. 316.
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M. Friedman (1995), est une des figures de proue de cette
école de pensée. Il argue que, « le seul moyen de
restructurer et réformer les systèmes éducatifs en
général, et le système éducatif américain en
particulier, est de renforcer le rôle et le poids du secteur
privé. L'interventionnisme public en éducation ne peut assurer
une éducation de qualité pour l'ensemble de la population
étudiante. Seules les franches aisées de la société
ont les moyens d'envoyer leurs enfants à des écoles
privées de qualité, où ils reçoivent un
enseignement moderne qui répond aux exigences de l'évolution
continue des contextes social, économique et technologique. Alors que la
majorité de la population se contente des services d'une école
publique où les conditions de travail sont dépassées et ne
favorisent pas l'innovation et la créativité; deux
paramètres pourtant fondamentaux pour le progrès de toute
société41 ».
En principe, une bonne éducation et formation sont
synonymes d'un bon revenu et d'une place distinguée au sein de la
société. Par conséquent, les différences de niveau
et de la qualité d'éducation dans le présent, sont
déterminantes pour la compréhension des différences de
niveaux de revenus et de la qualité de vie des individus dans le futur.
Une élite bien formée et éduquée, est bien
placée pour occuper et maintenir son contrôle sur les emplois et
postes les plus importants, que ce soit en politique qu'en économie.
Alors, qu'une majorité sociale sous-éduquée ou mal
éduquée, risquerait de perdre confiance et
crédibilité dans le système politique et son droit au
progrès et à la croissance sociale. Ce décalage social est
non seulement anti-démocratique, mais également menaçant
pour la stabilité et la cohésion sociales nécessaires pour
la croissance et le développement de toute nation. Un tel système
éducatif non égalitaire et à deux vitesses est donc
conçu comme une source de troubles sociaux et de retard scientifique et
technologique pour l'ensemble de la société. Dans la vision de M.
Friedman (1995), un système éducatif a deux vitesses, où
cohabite d'une part, des écoles publiques fréquentées par
la majorité de la population étudiante et produisant une offre
éducative de moindre qualité, voire même médiocre.
D'autre part, une école privée moderne, fréquentée
par une élite sociale et assurant une offre éducative de
qualité et en conformité avec les exigences du marché du
travail et de l'évolution technologique, présente non seulement
une perte pour la société aux niveaux éducatif,
scientifique et financier, mais également et surtout, représente
une menace pour la paix et la cohésion sociales. Car il est porteur des
germes de tensions, ressentiments et conflits sociaux.
41 M. Friedman, (23 Juin 1995), "Public schools make them
private", CATO Institute Briefing Papers, N°. 23, p. 343.
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La solution selon lui, est le retrait de l'État
à travers la généralisation de l'enseignement privé
moyennant la privatisation de l'offre éducative, afin que l'ensemble de
la population étudiante puisse bénéficier d'une
éducation privée et de qualité. Il met l'emphase sur le
rôle des « "vouchers" (chèques-formation), pour la
réussite de la transition d'un système d'éducation
publique régi et géré par l'État à celui
privé, régi par les lois du marché et de la
concurrence42 ». Les "vouchers" sont une sorte de subvention
financière où l'État prend en charge une partie de la
facture de scolarisation de sa population étudiante, en offrant aux
familles une aide financière pour les encourager à envoyer leurs
enfants dans des écoles privées au lieu de celles publiques. De
même, elles représentent du point de vue du marché, une
sorte de motivation et de confiance de la part de l'État en l'industrie
privée de l'éducation et un signe fort de la volonté
publique d'aider à la promotion de l'école privée.
Toutefois, M. Friedman reste très ambigu sur le point
de savoir comment évoluer d'un système de "vouchers", où
l'État assume la responsabilité première pour le
financement des dépenses d'éducation de ses citoyens dans les
écoles privées, vers un système où les citoyens
deviennent graduellement capables de se supplanter à l'aide
financière de l'État pour la prise en charge, soit de la
totalité de leurs dépenses éducatives, ou, du moins d'une
importante partie de ces dernières.
Dans un article, intitulé : "Public schools make them
private ", M. Friedman (1995), soutient que la privatisation des services
éducatives, à la lumière des privatisations
réussies en matières des services de communications et
d'information, ne peut que multiplier et diversifier les possibilités de
choix pour les consommateurs, de mettre et de raviver de la concurrence entre
les producteurs et ainsi produire des effets positifs pour la population
étudiante.
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