Paragraphe 2 : La délimitation des
prérogatives patronales
Est-il vrai que l'état de subordination du
salarié puisse justifier que l'employeur lui impose le respect de
certaines règles ? Peut-il exister dans un Etat de droit des normes non
conventionnelles qui ne seraient pas issues de l'autorité publique mais
d'une autorité privé ? Peut-il exister réellement une
« autoréglementation » ? 53 La réponse
à ce questionnement sera positive. La loi reconnait à l'employeur
des pouvoirs exorbitants, suite logique de la liberté d'entreprise, afin
de conduire la gestion et la direction de son entreprise.
L'inconvénient, c'est que ces prérogatives peuvent
dégénérer rapidement en arbitraire. Pour le contrecarrer,
un
50 Cour supreme, 10 juillet 1963, Rec. Legisl. Juripr.
1963, p. 128.
51 Sauf si l'entreprise est régie par une
convention collective qui a fait l'objet d'extension par un arrêté
ministériel.
52 A l'expiration de ce délai si aucun
accord de substitution n'a été conclu, les salariés
peuvent invoquer le bénéfice des avantages individuels acquis au
titre de la convention collective qui était applicable à l'ancien
employeur.
53 G. Lyon-Caen, J. Pélissier, A. Supiot, op.
cit., p. 59.
12
régime restrictif a été institué
par la loi afin de mieux assurer la protection du salarié dans
l'entreprise.
Les pouvoirs qui sont reconnus à l'employeur,
représenté par le chef d'entreprise, sont au nombre de trois,
tout aussi encadré. Il s'agit du pouvoir de direction, du pouvoir
réglementaire et du pouvoir disciplinaire.
Pour ce qui est du pouvoir de direction, il est le plus
important et confère au chef d'entreprise un pouvoir
général de direction sur l'ensemble du personnel de l'entreprise.
Il participe des attributs de ce pouvoir, la possibilité du chef
d'entreprise de choisir la personne du salarié en procédant
à son embauche, en décidant de son affectation à un emploi
qu'il peut éventuellement modifier, en gérant sa carrière
par des promotions, des déclassements, des mutations, en le
congédiant par le licenciement, qui est le point culminant de son
pouvoir de direction.
Dans une perspective de limitation de ce pouvoir afin de
protéger le salarié, le droit du travail a dressé une
obligation pour l'employeur de respecter les droits et libertés
fondamentaux du salarié. Il en va ainsi de leur vie privée, du
secret de leurs correspondances, de leur liberté d'opinion... Au reste,
mentionnons que l'employeur est également tenu au respect de
règles concernant l'embauche54, les conditions de
travail55, le salaire minimum interprofessionnel garanti (SMIG), les
licenciements, l'organisation de l'entreprise... Et la plupart de ces
règles ont un caractère impératif et relèvent de
l'ordre public. Enfin, les pouvoirs du Chef d'entreprise font l'objet d'un
contrôle par le juge social qui vérifie si les décisions
prises par celui-ci ne heurtent pas les dispositions légales ou
réglementaires.
Pour ce qui est du pouvoir règlementaire de
l'employeur, il lui permet de fixer un cadre normatif dans l'entreprise afin
d'assurer le bon ordre. Dans une perspective d'encadrement de ce pouvoir
réglementaire, le législateur a limité son contenu,
exclusivement, aux règles relatives à l'organisation technique du
travail, à la discipline et aux prescriptions concernant
l'hygiène et la sécurité, nécessaires à la
bonne marche de l'établissement, toute clause étrangère
étant considérée nulle de plein droit56. De
même, l'employeur doit communiquer le règlement intérieur
aux délégués du personnel, s'il en existe, et à
l'inspecteur du travail qui exige le retrait des dispositions
étrangères et la modification des dispositions contraires aux
lois et règlements en vigueur.
En ce qui concerne le pouvoir disciplinaire, privilège
exorbitant de droit commun en raison de sa dérogation au monopole de
l'Etat quant à l'édiction de peines, il est soumis, lui aussi,
à
54 Voir supra (A du Para. 1).
55 Hygiène et sécurité,
médecine de travail.
56 Art. L100 code du travail.
13
un très restrictif. Au Sénégal, la CCNI,
prévoit des garanties disciplinaires57 pour le salarié
fautif. En effet, elle stipule que les sanctions qu'elles prévoient ne
peuvent être infligées par le chef d'entreprise qu'après
que le salarié, assisté sur sa demande, d'un
délégué du personnel, aura fourni des explications
écrites ou verbales. En outre, en application du principe tiré de
l'adage « non bis in idem » le salarié ne saurait
être sanctionné deux fois pour la même faute. De la
même façon, le salarié bénéficie d'une sorte
d'amnistie pour des faits fautifs déjà sanctionnées s'il
récidive. Dans ce cas, l'employeur ne pourra pas invoquer cette sanction
pour alourdir celle qu'il envisage de prendre. Par ailleurs, les sanctions
pécuniaires sont interdites. Il est interdit à l'employeur
d'infliger des amendes58 et il ne peut retenir sur le salaire des
sommes en guise de sanction. Mais, les sanctions pécuniaires indirectes,
consécutives par exemple à une rétrogradation, sont
licites.
Les prérogatives patronales ne pouvaient être
laissées générales, inconditionnelles et les
salariés à la merci de l'employeur. Le droit du travail a
érigé des garde-fous pour contenir les pouvoirs du l'employeur.
Cet encadrement participe de l'objectif de protection des salariés par
le droit du travail lorsque le contrat de travail est en cours
d'exécution. Ce régime protecteur s'observe aussi à la fin
du contrat de travail.
|