Quelle(s) finalité(s) pour le droit du travail sénégalais?par Alassane SECK Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD) - Master 2 en droit privé et sciences criminelles 2017 |
Section 2 : Le renforcement des prérogatives patronalesPour favoriser la promotion de l'entreprise et donc de l'emploi, il fallait alléger les règles du droit du travail jugées trop rigides. La flexibilité a été brandie comme une réponse à la rigidité du code du travail167. Elle est apparue comme la panacée pour réaliser les performances nécessaires à une plus grande compétitivité de l'économie. Ces performances économiques supposent, en effet, une plus grande souplesse dans la gestion des droits des travailleurs et l'émergence d'un droit du travail libérale plus adapté à la crise économique et financière168. Le législateur sénégalais s'est inscrit dans cette démarche. Par une flexibilité dite d'adaptation169, il a procédé à un renforcement des prérogatives patronales quant au recrutement (paragraphe 1) et à la rupture (paragraphe 2). Paragraphe 1 : Quant au recrutementLa flexibilité serait l'aptitude d'un système juridique de relations professionnelles à adapter ses normes aux contingences économiques, d'ordre conjoncturel et structurel et aux particularismes professionnels et techniques à l'entreprise170. Le législateur sénégalais a décidé de réformer son droit du travail afin de rendre plus performant son économie à travers la flexibilité. Le renforcement des prérogatives patronales quant au recrutement s'est donc fait à plusieurs niveaux qu'il convient d'évoquer. ? L'assouplissement du contrat à durée déterminée En premier lieu, le législateur s'est attaqué à l'emploi permanant. L'article 35171 du code du travail a été ciblé. En effet, Jusqu'en 1987, il résultait de ce texte que le contrat de travail à durée déterminée ne pouvait être conclu plus de deux fois entre les même parties, ni être renouvelé plus d'une fois. La sanction de cette règle substantielle était, sous réserve d'exceptions que l'on pouvait considérer comme mineures (dockers, journaliers, saisonniers), 167 I.Y. NDIAYE, M. SAMB, « Neutralisation ou flexibilisation du droit du travail, de l'ajustement économique à l'ajustement juridique », op. cit., p. 119. 168 Ibid. 169 On distingue la flexibilité d'adaptation de la flexibilité de dérégulation totale. La première s'efforce, par méthodes douces, à conformer les normes existantes aux conditions économiques d'ordre conjoncturel ou structurel. Le Code du travail de 1997 semble s'inscrire dans cette perspective car elle se limite à consacrer une dérégulation partielle, en particulier, l'emploi. La flexibilité de dérégulation totale, comme son nom l'indique, tend à assimiler le travail à une marchandise soumise à la loi de l'offre et de la demande. C'est un retour pur et simple au droit civil. On a le cas du Chili à titre illustratif. (I.Y. NDIAYE, M. SAMB, op. cit., pp. 119, 120). 170 Définition tirée de l'article de I.Y. NDIAYE et M. SAMB, op. cit, p. 120 ; D'autres y voient : la capacité des entreprises de réagir rapidement aux stimulants du marché ou aux décisions de gestion interne dans un but de rationalisation (M. DIOP, La flexibilité de l'emploi en droit du travail français et sénégalais, Googlebooks, 1996). 171 Il s'agit de l'article L42 du code du travail actuel. 38 la conversion par majoration172. Les tentatives d'abrogation de ce texte furent rejetées par les syndicats de travailleurs173. Les autorités durent alors se résoudre à greffer, en 1989174, des exceptions supplémentaires. Il s'agit de l'intérim et du recrutement pour surcroît d'activités. Par ailleurs, les entreprises naissantes ou qui s'agrandissent ayant également besoin d'une certaine flexibilité opérationnelle, une autre loi de 1989175 institue un régime dérogatoire au profit de toutes les entreprises agréées au bénéfice des dispositions du code des investissements. Les entreprises bénéficiant de la dérogation étaient de trois sortes : les entreprises agréées installées dans la zone franche industrielle176, les petites et moyennes entreprises et les entreprises ayant une vocation ou une structure spécifique177. La dérogation en question était en considération de la législation du travail en matière de licenciement pour motif économique et en matière de contrat à durée déterminée178. S'agissant du licenciement pour motif économique, cette dérogation soustrayait les entreprises agréées de la procédure instituée par l'article 47 paragraphe 3 de code du travail de l'époque. Le régime qu'il mettait en place reposait sur un mécanisme d'autorisation administrative avec consultation des délégués du personnel et un ordre des licenciements précis. La suppression de l'autorisation administrative en cas de licenciement pour motif économique a donc été consacrée pour ces dites entreprises179 afin de leur conférer plus de souplesse. Pour ce qui est du contrat à durée déterminée, le code du travail autorise, aux entreprises agréées, la conclusion ou le renouvellement de contrats à durée déterminée sans limite de nombre, pour une durée de cinq années à compter de la date d'agrément. Tout travailleur recruté dans cette période est assimilé à un travailleur recruté pour surcroit d'activité180. 172 I.Y. NDIAYE, « Le contrat de travail à durée indéterminée, demain l'emploi ?, RASDP, janvier-décembre 1996 n03-4, p. 75. 173 M. SAMB, op. cit. ; I. Y. NDIAYE, M. SAMB op. cit., p. 112 174 Il s'agit du décret n89-1122 du 15 septembre 1989 en application de la loi 87-20 du 18 aout 1987 cité I.Y. NDIAYE, M. SAMB, op. cit. 175 Loi 89-31 du 12 octobre portant modification du code des investissements cité I.Y. NDIAYE, M. SAMB, op. cit. 176 Cette zone a été créée par une loi de 1974 dans le souci d'inciter les investisseurs étrangers à venir s'installer au Sénégal moyennant certains avantages surtout d'ordre fiscal et douanier. (I.Y. NDIAYE, M. SAMB, op. cit, p. 108) 177 Cette dernière catégorie englobe les entreprises participant activement au développement technologique, les entreprises valorisant les ressources locales et les entreprises décentralisées. 178 A.C. NIANG, Le droit du travail sénégalais entre ambigüité et ambivalence, Annales africaines, Nouvelle Série, Volume 2, Décembre 2015, p. 89 179 I.Y NDIAYE, M. SAMB, op. cit., p. 108 180 Y. BODIAN, « précarité de l'emploi en droit du travail sénégalais », Nouvelles annales africaines, 2013, p. 302 ; A.C. NIANG, op. cit., p. 89 ; I.Y. NDIAYE, op. cit., p. 77. 39 ? L'institution de nouvelles formes d'emploi précaire L'objectif de renforcement des prérogatives patronales pour plus de flexibilité s'est réaffirmé avec le code de 1997 avec l'institution de nouvelles formes d'emploi inspirées du droit français. La loi étend considérablement les pouvoirs de l'employeur avec la consécration du contrat à durée déterminée d'usage et du travail à temps partiel. S'agissant du contrat à durée déterminée d'usage, il a pour support textuel l'article L43 du code du travail de 1997. L'article en question institue une autre dérogation au régime du contrat à durée déterminée. La requalification n'étant donc plus une épée de Damoclès qui pèse au-dessus de la tête de certains employeurs. Le texte affirme que la conclusion de plus de deux fois ou le renouvellement plus d'une fois d'un CDD ne s'appliquent pas aux « travailleurs engagés par des entreprises relevant d'un secteur d'activité dans lequel il est d'usage de ne pas recourir au contrat à durée indéterminée en raison des caractéristiques de l'activité exercée, lorsque l'emploi de ces travailleurs est par nature temporaire ». La liste desdites entreprises a été effectivement établie en 2008 par un arrêté ministériel181. Ce texte cite des secteurs et activités qui vont des activités de spectacle, de sport ou de loisir à celle des chantiers de réparations navales. Les secteurs concernés englobent le bâtiment et travaux publics, l'agriculture et l'agro-industrie, le tourisme et les télécommunications. Cette large palette d'entreprises est ainsi exclue du régime rigoureux du contrat à durée déterminée pour leur accorder une plus grande souplesse dans un environnement économique hostile. Pour ce qui est du travail à temps partiel182, connu dans la pratique sous la désignation de travail à mi-temps, son support textuel est l'article L137. Ce dernier dispose dans son alinéa 2 que « sont considérés comme horaires à temps partiel les horaires inférieurs d'au moins un cinquième (1/5) à la durée légale de travail ou à la durée fixée conventionnellement (...) ». L'employeur a, dans ce système, la liberté d'organiser le travail à temps partiel183 sans porter atteinte aux droits individuels et collectifs des salariés, notamment à la rémunération184. Le contrat de travail des travailleurs à temps partiel doit, en principe, être constaté par un écrit, mais l'employeur se voit aussi reconnaitre la possibilité d'«imposer le travail partiel, par une 181 ARRETE MINISTERIEL n° 1887 en date du 6 mars 2008 fixant la liste des secteurs d'activité dans lesquels il est d'usage de ne pas recourir au contrat à durée indéterminée. 182 J. JAVILLIER, op. cit., p. 213. 183 M. Miné, « Quand le droit favorise l'augmentation et la flexibilité du temps de travail », La nouvelle revue du travail [En ligne], URL : http://journals.openedition.org/nrt/3234 mis en ligne le 03 novembre 2017, consulté le 29 novembre 2018. 184 I.Y. NDIAYE, M. SAMB, « Neutralisation ou flexibilisation du droit du travail », op. cit., p. 127. 40 modification des clauses du contrat initial présentée comme une mesure de substitution au licenciement économique185. Le renforcement des prérogatives patronales se poursuit également à travers la rupture du contrat de travail. |
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