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Quelle(s) finalité(s) pour le droit du travail sénégalais?


par Alassane SECK
Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD) - Master 2 en droit privé et sciences criminelles 2017
  

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DEUXIEME PARTIE : UNE FINALITE AMBIGUË A
L'EPOQUE CONTEMPORAINE

Le droit du travail en a fait du chemin avant d'en arriver à son point actuel, il est le produit fini des luttes sociales139. Le dynamisme est le propre du droit du travail, il ne demeure pas figé à une époque, il évolue et s'adapter au gré des conditions sociales. Son objectif continu est de rétablir un équilibre entre les parties, en empruntant les traits caractéristiques de données factuelles naturellement fluctuantes140. A ce titre le caractère ambiguë de la finalité actuelle du droit du travail sénégalais découle de plusieurs raisons (chapitre 1) et a une portée bien définie (chapitre 2).

CHAPITRE 1 : LES RAISONS DU CHANGEMENT DE PERSPECTIVE

Sous l'influence du fort changement de l'environnement politique, social et économique dû à l'économie mondialisée et à l'émergence de nouveaux slogans tels que : « restructurations », « privatisations », « nouvelle politique industrielle », « moins d'État, mieux d'État »141, les autorités publiques ont fini par parachever cette orientation en réformant le Code du travail pour « l'adapter aux réalités économiques et sociales de notre pays et en faire un vecteur dynamique de croissance »142. C'est ainsi que le droit du travail sénégalais a été transformé en instrument de promotion économique (section 1) pour l'épanouissement de l'entreprise, outil de production et pierre angulaire de la croissance économique. Cette transformation s'est faite par le renforcement des prérogatives patronales (section 2).

Section 1 : Le droit du travail, un instrument de promotion économique

Pendant longtemps, la protection du salarié a été le seul souci du droit du travail. Toutes les règles étaient édifiées de manière telle, que les salariés, seuls, pouvaient en tirer contrepartie. Toute idée de flexibilité du droit du travail était envisagée dans une perspective de renforcement de la protection des salariés : flexibilité « à sens unique », de protection143. Depuis peu, des dérogations à ce principe sont apparues dans la législation, aux fins de permettre une prise en

139 F. DUQUESNE, op. cit., p. 18

140 N. Claude, La variabilité du droit du travail, thèse de doctorat, Université d'Angers, soutenu le 7 décembre 2010, https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00579595, p. 16.

141 I.Y. NDIAYE, Droit du travail sénégalais et transfert de normes, Bulletin de droit comparé du travail et de la sécurité sociale, 2005, p. 166.

142 Exposé des motifs de la loi n° 97-17 du 1er décembre 1997 portant sur le nouveau Code du travail cité par I.Y. NDIAYE, op. cit. p. 166.

143 Expression empruntée à Jean Claude JAVALLIER (Droit du travail, LGDJ, 5e ed., 1996).

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compte de l'intérêt de l'entreprise (paragraphe 1), caractéristique essentiel d'un droit maintenant tourné vers l'économie (paragraphe 2).

Paragraphe 1 : L'avènement de la prise en compte de l'intérêt de l'entreprise

Le dernier quart de siècle a coïncidé avec une remise en question du droit du travail lui-même144, entrainant l'émergence et l'affirmation d'un caractère nouveau : l'ambivalence.

En Europe, la remise en question du droit du travail a suivi la profonde crise économique et financière résultant des « chocs pétroliers » des années 1970145 mais aussi la mondialisation des marchés. La crise économique a entrainé un ralentissement de l'activité, des restructurations, des pertes d'emplois industriels, des licenciements massifs et une croissance du chômage bientôt angoissante146. Tout ceci renforcé par mondialisation qui a favorisé une concurrence rude des pays dit « émergents » où les entrepreneurs profitent du faible coût de la main d'oeuvre. Dès lors, les thèses libérales dominantes poussent à ce qu'on appelle la « déréglementation », qui consiste à la fois à faire disparaître tout monopole et toute entente et à laisser les mains libres aux entreprises dans la gestion de leur personnel147. L'idée d'un Droit du travail, protecteur du salarié devient dans ces conditions totalement inappropriée. Le droit du travail est vu comme une source des rigidités qui affecteraient la capacité des entreprises à répondre aux impératifs de la compétition économique148 et fait l'objet d'un procès permanant. Le maximum de liberté devant être laissée à ceux qui gèrent l'entreprise, source d'emplois et méritant, seule, les faveurs de la loi. Ces discours, que les autorités publiques ont pris en considération, ont eu raison du droit du travail qui s'est progressivement adjoint de nouvelles finalités prenant en compte l'intérêt de l'entreprise. C'est d'ailleurs en ce sens que le Professeur Gérard Lyon-Caen considérait que l'évolution du droit du travail pouvait connaître des retournements d'orientation: des règles, ou des opérations juridiques paraissant jusqu'alors servir les intérêts

144 I. Y. NDIAYE, M. SAMB, « Neutralisation ou flexibilisation du droit du travail, de l'ajustement économique à l'ajustement juridique », in Ajustement structurel et emploi au Sénégal, Codesria-Karthala, Dakar, 1997, p.103; G. Lyon-Caen, J. Pélissier, A. Supiot, Droit du travail, 18ed., Dalloz, 1996, p. 16 ; J. Pélissier, G. Auzero, E. Dockès, Droit du travail, Dalloz, 26 éd., 2012, p. 23.

145 M. SAMB, Réformes et réception des droits fondamentaux du travail au Sénégal, Revue d'étude et de recherche sur le droit et l'administration dans les pays d'Afrique (disponible sur http://afrilex.u-bordeaux4.fr/réformes-et-réception-des-droits.html), février 2000, consulté le 10 octobre 2018.

146 J. Pélissier, G. Auzero, E. Dockès, op. cit., p. 23.

147 G. Lyon-Caen, J. Pélissier, A. Supiot, op. cit., p. 17.

148 P. VERKINDT, Le droit du travail, Dalloz, 2005, p. 1.

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des salariés, pouvaient ainsi être mises à profit par les employeurs149, témoignant du caractère ambivalent du droit du travail.

En Afrique subsaharienne, l'instabilité économique et sociale et la persistance d'un environnement international hostile, conséquence de la profonde crise économique, a marqué le début des années 1980. Récepteurs des crédits à des taux très bas résultant de la surliquidité générée par le recyclage des pétrodollars, les États africains deviennent surendettés, en 1980, au moment où la baisse des prix des matières premières leurs enlèvent les possibilités de faire face durablement au service de leur dette extérieure. Au même moment, les pays non producteurs de pétrole, comme le Sénégal, sont affectés par le gonflement de leur facture pétrolière, contribuant ainsi à creuser le déficit de leur balance commerciale150. Les emprunts contractés dans les années 1970 contenant des clauses d'indexation des taux d'intérêt aux taux d'inflation des pays du Nord, étant de surcroît libellés en dollars, les pays africains vont être confrontés, à stock de dette constant, au triplement des charges à rembourser. La négociation avec les groupements de prêteurs publics et privés (Club de Paris, Club de Londres) conduit alors les États africains à se lier aux programmes des institutions financières internationales, notamment la Banque Mondiale et le Fonds Monétaire International, qui leur imposèrent des mesures drastiques de « stabilisation » et « d'ajustement structurel », avec une kyrielle de conditions151. La nouvelle politique économique imposée par les institutions financières internationales consacre l'hégémonie absolue de l'économique et la remise en cause des politiques protectrices socialisantes de l'État152. Au Sénégal, ces programmes de restructuration ont suivi l'échec des stratégies de développement économique initiées après les indépendances, et ont invariablement préconisé une plus grande flexibilité dans la gestion des droits des travailleurs et une libéralisation des normes de travail153.

En définitive, en droit du travail sénégalais, l'avènement de la prise en compte de l'intérêt de l'entreprise est consécutif aux divers politiques d'ajustements structurels adoptés154. La libéralisation du commerce international, la mondialisation des marchés financiers et l'importance grandissante de l'intervention des multinationales sur les marchés bouleversent les systèmes nationaux. Les contraintes de comparaison des coûts des facteurs de production, y

149 A. SUPIOT et A. JEAMMAUD, Droit du travail, Dalloz, coll. « Précis Droit privé », 24ème éd., 2008, n° 22.

150 M. SAMB, op. cit.

151 Ibid.

152 Ibid.

153 A. KANTE, op. cit., p. 20.

154 Y. BODIAN, « précarité de l'emploi en droit du travail sénégalais », Nouvelles annales africaines, 2013, p. 293.

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compris le facteur travail conduisent les États à une course vers un certain désengagement, une plus grande flexibilité pour attirer les investisseurs. Ces remous ont conduit à la réforme du code du travail en 1989155 et, en 1997, l'instauration d'un nouveau code du travail plus tourné vers la prise en compte de l'intérêt de l'entreprise156.

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"Il faut répondre au mal par la rectitude, au bien par le bien."   Confucius