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Quelle(s) finalité(s) pour le droit du travail sénégalais?


par Alassane SECK
Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD) - Master 2 en droit privé et sciences criminelles 2017
  

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PREMIERE PARTIE : LA PROTECTION DU SALARIE :
FINALITE ORIGINELLE DU DROIT DU TRAVAIL

La protection du salarié est la finalité la plus fréquemment assignée au droit du travail. A l'instar du droit civil, il poursuit l'objectif d'organiser la vie des hommes en société. Cette protection s'observe aussi bien dans les rapports individuels de travail (chapitre 1) que dans les rapports collectifs (chapitre 2).

CHAPITRE 1 : LA PROTECTION AU PLAN INDIVIDUEL

De la conclusion du contrat de travail, en passant par son exécution et de sa rupture, nombreuses sont les dispositions législatives, règlementaires et conventionnelles qui protègent les salariés. Même dès le recrutement, le droit du travail s'attelle à remédier à l'asymétrie des forces entre l'employeur et le potentiel salarié en posant de nombreuses règles que l'employeur est contraint de respecter. Cette démarche protectrice du droit du travail s'intensifie au cours du contrat de travail, s'il y a recrutement (section 1) et lors de sa rupture (section 2).

Section 1 : Le régime protecteur au cours du contrat de travail

L'employeur ne bénéficie plus d'un pouvoir discrétionnaire, son pouvoir a été encadré par l'information et la consultation des représentants du personnel, par l'inspection du travail et le juge. Ainsi, dès la conclusion du contrat de travail, support juridique qui le salarié à l'employeur, le régime protecteur du droit du travail procède à l'encadrement de la relation de travail (paragraphe 1) et à la délimitation des prérogatives patronales (paragraphe 2).

Paragraphe 1 : L'encadrement de la relation de travail A - Le principe d'égalité professionnelle

L'égalité est un droit fondamental de la personne humaine, quel que soit le sexe biologique ou social, l'orientation sexuelle, et quelles que soient les différences entre les personnes. Il convient, afin de lever toute équivoque, de cerner la notion d'égalité.

Au sens commun, égalité évoque la qualité de ce qui est égal36, en droit, l'égalité est appréciée à l'aune de la loi ou des droits. A ce titre, on parlera d'égalité devant la loi ou égalité en droit. L'égalité est le deuxième grand principe posé par la déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 aout 1789. Il s'agit d'une égalité strictement juridique. Les hommes naissent

36 Le dictionnaire Robert de la langue française.

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et demeurent égaux en droit37. C'est l'égalité devant la loi qui importe et non pas l'égalité sociale38. Cela implique, par exemple, l'égale admission aux dignités, places et emplois publics39.

Ce principe fondamental trouve écho dans le droit du travail. On parlera donc d'égalité professionnelle. En droit du travail, la question d'égalité se pose surtout entre homme et femme. Face à une différence, on a tendance à établir une hiérarchie des valeurs, ce qui crée des inégalités et l'anatomie d'un homme est différente de celle d'une femme. De ce fait, sur cette base de différences physiques, l'humanité a traditionnellement affecté une valeur moindre aux femmes. Il en est souvent de même pour les différences de couleurs de peaux. La notion d'égalité n'est pas contradictoire avec la notion de différence. Chaque personne, parce qu'elle est unique, est différente des autres, mais toutes les personnes sont égales en droit. L'égalité homme-femme n'implique pas que les hommes et les femmes deviennent identiques, mais que tout le monde ait les mêmes droits et des opportunités dans l'existence40.

La Constitution sénégalaise de 2001 inscrit l'égalité femmes-hommes dans son article 7 in fine, elle garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l'homme et proclame le rejet et l'élimination, sous toutes leurs formes, de l'injustice, des inégalités et des discriminations. Par ailleurs, dans l'article 25 in fine, on peut lire : « Chacun a le droit de travailler et le droit de prétendre à un emploi. Nul ne peut être lésé dans son travail en raison de ses origines, de son sexe, de ses opinions, de ses choix politiques ou de ses croyances. Le travailleur peut adhérer à un syndicat et défendre ses droits par l'action syndicale. Toute discrimination entre l'homme et la femme devant l'emploi, le salaire et l'impôt est interdite ». Ces dispositions constitutionnelles sont corroborées, sur le plan législatif, par l'article L1 in fine du code du travail qui dispose que « l'Etat assure l'égalité de chance et de traitement des citoyens en ce qui concerne l'accès à la formation professionnelle et à l'emploi, sans distinction d'origine, de race, de sexe et de religion ».

Concrètement, il s'agira de d'assurer l'accès des femmes et des hommes aux mêmes opportunités, droits, occasions, conditions matérielles - par exemple, même accès aux soins médicaux, partage des ressources économiques, même participation à l'exercice du pouvoir politique...- , tout en respectant leurs spécificités. Dans la profession, l'égalité sera le fait pour

37 Art. 1 déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ; art. 1 déclaration universelle des droits de l'homme.

38 Art. 6 Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.

39 J. MEKHANTAR, Droit politique et constitutionnel, Editions ESKA, 1997, P. 226.

40 Egalité, équité, mixité, parité, genre, http://www.adequations.org/spip.php?article362, consulté le 09/11/2018.

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les femmes et les hommes d'avoir les mêmes droits et avantages en matière d'accès à l'emploi, d'accès à la formation professionnelle, de qualification, de classification, de promotion et de conditions de travail. Ainsi, l'égalité de rémunération entre les femmes et les hommes est obligatoire pour un même travail ou un travail de valeur égal41.

Ce principe d'égalité professionnelle participe de l'encadrement de la relation de travail par le droit du travail et, s'inscrit plus généralement dans la protection du salarié de sexe féminin qui, pendant longtemps, a été victime des clivages et inégalités dans le domaine de l'emploi. L'encadrement de la relation de travail se poursuit en cas de modification de la situation juridique de l'employeur.

B - Le maintien du salarié en cas de modification de la situation juridique de l'employeur

Les contrats de travail à durée indéterminée peuvent être résiliés unilatéralement par l'employeur en raison de difficultés rencontrées par l'entreprise ou de facteurs concernant le salarié. Par ailleurs, le caractère intuitu personae du contrat de travail devrait logiquement entrainé la rupture de celui-ci lorsque l'un des contractants n'est plus en mesure de l'exécuter : ainsi, la cession de l'entreprise qui implique le départ de l'employeur co-contractant devait, conformément au principe de la relativité des conventions, s'accompagner de la rupture des contrats liant cet employeur avec les salariés qu'il a engagés.

Toutefois, dans une démarche de protection du salarié, le droit du travail, toujours animé par le souci de limiter la précarité de l'emploi susceptible d'être engendré par le droit de résiliation unilatérale et par les transferts d'entreprise, pose le principe du maintien des contrats de travail42. Un principe qui est néanmoins soumis à des conditions d'application pour pouvoir porter ses effets.

1 - Les conditions du maintien des contrats de travail

L'alinéa 1 de l'article L66 du code du travail dispose : « S'il survient une modification dans la situation juridique de l'employeur, notamment par succession, reprise sous une nouvelle appellation, vente, fusion, transformation de fonds, mise en société, tous les contrats de travail

41 Voir B. TEYSSIE dans commentaire de l'article L. 1141-1 du code du travail français, LexisNexis, 2014, p. 27.

42 Article L66 du code du travail.

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en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l'entreprise ». Nous en déduisons trois conditions générales pour que s'applique ce texte.

La première condition est la modification de la situation juridique de l'employeur. La loi ne précise pas cette notion, néanmoins elle est assez limpide pour exclure les modifications de la situation économique de l'entreprise telles que les réductions d'activité, les suppressions de branche d'activité43... Bien que l'article L66 ne vise expressément que quelques situations particulières par l'utilisation de l'adverbe notamment, il faut souligner que la jurisprudence considère qu'il contient un « principe de portée générale applicable à tous les actes ou faits entrainant une modification juridique de la forme44, de la propriété45 ou de l'exploitation de l'entreprise46 ».

La seconde condition est la continuité de l'entreprise. Le régime protecteur du droit du travail ne se manifeste que si c'est la même entreprise qui se poursuit. Dans la pratique, les juges retiennent plusieurs éléments de fait pour vérifier si c'est la même entreprise qui se poursuit. A ce titre, s'il y a poursuite de l'activité initiale ou prospection de la même clientèle ou encore travail dans les mêmes locaux, avec le même matériel et une partie du précédent employeur, les juges retiennent souvent la continuité de l'entreprise47. En droit français, on parle, outre le maintien de l'activité économique, du maintien de l'identité de l'entité économique. S'il y a exploitation de la même activité économique par le nouvel employeur mais non accompagnée d'un maintien de l'identité de l'entité économique, il n'y a pas maintien des contrats de travail. Ainsi, « l'entité économique perd son identité lorsqu'elle passe du secteur public au secteur privé ou inversement »48. Par ailleurs, contrairement en droit français, ou un lien de droit n'est pas exigé entre les employeurs successifs49, en droit sénégalais, il y l'exigence de ce lien de droit.

La troisième condition a trait aux contrats de travail. Le nouvel employeur ne peut être lié par les contrats de travail auxquels était partie l'employeur précédent, que si ces contrats étaient encore en cours au moment du transfert. Le contrat de travail qui a cessé de produire ses effets avant la modification de la situation juridique de l'employeur pour des motifs étrangers ne peut être maintenu. Le principe profite donc aux contrats qui étaient en cours d'exécution ou même

43 J. P. TOSI, op. cit., p. 470.

44 Transformation d'une société privée en une société d'économie mixte. C. supr. 2e sec. 3 juin 1975 cité par J.P. TOSI, op. cit., p. 470.

45 C. supr, 11 mai 1966, Rec. Légil. Jurispr. 1966, CS., p. 73. Trib. Trav. Dakar. 1er Juin 1970, TPOM n307, p. 6794 cité par J.P. TOSI, op. cit., p. 470.

46 CA., 15 nov. 1961, TPOM n 108, p. 2397 cité par J.P. TOSI, op. cit., p. 470.

47 J. P. TOSI, op. cit, p. 471.

48 G. Lyon-Caen, J. Pélissier, A. Supiot, Droit du travail, 18e ed., Dalloz, 1996, p. 287.

49 Ass. Plénière, 16 mars 1990, Dr social 1990, p. 339.

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suspendus au moment de la survenance de l'événement. Les contrats d'engagement à l'essai sont inclus, de même que ceux en période préavis. Qu'en est-il des effets.

2 - Les effets du maintien des contrats de travail

Lorsque les conditions prévues par l'article L.66 du code du travail sont réunies, la loi impose le maintien des contrats de travail en cours. Ce maintien s'impose aux deux parties. Le contrat est donc transféré au nouvel employeur intact, c'est-à-dire avec le même contenu (salaire, qualification du salarié, lieu de travail...), la même ancienneté... Le contrat de travail doit être transféré tel quel. Toute modification lors du transfert est réputée nulle. Néanmoins, après que le transfert de contrat ait été accompli, les parties sont libres de proposer des modifications ou de résilier le contrat en respectant les exigences posées par la loi.

Toutefois, c'est le contrat de travail, seul, qui est transféré50, à l'exception des normes conventionnelles51 contrairement en France où la jurisprudence maintient l'application des normes collectives pendant un délai d'une année52.

En toute hypothèse, ce principe de maintien des contrats de travail en cas modification de la situation juridique de l'employeur manifeste bien une volonté marquée d'instaurer une certaine stabilité de l'emploi par le droit du travail qui est mu par la protection des salariés en toute circonstance. La délimitation des prérogatives patronales est aussi l'un des volets de protection du droit du travail.

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