Quelle(s) finalité(s) pour le droit du travail sénégalais?par Alassane SECK Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD) - Master 2 en droit privé et sciences criminelles 2017 |
Paragraphe 2 : L'affaiblissement de la protection des salariésA bien des égards, l'on pourrait assimiler précarité de l'emploi et affaiblissement de la protection des salariés, mais relevons, pour lever toute équivoque, que précarité de l'emploi et affaiblissement de la protection des salariés sont deux notions différentes mais connexes. L'une entraine l'autre. La notion de précarité de l'emploi renvoie à l'absence de sécurité résultant de la nature intrinsèquement précaire et instable de l'emploi. Un emploi précaire se définit souvent par le type de contrat. Tout contrat de travail dérogeant au contrat à durée indéterminée et à un temps plein est un emploi précaire (contrat à durée déterminée, intérim, le temps partiel). En revanche, parler d'affaiblissement de la protection des salariés évoque la question des garanties sociales. La précarité entraine une absence de protection sociale efficace et effective des salariés. Dans cette perspective, affaiblissement de la protection des salariés signifie affaiblissement des droits sociaux et déficit d'intégration sociale229. Outre l'anéantissement de toute perspective de carrière pour le salarié, du fait de la fragmentation de la vie professionnelle qu'elle suscite, la précarité n'a pas encore fini de montrer sa mauvaise fortune. En effet, être en emploi précaire fragilise d'abord l'accès aux droits sociaux. Être en contrat à durée déterminée ou en intérim fait de vous un salarié de seconde zone dans l'entreprise230. Si dans les textes, l'égalité de traitement est affirmée, dans la pratique, cette égalité de traitement est le plus souvent contournée. Les textes proclament que tous les salariés, quel que soit leur statut, ont les mêmes droits à la syndicalisation et à la représentation au sein de l'entreprise mais dans la réalité comment oser prétendre revendiquer ses droits lorsque l'on attend un CDI dans l'entreprise ? Comment s'afficher représentant du personnel lorsque l'on est intérimaire ? La peur de se syndiquer ou l'attente d'un contrat stable pour le faire, est plus fortement ancrée dans les emplois courts231. Les CDD ou les intérimaires 228 Sur cette question voir Y. BODIAN, « Précarité de l'emploi et droit du travail sénégalais », op. cit., p. 321 à 328. 229 M. Nanteuil-Miribel, Les dilemmes de l'entreprise flexible, IAG - LSM Working Papers, 2012, [en ligne], URL : http://www.uclouvain.be/cps/ucl/doc/iag/documents/WP_61_denanteuil.pdf , consulté le 2 décembre 2018, p. 21 230 Expression métaphorique empruntée à la professeure A.C. NIANG qui soulignait la différence flagrante entre employés permanents et employés temporaires, relevant qu'il y avait un mur entre ces deux catégories de salariés. Elle les compare ensuite, de citoyens et de citoyens de seconde zone dans l'entreprise (A. C. NIANG, « L'emploi aujourd'hui, du permis à l'interdit », op. cit., p. 117) 231 C. KORNIG, op. cit. 48 ne se syndiquent pas ou peu par peur de ne pas être embauchés définitivement. Le personnel sur contrat temporaire est donc dans une relation de dépendance telle qu'il leur est le plus souvent impensable de contester les décisions ou revendiquer une amélioration de leur sort. Cela se traduit par un taux de syndicalisation quasiment nul parmi les salariés en CDD ou en intérim et cela permet donc d'avoir une main-d'oeuvre « docile » et « malléable » à souhait232. La précarisation est un moyen parfait pour affaiblir les syndicats et éviter les grèves et les employeurs l'ont bien compris. De surcroit, sur bien des sujets, les salariés en contrats temporaires sont exclus par un effet d'ancienneté minimum requis ou de non priorité dans l'entreprise malgré les dispositions particulières233 les concernant. Malgré leur situation alarmante, ces salariés ne bénéficient que rarement de l'appui d'une organisation syndicale ad-hoc, pouvant les aider à connaître leurs droits et à les faire appliquer. Les intérimaires n'ont aucune sécurité sur le plan économique et juridique. Ils ne peuvent défendre leurs intérêts personnels que de façon individuelle lorsque l'entreprise use de leur prestation de manière discontinue mais régulière. Les revendications portées par l'action collective ne concernent que le personnel permanent car « ceux qui ont la légitimité de parler au nom des salariés ne peuvent se hasarder à défendre la cause de ceux qui viennent peut-être menacer leurs propres emplois à la faveur ou au prétexte d'une politique de partage de l'emploi » soulignait la professeure Aminata Cissé NIANG. Ce qui explique, sans doute, au Sénégal, l'inertie des syndicats par rapport à la question de la sécurité234. Il faut même relever pour le déplorer que le régime de retraite ne concerne que les travailleurs sous contrat à durée indéterminée235 alors que le droit sénégalais ne comporte aucun dispositif de garantie des revenus en dehors de la relation de travail. Il n'existe aucun dispositif légal d'indemnisation du chômage. Or, le contrat de travail à durée indéterminée est devenu une denrée rare236, certains vont même jusqu'à en faire l'exception et le contrat à durée déterminée, le principe en droit du travail sénégalais237. 232 Ibid. 233 DECRET n2009-1412 du 23 décembre 2009 fixant la protection particulière des travailleurs temporaires ; J.O. N° 6518 du Samedi 27 MARS 2010. 234 A. C. NIANG, « L'emploi aujourd'hui, du permis à l'interdit », op. cit., p. 116. 235 Ibid. 236 A.C NIANG, « Le droit du travail sénégalais entre ambiguïté et ambivalence », op. cit., p. 89. 237 Le professeur affirme que la souplesse de la règlementation du CDD lui confère une certaine prédominance sur le CDI et semble être la règle ces dernières années. (Y. BODIAN, « Précarité de l'emploi et droit du travail sénégalais », op. cit., p. 313). 49 Pis, on note l'absence de débat mais aussi de texte sur le problème des intérimaires qui constituent une catégorie professionnelle très vulnérable. Une enquête nationale sur l'emploi238 constatait que la plupart des salariés n'ont pas de protection sociale. La majorité des employés (un peu plus de 80%) ne disposait pas de protection sociale, particulièrement les avantages liés à l'exercice des activités tels que les congés annuels payés, les congés maladies rémunérés, l'assurance maladie, les cotisations de sécurité sociale, les congés de maternité ou de paternité, l'assurance d'accidents de travail. C'est sous ce visage renfrogné que se présente le droit du travail sénégalais au salarié. Le travailleur évolue dans une précarité criarde du fait d'un emploi aujourd'hui envisagé comme une variable d'ajustement à la conjoncture économique239. Ce qui ne manque de conduire à un affaiblissement inquiétant de la protection due aux salariés. Cet état de fait témoigne d'un certain déphasage avec les exigences de l'organisation internationale du travail. |
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