Quelle(s) finalité(s) pour le droit du travail sénégalais?par Alassane SECK Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD) - Master 2 en droit privé et sciences criminelles 2017 |
Section 2 : Un déphasage avec les exigences de l'OITIl est évident qu'à l'heure actuelle, tous les discours sur l'emploi sont articulés autour du pacte mondial pour l'emploi et les exigences du travail décent (paragraphe 1). La flexicurité, ne pourrait-elle pas être un modèle pour parvenir au travail décent pour les salariés (paragraphe 2) ? Paragraphe 1 : La problématique du travail décentLe but fondamental de l'OIT aujourd'hui est que chaque femme et chaque homme puissent accéder à un travail décent et productif dans des conditions de liberté, d'équité, de sécurité et de dignité240. Le concept de « travail décent » - du moins exprimé sous cette forme - apparaît pour la première fois en 1999, dans le rapport présenté par le Directeur général à la 87e session de la Conférence internationale du Travail241. Ce terme embrasse dans leur totalité les aspects les plus divers de ce qu'est le travail aujourd'hui et les synthétise dans une expression que tout 238 Note d'informations sur les résultats de la 1ère Enquête Nationale sur l'Emploi au Sénégal, Novembre 2015, http://www.ansd.sn/ressources/publications/Resume_Resultats_ENES-2015.pdf, p. 03, consulté le 6 décembre 2018. 239 I.Y. NDIAYE, « Droit du travail sénégalais et transfert de normes », Bulletin de droit comparé du travail et de la sécurité sociale, 2005, p. 168. 240 D. GHAI, « Travail décent : concept et indicateurs », Revue internationale du Travail, vol. 142 (2003), no 2, p. 1. URL : http://ilo.org/public/french/revue/download/pdf/ghai.pdf, consulté le 7 décembre 2018. 241 Rapport directeur général : travail décent, BIT, Genève, Juin 1999, URL : https://www.ilo.org/public/french/standards/relm/ilc/ilc87/rep-i.htm, consulté le 8 décembre 2018. 50 le monde peut appréhender. Mais quel est le véritable contenu de cette notion de « travail décent » ? Dans le rapport que nous venons d'évoquer, il est précisé que cette notion repose sur quatre piliers : l'emploi, la protection sociale, les droits des travailleurs et le dialogue social. Le terme « emploi » désigne ici le travail sous toutes ses formes et dans ses aspects quantitatifs et qualitatifs. De ce fait, la notion de travail décent ne s'applique pas seulement aux travailleurs de l'économie formelle, mais aussi aux salariés en situation informelle et aux personnes travaillant à leur compte ou à domicile. Le travail décent, c'est également la possibilité d'accéder à un emploi, une rémunération (en espèces ou en nature) appropriée, la sécurité au travail et des conditions de travail salubres. La sécurité sociale et la sécurité du revenu en sont deux autres éléments essentiels, dont la définition varie en fonction des capacités et du niveau de développement de chaque société. Les deux autres composantes ont principalement trait aux relations sociales des travailleurs: d'une part, leurs droits fondamentaux (liberté syndicale, nondiscrimination au travail, absence de travail forcé et de travail des enfants); d'autre part, le dialogue social, grâce auquel ils peuvent exercer leur droit de faire valoir leur point de vue, de défendre leurs intérêts et de négocier avec les employeurs et les autorités sur les questions relatives au travail242. Il est donc difficile de donner une définition englobant tous ces aspects mais on peut quant même dire que le travail décent résume « les aspirations des êtres humains au travail. Il regroupe l'accès à un travail productif et convenablement rémunéré, la sécurité sur le lieu de travail et la protection sociale pour les familles, de meilleures perspectives de développement personnel et d'insertion sociale, la liberté pour les individus d'exprimer leurs revendications, de s'organiser et de participer aux décisions qui affectent leur vie, et l'égalité des chances et de traitement pour tous, hommes et femmes243 ». Le profil pays du travail décent244 révèle que le Sénégal doit faire des efforts importants pour améliorer son rang sur le travail décent. 242 D. GHAI, « Travail décent : concept et indicateurs », op. cit. 243 Travail décent, OIT, URL : http://www.oit.org/global/topics/decent-work/lang--fr/index.htm, consulté le 8 décembre 2018. 244 Profil pays du travail décent SENEGAL, Bureau international du Travail, Dakar: BIT, 2013. 51 Le taux de chômage demeure élevé (10,6%) et la précarité des chômeurs est accentuée par l'absence d'assurance chômage245. L'emploi demeure par ailleurs essentiellement informel246, ce qui fait que les revenus perçus sont essentiellement très bas. En effet, 77% des travailleurs perçoivent de bas revenus et cette inégalité est notable chez les hommes dont 82,5% perçoivent des bas niveaux de revenus247. Par ailleurs, le salaire minimum interprofessionnel garanti est maintenu au même niveau depuis 1966. Cette situation accentue l'appauvrissement des travailleurs avec une incidence de la pauvreté de 49,1% en 2011248. Par ailleurs, des efforts restent à faire dans le domaine de la stabilité et de la sécurité du travail puisque seuls 17% des travailleurs disposent d'un CDI tandis que les travailleurs sans contrat représentent 56,4% de la population occupée249. Il convient donc de favoriser des réformes qui tendent à limiter l'utilisation des contrats précaires et interdire les successions injustifiées des contrats temporaires pour préserver la sécurité des travailleurs et accorder plus de flexibilité aux employeurs. Nous estimons également que le législateur sénégalais devrait fortement encourager le renforcement de la négociation collective et les syndicats pour favoriser la signature d'accords interprofessionnels sur la stabilité de l'emploi, mais aussi la conclusion de convention collective sur le salaire minimum pour pallier et contre carrer la précarité pour plus de protection. Les négociations seront donc déterminantes pour arriver à une véritable sécurisation professionnelle. S'agissant du temps de travail décent qui englobe les personnes qui travaillent excessivement de longues heures à intervalle régulier ; les personnes qui travaillent à temps partiel mais qui souhaiteraient travailler davantage afin d'augmenter leur salaire, et finalement, ces travailleurs qui ont pour principale préoccupation non pas le nombre d'heure de travail mais plutôt leur aménagement : les personnes travaillant de nuit, les week-ends, avec des horaires et des rotations irréguliers250, seuls 33,2% des travailleurs enquêtés en 2011 exercent leurs activités sur une plage d'horaires décents (entre 40 et 48 heures par semaine)251. 245 Profil pays du travail décent SENEGAL, op. cit., p. 10. 246 Pour une étude exhaustive voir S. KANTEYE, Le secteur informel en Afrique subsaharienne francophone : vers la promotion d'un travail décent, BIT, Genève, 2002. 247 Profil pays du travail décent SENEGAL, op. cit., p. 10 248 Ibid. 249 Ibid. 250 S. KANTEYE, Le secteur informel en Afrique subsaharienne francophone : vers la promotion d'un travail décent, BIT, Genève, 2002, p. 1. 251 Profil pays du travail décent SENEGAL, op. cit., p. 10 52 Les travailleurs bénéficiant d'une sécurité sociale en 2011 sont peu nombreux du fait que l'essentiel des travailleurs sont dans le secteur informel252. L'IPRES, en charge de la pension de retraites, ne collecte les cotisations que de 4% des travailleurs. Les cotisations à la CSS ne concernent que 2,8% des travailleurs et une faible partie de ces travailleurs souscrivent à une mutuelle de santé (3%) ou à un autre système de sécurité (0,7%)253. Au regard de tous ces données, on note que l'idéal de travail décent promu par l'OIT est loin d'être atteint par le Sénégal qui devrait encore faire des efforts sur ce point pour se mettre en phase avec les exigences de l'OIT à travers le travail décent et le pacte mondial pour l'emploi254. Mais au-delà de ces aspirations, peut-on trouver une forme de flexibilité qui, en assurant la sécurité du salarié, ne mènerait pas à la pauvreté et à la précarité ? Oui ! La flexicurité. |
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