PREMIERE PARTIE : LA PROTECTION DU SALARIE : FINALITE
ORIGINELLE DU DROIT DU TRAVAIL
La protection du salarié est la finalité la plus
fréquemment assignée au droit du travail. A l'instar du droit
civil, il poursuit l'objectif d'organiser la vie des hommes en
société. Cette protection s'observe aussi bien dans les rapports
individuels de travail (chapitre 1) que dans les rapports collectifs (chapitre
2).
CHAPITRE 1 : LA PROTECTION AU PLAN INDIVIDUEL
De la conclusion du contrat de travail, en passant par son
exécution et de sa rupture, nombreuses sont les dispositions
législatives, règlementaires et conventionnelles qui
protègent les salariés. Même dès le recrutement, le
droit du travail s'attelle à remédier à l'asymétrie
des forces entre l'employeur et le potentiel salarié en posant de
nombreuses règles que l'employeur est contraint de respecter. Cette
démarche protectrice du droit du travail s'intensifie au cours du
contrat de travail, s'il y a recrutement (section 1) et lors de sa rupture
(section 2).
Section 1 : Le régime protecteur au cours du
contrat de travail
L'employeur ne bénéficie plus d'un pouvoir
discrétionnaire, son pouvoir a été encadré par
l'information et la consultation des représentants du personnel, par
l'inspection du travail et le juge. Ainsi, dès la conclusion du contrat
de travail, support juridique qui le salarié à l'employeur, le
régime protecteur du droit du travail procède à
l'encadrement de la relation de travail (paragraphe 1) et à la
délimitation des prérogatives patronales (paragraphe 2).
Paragraphe 1 : L'encadrement de la relation de travail A
- Le principe d'égalité professionnelle
L'égalité est un droit fondamental de la
personne humaine, quel que soit le sexe biologique ou social, l'orientation
sexuelle, et quelles que soient les différences entre les personnes. Il
convient, afin de lever toute équivoque, de cerner la notion
d'égalité.
Au sens commun, égalité évoque la
qualité de ce qui est égal36, en droit,
l'égalité est appréciée à l'aune de la loi
ou des droits. A ce titre, on parlera d'égalité devant la loi ou
égalité en droit. L'égalité est le deuxième
grand principe posé par la déclaration des droits de l'homme et
du citoyen du 26 aout 1789. Il s'agit d'une égalité strictement
juridique. Les hommes naissent
36 Le dictionnaire Robert de la langue
française.
8
et demeurent égaux en droit37. C'est
l'égalité devant la loi qui importe et non pas
l'égalité sociale38. Cela implique, par exemple,
l'égale admission aux dignités, places et emplois
publics39.
Ce principe fondamental trouve écho dans le droit du
travail. On parlera donc d'égalité professionnelle. En droit du
travail, la question d'égalité se pose surtout entre homme et
femme. Face à une différence, on a tendance à
établir une hiérarchie des valeurs, ce qui crée des
inégalités et l'anatomie d'un homme est différente de
celle d'une femme. De ce fait, sur cette base de différences physiques,
l'humanité a traditionnellement affecté une valeur moindre aux
femmes. Il en est souvent de même pour les différences de couleurs
de peaux. La notion d'égalité n'est pas contradictoire avec la
notion de différence. Chaque personne, parce qu'elle est unique, est
différente des autres, mais toutes les personnes sont égales en
droit. L'égalité homme-femme n'implique pas que les hommes et les
femmes deviennent identiques, mais que tout le monde ait les mêmes droits
et des opportunités dans l'existence40.
La Constitution sénégalaise de 2001 inscrit
l'égalité femmes-hommes dans son article 7 in fine, elle garantit
à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à
ceux de l'homme et proclame le rejet et l'élimination, sous toutes leurs
formes, de l'injustice, des inégalités et des discriminations.
Par ailleurs, dans l'article 25 in fine, on peut lire : « Chacun a le
droit de travailler et le droit de prétendre à un emploi. Nul ne
peut être lésé dans son travail en raison de ses origines,
de son sexe, de ses opinions, de ses choix politiques ou de ses croyances. Le
travailleur peut adhérer à un syndicat et défendre ses
droits par l'action syndicale. Toute discrimination entre l'homme et la femme
devant l'emploi, le salaire et l'impôt est interdite ». Ces
dispositions constitutionnelles sont corroborées, sur le plan
législatif, par l'article L1 in fine du code du travail qui dispose que
« l'Etat assure l'égalité de chance et de traitement des
citoyens en ce qui concerne l'accès à la formation
professionnelle et à l'emploi, sans distinction d'origine, de race, de
sexe et de religion ».
Concrètement, il s'agira de d'assurer l'accès
des femmes et des hommes aux mêmes opportunités, droits,
occasions, conditions matérielles - par exemple, même accès
aux soins médicaux, partage des ressources économiques,
même participation à l'exercice du pouvoir politique...- , tout en
respectant leurs spécificités. Dans la profession,
l'égalité sera le fait pour
37 Art. 1 déclaration des droits de l'homme et
du citoyen de 1789 ; art. 1 déclaration universelle des droits de
l'homme.
38 Art. 6 Déclaration des droits de l'homme et
du citoyen de 1789.
39 J. MEKHANTAR, Droit politique et constitutionnel,
Editions ESKA, 1997, P. 226.
40 Egalité, équité,
mixité, parité, genre,
http://www.adequations.org/spip.php?article362,
consulté le 09/11/2018.
9
les femmes et les hommes d'avoir les mêmes droits et
avantages en matière d'accès à l'emploi, d'accès
à la formation professionnelle, de qualification, de classification, de
promotion et de conditions de travail. Ainsi, l'égalité de
rémunération entre les femmes et les hommes est obligatoire pour
un même travail ou un travail de valeur égal41.
Ce principe d'égalité professionnelle participe
de l'encadrement de la relation de travail par le droit du travail et,
s'inscrit plus généralement dans la protection du salarié
de sexe féminin qui, pendant longtemps, a été victime des
clivages et inégalités dans le domaine de l'emploi. L'encadrement
de la relation de travail se poursuit en cas de modification de la situation
juridique de l'employeur.
B - Le maintien du salarié en cas de modification
de la situation juridique de l'employeur
Les contrats de travail à durée
indéterminée peuvent être résiliés
unilatéralement par l'employeur en raison de difficultés
rencontrées par l'entreprise ou de facteurs concernant le
salarié. Par ailleurs, le caractère intuitu personae du contrat
de travail devrait logiquement entrainé la rupture de celui-ci lorsque
l'un des contractants n'est plus en mesure de l'exécuter : ainsi, la
cession de l'entreprise qui implique le départ de l'employeur
co-contractant devait, conformément au principe de la relativité
des conventions, s'accompagner de la rupture des contrats liant cet employeur
avec les salariés qu'il a engagés.
Toutefois, dans une démarche de protection du
salarié, le droit du travail, toujours animé par le souci de
limiter la précarité de l'emploi susceptible d'être
engendré par le droit de résiliation unilatérale et par
les transferts d'entreprise, pose le principe du maintien des contrats de
travail42. Un principe qui est néanmoins soumis à des
conditions d'application pour pouvoir porter ses effets.
1 - Les conditions du maintien des contrats de
travail
L'alinéa 1 de l'article L66 du code du travail dispose
: « S'il survient une modification dans la situation juridique de
l'employeur, notamment par succession, reprise sous une nouvelle appellation,
vente, fusion, transformation de fonds, mise en société, tous les
contrats de travail
41 Voir B. TEYSSIE dans commentaire de l'article L.
1141-1 du code du travail français, LexisNexis, 2014, p. 27.
42 Article L66 du code du travail.
10
en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel
employeur et le personnel de l'entreprise ». Nous en déduisons
trois conditions générales pour que s'applique ce texte.
La première condition est la modification de la
situation juridique de l'employeur. La loi ne précise pas cette notion,
néanmoins elle est assez limpide pour exclure les modifications de la
situation économique de l'entreprise telles que les réductions
d'activité, les suppressions de branche
d'activité43... Bien que l'article L66 ne vise
expressément que quelques situations particulières par
l'utilisation de l'adverbe notamment, il faut souligner que la jurisprudence
considère qu'il contient un « principe de portée
générale applicable à tous les actes ou faits entrainant
une modification juridique de la forme44, de la
propriété45 ou de l'exploitation de
l'entreprise46 ».
La seconde condition est la continuité de l'entreprise.
Le régime protecteur du droit du travail ne se manifeste que si c'est la
même entreprise qui se poursuit. Dans la pratique, les juges retiennent
plusieurs éléments de fait pour vérifier si c'est la
même entreprise qui se poursuit. A ce titre, s'il y a poursuite de
l'activité initiale ou prospection de la même clientèle ou
encore travail dans les mêmes locaux, avec le même matériel
et une partie du précédent employeur, les juges retiennent
souvent la continuité de l'entreprise47. En droit
français, on parle, outre le maintien de l'activité
économique, du maintien de l'identité de l'entité
économique. S'il y a exploitation de la même activité
économique par le nouvel employeur mais non accompagnée d'un
maintien de l'identité de l'entité économique, il n'y a
pas maintien des contrats de travail. Ainsi, « l'entité
économique perd son identité lorsqu'elle passe du secteur public
au secteur privé ou inversement »48. Par ailleurs,
contrairement en droit français, ou un lien de droit n'est pas
exigé entre les employeurs successifs49, en droit
sénégalais, il y l'exigence de ce lien de droit.
La troisième condition a trait aux contrats de travail.
Le nouvel employeur ne peut être lié par les contrats de travail
auxquels était partie l'employeur précédent, que si ces
contrats étaient encore en cours au moment du transfert. Le contrat de
travail qui a cessé de produire ses effets avant la modification de la
situation juridique de l'employeur pour des motifs étrangers ne peut
être maintenu. Le principe profite donc aux contrats qui étaient
en cours d'exécution ou même
43 J. P. TOSI, op. cit., p. 470.
44 Transformation d'une société
privée en une société d'économie mixte. C. supr.
2e sec. 3 juin 1975 cité par J.P. TOSI, op. cit., p. 470.
45 C. supr, 11 mai 1966, Rec. Légil.
Jurispr. 1966, CS., p. 73. Trib. Trav. Dakar. 1er Juin 1970, TPOM
n307, p. 6794 cité par J.P. TOSI, op. cit., p. 470.
46 CA., 15 nov. 1961, TPOM n 108, p. 2397 cité
par J.P. TOSI, op. cit., p. 470.
47 J. P. TOSI, op. cit, p. 471.
48 G. Lyon-Caen, J. Pélissier, A. Supiot, Droit
du travail, 18e ed., Dalloz, 1996, p. 287.
49 Ass. Plénière, 16 mars 1990, Dr
social 1990, p. 339.
11
suspendus au moment de la survenance de
l'événement. Les contrats d'engagement à l'essai sont
inclus, de même que ceux en période préavis. Qu'en est-il
des effets.
2 - Les effets du maintien des contrats de
travail
Lorsque les conditions prévues par l'article L.66 du
code du travail sont réunies, la loi impose le maintien des contrats de
travail en cours. Ce maintien s'impose aux deux parties. Le contrat est donc
transféré au nouvel employeur intact, c'est-à-dire avec le
même contenu (salaire, qualification du salarié, lieu de
travail...), la même ancienneté... Le contrat de travail doit
être transféré tel quel. Toute modification lors du
transfert est réputée nulle. Néanmoins, après que
le transfert de contrat ait été accompli, les parties sont libres
de proposer des modifications ou de résilier le contrat en respectant
les exigences posées par la loi.
Toutefois, c'est le contrat de travail, seul, qui est
transféré50, à l'exception des normes
conventionnelles51 contrairement en France où la
jurisprudence maintient l'application des normes collectives pendant un
délai d'une année52.
En toute hypothèse, ce principe de maintien des
contrats de travail en cas modification de la situation juridique de
l'employeur manifeste bien une volonté marquée d'instaurer une
certaine stabilité de l'emploi par le droit du travail qui est mu par la
protection des salariés en toute circonstance. La délimitation
des prérogatives patronales est aussi l'un des volets de protection du
droit du travail.
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