Section 2 : Un fort pouvoir d'intervention de la Banque
Centrale Européenne restreignant le principe d'une surveillance directe
de certains établissements de crédit par les autorités
nationales
Une lecture peu attentive des règlements
régissant le Mécanisme de surveillance unique pourrait laisser
croire à un pouvoir étendu des autorités nationales
auprès des entités qui ne relèvent pas de la surveillance
directe de la BCE (I). Pourtant, cette dernière a potentiellement le
pouvoir d'agir directement auprès de n'importe quel établissement
de crédit (II).
I. Une possibilité à priori étendue
pour les autorités nationales d'exercer une surveillance directe des
établissements de crédit
Dans certaines circonstances, les autorités nationales
conserveront un pouvoir de surveillance directe (A). Ce maintien de
compétences s'illustre particulièrement bien dans le cadre des
relations transfrontalières (B).
156 Considérant 43 du Règlement (UE)
n°1024/2013 du Conseil du 15 octobre 2013
57
A) Le pouvoir de surveillance directe des
autorités nationales au regard de l'importance de l'établissement
de crédit ou de la nature des missions de surveillance
D'après les règlements, les autorités
nationales peuvent agir directement auprès des entités «
moins importantes », notamment en leur imposant des mesures sans devoir
attendre l'aval de la BCE (1). Il ne faut pas non plus oublier la
compétence directe des autorités nationales pour ce qui
relève des missions de surveillance non confiées à la
Banque centrale européenne (2).
1) La surveillance directe par les autorités nationales
des établissements de crédit « moins importants »
Les autorités nationales sont officiellement
chargées de la surveillance directe des établissements de moindre
importance. Selon le guide de surveillance, ces dernières se doivent
d'utiliser leurs propres ressources et procédures de prise de
décision157. Par conséquent, rien ne devrait changer
pour les autorités lorsqu'elles auront affaire à des
entités moins importantes sur leur territoire.
Cette compétence directe est confirmée par le
règlement cadre : « Dans le cadre du MSU, les
responsabilités respectives de la BCE et des autorités
compétentes nationales en matière de surveillance prudentielle
sont attribuées en fonction de l'importance des entités qui
relèvent du MSU (...) Les autorités compétentes
nationales sont chargées de la surveillance prudentielle directe des
entités qui sont moins importantes »158.
Les activités de surveillance concernées
devraient comprendre l'organisation de réunions avec les dirigeants des
établissements moins importants, une analyse régulière des
risques au sein de l'établissement concerné et la mise en oeuvre
d'inspections sur places. Cette surveillance directe concerne environ 3700
entités, soit la majorité des établissements de
crédit. Cependant, les établissements surveillés
directement par la BCE représentent plus de 85% des actifs
bancaires159. Cela permet de relativiser l'importance de la
surveillance nationale directe.
Les mesures directes des autorités compétentes
concernant les établissements moins importants seront les mêmes
que celles imposées par la BCE à l'exclusion des
procédures communes, notamment veiller au respect des exigences
prudentielles relatives aux contraintes de fonds propres, de titrisation, de
liquidité et veiller à ce que les établissements disposent
de dispositifs solides en matière de
157 Guide relatif à la surveillance bancaire-Septembre
2014
158 Considérant 5 du Règlement (UE) n°
468/2014 de la Banque centrale européenne du 16 avril 2014
159 Note d'information sur l'évaluation
complète-Banque centrale européenne, octobre 2013
58
gouvernance. Les autorités nationales sont en fait
habilitées par le règlement MSU à « adopter
toutes les décisions pertinentes en matière de surveillance
à l'égard des établissements de crédit »
moins importants160.
Le MSU n'est pas une simple délégation de
pouvoirs des autorités vers la Banque centrale européenne. Ce
mécanisme est censé représenter un nouveau système
d'exercice conjoint des compétences de surveillance prudentielle
d'où le maintien d'un pouvoir direct aux autorités
nationales161.
Certaines missions de surveillance n'ont pas été
confiées à la Banque centrale européenne et continuent de
relever de la compétence exclusive des autorités nationales.
2) Une surveillance souveraine au regard des missions de
surveillance non confiées à la Banque centrale
européenne
Les autorités compétentes continueront d'avoir
un pouvoir direct au regard des missions non confiées à la BCE.
Cette compétence ne tiendra évidemment pas compte de la
distinction entre établissement « important » et « moins
important ».
Selon le règlement MSU : « Les missions de
surveillance qui ne sont pas confiées à la BCE devraient rester
du ressort des autorités nationales »162. Cette
affirmation permet de comprendre que le caractère supranational de la
BCE en tant qu'autorité unique de supervision prudentielle n'est pas
total. L'allégation est confirmée à l'article premier du
règlement MSU : « Le présent règlement est sans
préjudice des responsabilités et pouvoirs correspondants dont
sont investies les autorités compétentes des Etats membres
participants pour l'exercice des missions de surveillance qui ne sont pas
confiées à la BCE ».
Toutes les missions de surveillance des établissements
de crédit n'ont pas été confiées à la Banque
centrale. Quelles sont ces missions qui demeurent exclusivement nationales ?
Tout d'abord, la BCE ne sera pas en charge des entités
qui ne sont pas des établissements de crédit au sens du droit de
l'Union : c'est à dire « une entreprise dont l'activité
consiste à recevoir du public des dépôts ou d'autres fonds
remboursables et à octroyer des crédits pour son propre compte
»163. Le fait que d'autres établissements soient
surveillés en tant que tels n'entrainera pas la compétence de
la
160 Article 6(6) du Règlement (UE) n°1024/2013 du
Conseil du 15 octobre 2013
161 La Vigilanza bancaria tra presente e
futuro-Intervento di Carmelo Barbagallo, Roma 23 gennaio 2014
162 Considérant 28 du Règlement (UE)
n°1024/2013 du Conseil du 15 octobre 2013
163 Article 4(1)1) du Règlement (UE) n°575/2013 du
Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013
59
Banque centrale. Cette exception n'en est pas
véritablement une puisque la notion de « banque » est
harmonisée au sein de l'Union européenne et tous les États
membres partagent substantiellement la même
définition164. Malgré tout, n'est jamais exclue une
différence d'interprétation d'une même disposition entre
les différents États membres.
Les autorités nationales continueront d'être
exclusivement compétentes en matière de surveillance des services
de paiement, pour les marchés d'instruments financiers, la
prévention de l'utilisation du système financier aux fins du
blanchiment de capitaux et pour le financement du terrorisme ainsi que pour la
protection du consommateur165.
Selon Eddy Wymeersch, l'article 4(3) du règlement MSU
permettrait à la BCE de s'immiscer dans le champ des compétences
qui ne lui sont pas dévolues166. L'article en question permet
en effet à la BCE d'appliquer le droit national transposant les
directives si cela s'avère nécessaire pour l'accomplissement de
ses missions. Or, des directives européennes existent, notamment sur le
blanchiment d'argent167. Cependant, ce ne sera possible que si
l'application de cette directive est nécessaire pour la
réalisation des missions qui lui sont confiées. Cela n'est donc
pas véritablement une manière, pour la Banque centrale, de
s'immiscer au delà de ses compétences. L'application de la
législation en cause sur le blanchiment ne constituerait qu'un moyen et
non une fin.
A été analysée précédemment
l'absence de compétence exclusive réelle (sauf dans le cas d'une
entité hors zone MSU exerçant la libre prestation de service dans
un Etat membre non-participant) de la BCE en matière de relations
transfrontalières. Quelle est alors la place des autorités
nationales dans ce cadre ?
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