II. L'influence potentiellement décisive de la
Banque centrale européenne sur la supervision des établissements
« moins importants »
La Banque centrale peut imposer des obligations aux
autorités nationales en ce qui concerne la surveillance des
entités « moins importantes » (A). Son pouvoir d'intervention
à l'égard des établissements « moins importants
» ne s'arrête pas là puisqu'elle peut également
décider d'agir directement à leur égard (B).
A) Les diverses obligations imposées aux
autorités nationales affaiblissant leur compétence directe
auprès des établissements « moins importants »
La Banque centrale européenne influe sur la
surveillance directe des autorités nationales à l'égard
des établissements moins importants ; que ce soit par le biais des
diverses obligations d'information qui leur sont imposées (1) ou en
utilisant la voie normative (2).
1) De nombreuses obligations d'information portant notamment sur
certains projets de décisions et procédures
L'autorité nationale doit notifier à la BCE
« toutes les sanctions administratives imposées aux
entités moins importantes » relatives aux missions de
surveillance prudentielle177. Cette obligation influencera
forcément les autorités nationales lorsqu'elles décideront
d'infliger des sanctions
175 The single supervisory mechanism or «SSM«, part
one of the Banking Union by Eddy Wymeersch
176 Article 47(1) de la directive 2013/36/UE du Parlement
européen et du conseil du 26 juin 2013 concernant l'accès
à l'activité des établissements de crédit et la
surveillance prudentielle des établissements de crédit et des
entreprises d'investissement modifiant la directive 2002/87/CE et abrogeant les
directives 2006/48/CE et 2006/49/CE
177 Article 135 du Règlement (UE) n° 468/2014 de la
Banque centrale européenne du 16 avril 2014
63
administratives. En effet, le fait de savoir que la Banque
centrale en sera informée conduira les autorités à
appliquer les sanctions de façon plus objective.
Les autorités nationales doivent également
informer la BCE en cas de « détérioration rapide et
importante de la situation de toute entité moins importante ».
En particulier si cette détérioration est susceptible de conduire
à une demande d'aide financière du MES178. Cette
obligation se comprend notamment par la conséquence d'une aide
financière directe du MES à une entité moins importante :
cette aide la fait basculer dans la catégorie des établissements
importants. Cette information est donc essentielle et permet à la BCE de
se préparer à exercer potentiellement la surveillance
prudentielle directe d'un nouvel établissement de crédit.
L'obligation d'information majeure porte sur les
procédures de surveillance prudentielle essentielles des
autorités nationales afférentes aux établissements moins
importants. Les informations relatives à ces procédures doivent
être notifiées à la Banque centrale européenne : ces
procédures concernent notamment la révocation des membres des
conseils d'administration et « les procédures ayant une
incidence importante sur l'entité moins importante soumise à la
surveillance prudentielle »179. La notion de
procédure essentielle est donc définie très largement et
il appartiendra à la BCE de donner une interprétation plus ou
moins large de ce qu'elle considère être une procédure de
surveillance essentielle. En l'état actuel du droit, la BCE peut donc
exiger des autorités nationales que lui soient communiquées
toutes informations relatives à toute procédure à
l'égard d'une entité moins importante. Il serait donc opportun de
prévoir une liste concrète de procédures
considérées comme essentielles afin d'offrir une réelle
autonomie aux autorités nationales qui, actuellement, exercent leurs
missions de surveillance directe avec la potentialité de devoir
continuellement notifier leurs actions à la BCE. En outre, même
s'il existait une liste des procédures essentielles, le règlement
dispose que, en plus des obligations d'information concernant ces
dernières, la BCE peut à tout moment demander aux
autorités compétentes nationales des informations sur la mise en
oeuvre des missions qu'elles accomplissent à l'égard des
établissements moins importants180. Cela démontre une
volonté des textes européens de permettre une immixtion de la
Banque centrale dans la supervision directe des autorités nationales. Le
guide relatif à la surveillance bancaire a mis en garde contre
l'excès de notifications à la BCE par les autorités
nationales181.
La même obligation de notification s'applique en
matière de projets de décisions considérées
comme
178 Article 96 du Règlement (UE) n° 468/2014 de la
Banque centrale européenne du 16 avril 2014
179 Article 97(2) du Règlement (UE) n° 468/2014 de la
Banque centrale européenne du 16 avril 2014
180 Article 97(3) du Règlement (UE) n° 468/2014 de la
Banque centrale européenne du 16 avril 2014
181 Guide relatif à la surveillance bancaire-septembre
2014
64
essentielles s'ils ont une incidence importante sur
l'entité surveillée. Là encore, il aurait
été préférable de fournir une liste qui permette
aux autorités de discerner les projets de décisions qui donneront
lieu à notification et les autres182.
Les autorités nationales ont, dans tous les cas, une
obligation générale de faire rapport à la BCE qui peut
leur demander à tout moment de l'informer sur les mesures qui ont
été prises à l'égard des établissements
moins importants183.
En plus de ces obligations d'information et de notification,
la BCE peut agir sur la surveillance directe des entités moins
importantes en adoptant des actes contraignants à l'encontre des
autorités nationales.
2) La possibilité pour la Banque Centrale
Européenne d'influencer la supervision directe des autorités
nationales par la voie normative
Le règlement MSU prévoit que, s'agissant des
entités moins importantes, les autorités nationales agissent
selon les orientations ou instructions générales de la BCE
précisant les modalités selon lesquelles les autorités
compétentes doivent accomplir leurs missions de surveillance
prudentielle et arrêter des décisions184.
Est-il encore possible de parler de surveillance directe des
autorités nationales à l'égard des établissements
moins importants ? La question se pose sérieusement puisque le
règlement offre à la Banque centrale le pouvoir de dicter aux
autorités nationales la façon d'agir auprès des
entités pour lesquelles elles sont censées conserver la
surveillance directe. A partir du moment où ces instructions et
orientations seront en phase avec le droit de l'Union, elles devraient
logiquement prévaloir sur le droit national des autorités qui
seront alors obligées de suivre la BCE. Il est à prévoir
que les règles relatives à l'exercice même des missions de
surveillance prudentielles soient de plus en plus harmonisées. À
terme, les autorités nationales auront très peu de marge de
manoeuvre dans le cadre de leur compétence directe et seront
cloisonnées tant par les règles issues de la BCE, qui peut
également adopter des règlements, que par le manuel de
supervision unique qui décrira précisément les
procédures et la méthodologie à appliquer. En effet,
à l'heure actuelle existe encore une certaine
hétérogénéité dans le processus de
supervision appliqué par les diverses autorités nationales.
En réalité, si le règlement avait
laissé une indépendance totale aux autorités nationales
pour la
182 Article 98 du Règlement (UE) n° 468/2014 de la
Banque centrale européenne du 16 avril 2014
183 Article 99 du Règlement (UE) n° 468/2014 de la
Banque centrale européenne du 16 avril 2014
184 Article 6(5)a) du Règlement (UE) n°1024/2013 du
Conseil du 15 octobre 2013
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surveillance des entités moins importantes, de
nombreuses disparités seraient apparues. De plus, certaines banques ne
présentent pas les critères d'un « établissement
important » mais représentent un réel risque
systémique. En effet, la défaillance d'une institution de petite
taille peut avoir un effet d'entraînement sur l'ensemble du
système financier185.
Pour assurer la cohérence du Mécanisme de
surveillance unique, il est également prévu que la BCE puisse,
dans certains cas, non pas seulement influencer le comportement des
autorités nationales, mais décider d'agir directement
auprès des entités « moins importantes » et ainsi
exercer une supervision directe sur ces derniers. Cette possibilité
confirme la volonté de faire de la BCE une autorité
supranationale dominant le Mécanisme de surveillance unique.
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