Paragraphe 2 : Quant à la rupture
Il faut rappeler que le droit du travail a
conféré des pouvoirs très étendus, sous
réserve du respect des lois et règlements, aux employeurs pour la
gestion de leur entreprise. Il s'agit du pouvoir de direction, du pouvoir
disciplinaire ainsi que du pouvoir réglementaire186. Le
pouvoir de direction confère au chef d'entreprise les
prérogatives les plus élargies sur le salarié, dont il
organise la carrière professionnelle au sein de l'entreprise, du
recrutement au licenciement ou au départ à la retraite. Dans une
démarche de flexibilisation des normes du droit du travail jugé
trop rigides, le législateur sénégalais, a élargi
la marge de manoeuvre des entreprises quant à la rupture Cette
flexibilité se justifie par le fait que, dans un contexte ou
l'environnement économique et financière de l'entreprise est en
constante évolution, il convient de doter à celle-ci des moyens
afin de s'adapter à ce contexte187. A ce titre, le
législateur a libéralisé le droit du licenciement tant
ordinaire qu'économique, ensuite, institué le chômage
technique puis, légaliser les départs volontaires qui
étaient déjà assez rependus, le tout, sous le manteau de
la flexibilité de l'emploi.
Pour ce qui est du licenciement pour motif
économique, c'est une forme de licenciement qui a connu une
évolution en dents de scie188. En 1961, l'employeur devait
seulement informer les délégués du personnel de son
intention de licencier pour motif économique et le dernier mot lui
revenait. En 1977, la loi avait renforcé considérablement la
protection des travailleurs en introduisant la procédure d'une
autorisation préalable de l'Inspecteur du Travail. En 1983, il eut le
renforcement de la procédure de licenciement par la consultation des
délégués du personnel, l'autorisation de l'inspection du
travail et le recours possible contre la décision de l'inspecteur du
travail. En 1997, on est revenu à la législation de 1961,
à savoir la simple information des délégués du
personnel mais, cette fois ci, accompagné de la consultation de
l'Inspecteur du Travail qui ne peut plus s'opposer au licenciement pour motif
économique189. Désormais, l'on ne dira plus qu'au
Sénégal on divorce plus facilement d'avec sa femme qu'on ne se
séparer de
185 Ibid.
186 Voir supra (Para. 2 chap. 1 de la première partie).
187 J.C. JAVALLIER, Le patronat et les transformations du droit
du travail, Etudes offertes à Gérard Lyon-Caen, Dalloz, 1989, p.
207 cité par Y. BODIAN, op. cit.
188 A. KANTE, op. cit., 113.
189 Ibid.
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son employé190. L'entreprise ayant acquis
l'adaptation du facteur travail et de sa rémunération aux
variations de la demande et des conditions de concurrence subies.
S'agissant du licenciement de droit
commun191, avant l'avènement du nouveau code du
travail en 1997, tout licenciement effectué sans respect de la
procédure était considéré comme abusif même
si le motif était légitime. L'innovation majeure apportée
par le Code de 1997, c'est l'assouplissement des règles du licenciement,
plus exactement la sanction des règles de forme. Désormais,
lorsque l'employeur ne procède pas à une notification
écrite, ou lorsqu'il omet d'indiquer le motif du licenciement, la loi
décide que la violation de ces conditions de forme n'entraîne pas,
ne donne pas au licenciement un caractère abusif (article L51 code du
travail). Si le licenciement d'un travailleur survient sans observation de la
formalité de la notification écrite ou de l'indication du motif,
ce licenciement irrégulier en la forme ne peut être
considéré comme abusif. Tout au plus, ajoute la Loi, le Tribunal
peut-il accorder une indemnité pour sanctionner l'inobservation des
règles de forme. Cette relativisation pourrait s'expliquer
aisément. En effet, il faut reconnaitre que le licenciement
irrégulier, contrairement au licenciement abusif, sanctionne par
définition, le non-respect d'une règle de forme, donc d'une
simple formalité192. Or, on s'accorde de nos jours à
reconnaitre que le non-respect d'une condition de forme s'avère beaucoup
moins dramatique que celui d'une condition de fond. Il s'agit là
manifestement d'une rupture, mais une rupture qui consacre un recul, parce que
de tout temps, la Jurisprudence considérait que la violation des
règles de forme faisait du licenciement un licenciement
abusif193. La légitimité concerne dorénavant le
fond et non la forme. Dans ce sens, des juges du fond avaient rejeté une
demande d'indemnisation faite par un groupe de salariés dont les
licenciements prononcés pour motif légitime, étaient
déclarés abusifs uniquement pour vice de forme. Pour parvenir
à ce rejet, les juges avaient estimé que le licenciement abusif
du seul fait de la procédure n'ouvrait pas droit à
réparation si le salarié ne
190 Voir la note de bas de page n105, J.L. CORREA,
l'éclairage sur un acte uniforme toujours attendu : l'acte uniforme
relatif au droit du travail, op. cit., p. 226.
191 Sur l'ensemble de cette question, voir I.Y. NDIAYE, «
Droit du travail sénégalais et transfert de normes »,
Bulletin de droit comparé du travail et de la sécurité
sociale, 2005, pp. 165 à 176.
192 N. NDOYE, Le licenciement pour motif personnel en France
et au Sénégal, thèse de doctorat, Université de
Strasbourg, soutenu le 20 avril 2012, p. 316
193 Cass. Soc. 25 novembre 1998, M. WADE c/ A. NDlAYE.
Bulletin des arrêts de la Cour de cassation du Sénégal.
Chambre sociale, année judiciaire 1998/1999, p. 13. Adde. Casa.
Soc, 9 décembre 1998, La Palmeraie Ndiogonal c/ Y. BATHILY, à
propos d'un licenciement considéré comme abusif pour absence de
lettre de licenciement, Bulletin précité, p.19 et s. cité
par N. NDOYE, Le licenciement pour motif personnel en France et au
Sénégal, thèse de doctorat, Université de
Strasbourg, soutenu le 20 avril 2012, pp. 316 - 317.
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prouvait pas que l'irrégularité lui avait
causé un préjudice ; position que la Cour de cassation n'a pas
hésité à entériner194.
Au reste, mentionnons l'institution du chômage
technique195 par le code 1997 et qui permet à
l'employeur de suspendre les contrats de travail de tout ou partie de son
personnel, après consultation des délégués du
personnel, en cas de nécessité d'une interruption collective
résultant de causes conjoncturelles et accidentelles196. Il
s'agit notamment des accidents survenus au matériel, d'une interruption
de la force motrice, d'un sinistre, des intempéries, d'une
pénurie de matières premières d'outillage ou de moyens de
transport (art. L. 65 C. trav.)197. A défaut de convention
collective ou d'accord d'établissement, l'inspecteur du travail doit
être préalablement informé des mesures
envisagées.
Enfin, relevons le départ volontaire
qui était déjà rependu avant l'avènement
du code de 1997 qui n'est d'ailleurs venu que pour le reconnaitre et le
consacrer.
Toute cette effervescence législative depuis
l'avènement de la prise en compte de l'intérêt de
l'entreprise et qui se poursuit jusqu'à nos jours198, a
profondément marqué la droit du travail sénégalais
qui s'est vu contraint d'adapter voire d'amoindrir sa finalité
protectrice. La flexibilité à « sens unique » de
protection199 n'est plus à l'ordre du jour. Le droit du
travail se doit de ne pas compromette l'emploi, il doit maintenant concilier
finalité originelle et promotion de la compétitivité de
l'entreprise. L'essence du droit du travail n'étant désormais ni
la défense des intérêts des salariés, puisqu'il peut
être utilisé au bénéfice des entreprises, ni le
camouflage hypocrite des rapports de force, puisqu'il peut être
utilisé au bénéfice des salariés200.
Mais cette ambiguïté prononcée de sa finalité est
lourde de conséquence et d'un cout social élevé pour le
salarié.
194 Cass. Soc. 9 février 2000. M. DIOP et K. DIOP c/
IPM Groupe MIMRAN, Bulletin des arrêts de la Cour de cassation du
Sénégal, Chambre sociale, année judiciaire 1999/2000, p.
39. Cité par N. NDOYE, op. cit., pp. 316317.
195 Voir A.C. NIANG, Le droit du travail sénégalais
entre ambigüité et ambivalence, op. cit., p. 90
196 A. KANTE, op. cit., p. 92
197 Toutefois, l'employeur, qui sous prétexte de mettre
ses travailleurs en chômage technique conformément aux
dispositions de l'article L.65 du C.T., vend son outil de travail commet un
licenciement abusif Voir dans C.A. de Dakar, Arrêt n° 274 du 5 avril
2011, Massaer BA et autres c/ SOCA, Bull. 2013, vol. n°1, p.268.
198 Voir article de J.L. CORREA, l'éclairage sur un
acte uniforme toujours attendu : l'acte uniforme relatif au droit du travail,
op. cit., p. 229, s.
199 Expression emprunté à J-C. JAVALLIER, op. cit.,
p. 103
200 N. Claude, thèse précitée, p. 18
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