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Quelle(s) finalité(s) pour le droit du travail sénégalais?


par Alassane SECK
Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD) - Master 2 en droit privé et sciences criminelles 2017
  

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Paragraphe 2 : Quant à la rupture

Il faut rappeler que le droit du travail a conféré des pouvoirs très étendus, sous réserve du respect des lois et règlements, aux employeurs pour la gestion de leur entreprise. Il s'agit du pouvoir de direction, du pouvoir disciplinaire ainsi que du pouvoir réglementaire186. Le pouvoir de direction confère au chef d'entreprise les prérogatives les plus élargies sur le salarié, dont il organise la carrière professionnelle au sein de l'entreprise, du recrutement au licenciement ou au départ à la retraite. Dans une démarche de flexibilisation des normes du droit du travail jugé trop rigides, le législateur sénégalais, a élargi la marge de manoeuvre des entreprises quant à la rupture Cette flexibilité se justifie par le fait que, dans un contexte ou l'environnement économique et financière de l'entreprise est en constante évolution, il convient de doter à celle-ci des moyens afin de s'adapter à ce contexte187. A ce titre, le législateur a libéralisé le droit du licenciement tant ordinaire qu'économique, ensuite, institué le chômage technique puis, légaliser les départs volontaires qui étaient déjà assez rependus, le tout, sous le manteau de la flexibilité de l'emploi.

Pour ce qui est du licenciement pour motif économique, c'est une forme de licenciement qui a connu une évolution en dents de scie188. En 1961, l'employeur devait seulement informer les délégués du personnel de son intention de licencier pour motif économique et le dernier mot lui revenait. En 1977, la loi avait renforcé considérablement la protection des travailleurs en introduisant la procédure d'une autorisation préalable de l'Inspecteur du Travail. En 1983, il eut le renforcement de la procédure de licenciement par la consultation des délégués du personnel, l'autorisation de l'inspection du travail et le recours possible contre la décision de l'inspecteur du travail. En 1997, on est revenu à la législation de 1961, à savoir la simple information des délégués du personnel mais, cette fois ci, accompagné de la consultation de l'Inspecteur du Travail qui ne peut plus s'opposer au licenciement pour motif économique189. Désormais, l'on ne dira plus qu'au Sénégal on divorce plus facilement d'avec sa femme qu'on ne se séparer de

185 Ibid.

186 Voir supra (Para. 2 chap. 1 de la première partie).

187 J.C. JAVALLIER, Le patronat et les transformations du droit du travail, Etudes offertes à Gérard Lyon-Caen, Dalloz, 1989, p. 207 cité par Y. BODIAN, op. cit.

188 A. KANTE, op. cit., 113.

189 Ibid.

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son employé190. L'entreprise ayant acquis l'adaptation du facteur travail et de sa rémunération aux variations de la demande et des conditions de concurrence subies.

S'agissant du licenciement de droit commun191, avant l'avènement du nouveau code du travail en 1997, tout licenciement effectué sans respect de la procédure était considéré comme abusif même si le motif était légitime. L'innovation majeure apportée par le Code de 1997, c'est l'assouplissement des règles du licenciement, plus exactement la sanction des règles de forme. Désormais, lorsque l'employeur ne procède pas à une notification écrite, ou lorsqu'il omet d'indiquer le motif du licenciement, la loi décide que la violation de ces conditions de forme n'entraîne pas, ne donne pas au licenciement un caractère abusif (article L51 code du travail). Si le licenciement d'un travailleur survient sans observation de la formalité de la notification écrite ou de l'indication du motif, ce licenciement irrégulier en la forme ne peut être considéré comme abusif. Tout au plus, ajoute la Loi, le Tribunal peut-il accorder une indemnité pour sanctionner l'inobservation des règles de forme. Cette relativisation pourrait s'expliquer aisément. En effet, il faut reconnaitre que le licenciement irrégulier, contrairement au licenciement abusif, sanctionne par définition, le non-respect d'une règle de forme, donc d'une simple formalité192. Or, on s'accorde de nos jours à reconnaitre que le non-respect d'une condition de forme s'avère beaucoup moins dramatique que celui d'une condition de fond. Il s'agit là manifestement d'une rupture, mais une rupture qui consacre un recul, parce que de tout temps, la Jurisprudence considérait que la violation des règles de forme faisait du licenciement un licenciement abusif193. La légitimité concerne dorénavant le fond et non la forme. Dans ce sens, des juges du fond avaient rejeté une demande d'indemnisation faite par un groupe de salariés dont les licenciements prononcés pour motif légitime, étaient déclarés abusifs uniquement pour vice de forme. Pour parvenir à ce rejet, les juges avaient estimé que le licenciement abusif du seul fait de la procédure n'ouvrait pas droit à réparation si le salarié ne

190 Voir la note de bas de page n105, J.L. CORREA, l'éclairage sur un acte uniforme toujours attendu : l'acte uniforme relatif au droit du travail, op. cit., p. 226.

191 Sur l'ensemble de cette question, voir I.Y. NDIAYE, « Droit du travail sénégalais et transfert de normes », Bulletin de droit comparé du travail et de la sécurité sociale, 2005, pp. 165 à 176.

192 N. NDOYE, Le licenciement pour motif personnel en France et au Sénégal, thèse de doctorat, Université de Strasbourg, soutenu le 20 avril 2012, p. 316

193 Cass. Soc. 25 novembre 1998, M. WADE c/ A. NDlAYE. Bulletin des arrêts de la Cour de cassation du Sénégal. Chambre sociale, année judiciaire 1998/1999, p. 13. Adde. Casa. Soc, 9 décembre 1998, La Palmeraie Ndiogonal c/ Y. BATHILY, à propos d'un licenciement considéré comme abusif pour absence de lettre de licenciement, Bulletin précité, p.19 et s. cité par N. NDOYE, Le licenciement pour motif personnel en France et au Sénégal, thèse de doctorat, Université de Strasbourg, soutenu le 20 avril 2012, pp. 316 - 317.

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prouvait pas que l'irrégularité lui avait causé un préjudice ; position que la Cour de cassation n'a pas hésité à entériner194.

Au reste, mentionnons l'institution du chômage technique195 par le code 1997 et qui permet à l'employeur de suspendre les contrats de travail de tout ou partie de son personnel, après consultation des délégués du personnel, en cas de nécessité d'une interruption collective résultant de causes conjoncturelles et accidentelles196. Il s'agit notamment des accidents survenus au matériel, d'une interruption de la force motrice, d'un sinistre, des intempéries, d'une pénurie de matières premières d'outillage ou de moyens de transport (art. L. 65 C. trav.)197. A défaut de convention collective ou d'accord d'établissement, l'inspecteur du travail doit être préalablement informé des mesures envisagées.

Enfin, relevons le départ volontaire qui était déjà rependu avant l'avènement du code de 1997 qui n'est d'ailleurs venu que pour le reconnaitre et le consacrer.

Toute cette effervescence législative depuis l'avènement de la prise en compte de l'intérêt de l'entreprise et qui se poursuit jusqu'à nos jours198, a profondément marqué la droit du travail sénégalais qui s'est vu contraint d'adapter voire d'amoindrir sa finalité protectrice. La flexibilité à « sens unique » de protection199 n'est plus à l'ordre du jour. Le droit du travail se doit de ne pas compromette l'emploi, il doit maintenant concilier finalité originelle et promotion de la compétitivité de l'entreprise. L'essence du droit du travail n'étant désormais ni la défense des intérêts des salariés, puisqu'il peut être utilisé au bénéfice des entreprises, ni le camouflage hypocrite des rapports de force, puisqu'il peut être utilisé au bénéfice des salariés200. Mais cette ambiguïté prononcée de sa finalité est lourde de conséquence et d'un cout social élevé pour le salarié.

194 Cass. Soc. 9 février 2000. M. DIOP et K. DIOP c/ IPM Groupe MIMRAN, Bulletin des arrêts de la Cour de cassation du Sénégal, Chambre sociale, année judiciaire 1999/2000, p. 39. Cité par N. NDOYE, op. cit., pp. 316317.

195 Voir A.C. NIANG, Le droit du travail sénégalais entre ambigüité et ambivalence, op. cit., p. 90

196 A. KANTE, op. cit., p. 92

197 Toutefois, l'employeur, qui sous prétexte de mettre ses travailleurs en chômage technique conformément aux dispositions de l'article L.65 du C.T., vend son outil de travail commet un licenciement abusif Voir dans C.A. de Dakar, Arrêt n° 274 du 5 avril 2011, Massaer BA et autres c/ SOCA, Bull. 2013, vol. n°1, p.268.

198 Voir article de J.L. CORREA, l'éclairage sur un acte uniforme toujours attendu : l'acte uniforme relatif au droit du travail, op. cit., p. 229, s.

199 Expression emprunté à J-C. JAVALLIER, op. cit., p. 103

200 N. Claude, thèse précitée, p. 18

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"Qui vit sans folie n'est pas si sage qu'il croit."   La Rochefoucault