Quelle(s) finalité(s) pour le droit du travail sénégalais?par Alassane SECK Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD) - Master 2 en droit privé et sciences criminelles 2017 |
Paragraphe 2 : Un droit plus tourné vers l'économieL'objectif d'instauration d'un environnement économique susceptible d'attirer plus d'investisseurs a grandement motivé le changement de perspective opéré par le droit du travail sénégalais. Ce dernier ne pouvait se cantonner éternellement à la protection du salarié contre la « toute-puissance » de l'employeur au mépris des multiples changements des conditions économiques et sociales. Le droit du travail sénégalais ne pouvait donc ignorer l'évolution de l'économique et se devait de prendre en compte les nouveaux impératifs de développement et de lutte contre le chômage157. Ainsi, le droit du travail nouveau est un instrument de promotion de l'emploi, de promotion d'un environnement facilitant les affaires et la concurrence entre les acteurs économiques158. Le droit du travail s'installerait ainsi au coeur du droit économique formant une trinité entre le droit de la concurrence et le droit de la régulation159. Selon le professeur Jean Louis CORREA160, le droit du travail serait désormais un instrument, un outil au service de l'économie. Ses règles doivent faire l'objet d'une interprétation téléologique fondée sur la recherche d'un équilibre entre plusieurs intérêts : le marché et la protection du salarié. Pour atteindre les objectifs précités, il faut instrumentaliser la règle de droit, dans ce sens on est ici dans 1a deuxième signification de la règle de droit, à savoir une règle au service voire au secours de l'économie. Cette conception est celle des pays appartenant à la famille de droit Common Law. Toujours selon lui, c'est justement sous l'influence de la doctrine anglo-saxonne, que le coût économique et l'efficience de la règle de droit ont commencé à être mesurés. Il s'agit de l'analyse économique du droit. Pour l'un des principaux fondateurs de cette méthode, le juge américain Richard POSNER, l'analyse économique du droit fournit « au législateur et au juge des prescriptions quant à ce que devrait être une règle ou une décision efficiente ». 155 I. Y. NDIAYE, M. SAMB, « Neutralisation ou flexibilisation du droit du travail, de l'ajustement économique à l'ajustement juridique », in Ajustement structurel et emploi au Sénégal, Codesria-Karthala, Dakar, 1997, p. 112 156 S. DIALLO, Profil national de droit du travail : le Sénégal, OIT Document, 17 juin 2011, p. 4. 157 Y. BODIAN, op. cit., p. 293. 158 G. LYON- CAEN, Les juges brûlent le Code dit travail Au nom de la flexibilité, Le Monde, 5 novembre 1981, p. 1 et 2 cité par J.L. CORREA, op. cit., p. 226. 159 Ibid. 160 J.L. CORREA dans son article : l'éclairage sur un acte uniforme toujours attendu : l'acte uniforme relatif au droit du travail, Nouvelles annales africaines, 2013, p. 226, s. 36 Au-delà de la communauté scientifique, cette doctrine anglo-saxonne du Law and economics trouve écho dans les méthodes scientifiques des institutions internationales chargées d'aider au développement des pays africains telles que la banque mondial qui publie chaque année un rapport161 contenant un classement des pays selon les réglementations qui sont favorables ou défavorables à l'activité commerciale162. Cette méthode « Law and economics » trouve une application très médiatisée dans ces rapports « Doing Business » de la Banque mondiale. Au Sénégal, la publication des rapports « Doing Business » a eu pour conséquence notable une volonté affichée du gouvernement sénégalais de vouloir réformer son droit du travail à l'effet de gagner des places supplémentaires dans ce rapport. Ainsi, le Sénégal est dans une logique constante d'amélioration de son environnement des affaires afin de progresser dans le classement Doing Business en vue d'attirer les investisseurs. D'ailleurs, Le Sénégal s'est classé à la 147ème place du classement du rapport 2017 de la Banque Mondiale, ce qui constitue un gain de 31 places en 3 ans163. Au reste, mentionnons que le Rapport « Africa Attractiveness Index » publié en mai 2017 par le Cabinet Ernest & Young, classe le Sénégal 9ème économie la plus attractive pour les investisseurs en 2016, parmi 46 pays africains164. L'approche économique du droit du travail est à l'oeuvre. M. Hammouda avait entièrement raison en affirmant, en 1998, que dans les années à venir, la loi du marché et la libéralisation économique continueront à être au centre de l'évolution des relations professionnelles au Sénégal165. Désormais il n'est plus saugrenu de paraphraser Levasseur en disant que c'est à l'aune de son droit du travail que l'on juge du degré d'ouverture de l'économie d'un pays166. Il convient dès lors de s'intéresser à la facette cachée d'un droit du travail tournée vers l'économie : la consistance des prérogatives patronales. 161 Il s'agit des rapports doing business de la banque mondial. 162 Doing Business Comparaison des Réglementations S'appliquant Aux Entreprises Locales Dans 190 Économies 2017, p. 5, http://www.doingbusiness.org/content/dam/doingBusiness/media/Annual-Reports/Foreign/DB17-Mini-Book-French.pdf, consulté le 23 novembre 2018. 163
https://www.lejecos.com/CLASSEMENT-DOING-BUSINESS-Le-Senegal-a-gagne-31-places-en-3- 164
https://www.ey.com/Publication/vwLUAssets/ey-attractiveness-program-africa-2017-connectivity- 165 H. B. HAMMOUDA, Les théories du post-ajustement : quelques pistes de recherche pour les économies africaines, Codestria, Dakar, 1998 cité par M. SAMB, op. cit. 166 J. L. CORREA, op. cit., p. 228. 37 |
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