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Quelle(s) finalité(s) pour le droit du travail sénégalais?


par Alassane SECK
Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD) - Master 2 en droit privé et sciences criminelles 2017
  

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Paragraphe 2 : L'exercice du droit de grève

Le code du travail a outillé les salariés mécontents de leur employeur d'un puissant instrument de dissuasion qu'est la grève pour leur permettre de défendre leurs intérêts. Le droit de grève est reconnu par la Constitution et encadré par la loi.

La Constitution du Sénégal du 22 janvier 2001 a consacré le droit de grève en disposant en son article 25 que « Le droit de grève est reconnu. Il s'exerce dans le cadre des lois qui le

121 P. Marie COLY, Code du travail annoté, EENAS, Nouvelle édition, p.7 ; A. FALL, « Dialogue social et ordonnancement juridique » ; A. Wade « Pour quel dialogue social au Sénégal » cité par A.C. NIANG, « A propos du dialogue », op. cit.

122 A. C. NIANG, « A propos du dialogue », op. cit.

123 Cette charte forte de 19 articles en plus du préambule a été signée et adoptée à Dakar par les représentants des employeurs, les travailleurs et le ministre de la fonction publique d'alors, Mr Yoro DE, et s'applique dans les secteurs public, parapublic et privé (moderne et informel).

124 A. KANTE, op. cit., p. 133.

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régissent. Il ne peut en aucun cas ni porter atteinte à la liberté de travail, ni mettre l'entreprise en péril ». En droit international, la matière fait preuve d'une discrétion aisément explicable : fort nombreux sont les États qui n'ont pas un penchant particulier pour la consécration, et encore moins, la protection d'un droit de grève. Les conventions et recommandations de l'OIT sont silencieuses mais, les experts ont parlé. La « jurisprudence » du Comité de la liberté syndicale du Conseil d'administration du B.I.T. est sans équivoque : « le droit de grève et celui d'organiser des réunions syndicales sont des éléments essentiels du droit syndical (...) »125. De vifs débats entre groupes des employeurs et des salariés ont d'ailleurs eu lieu à la Conférence internationale du travail126.

La grève consiste dans la cessation collective et concertée du travail, à l'appui de revendications127. Ainsi caractérisée, elle est un instrument d'expression et de défense essentiel pour les travailleurs. Dans la mesure où elle engendre des perturbations dans le fonctionnement d'une entreprise ou d'un service, elle est constitutive d'un préjudice au détriment de l'employeur qu'elle incite de la sorte à négocier128. Outre les conditions de forme129 que sont la notification du conflit à l'inspection du travail, le dépôt de préavis de grève qui laisse suivre trente jours en cas d'échec de la procédure de conciliation, la grève nécessite deux conditions quant au fond : une cessation collective de travail en vue de la satisfaction d'intérêts professionnels, avant de porter ses effets.

Le premier élément de cette définition concerne l'existence d'une collectivité de travailleurs. Il s'agit alors d'une communauté c'est-à-dire un groupement organisé130 ou non organisé131 ou une communauté à l'échelle d'une profession, d'une entreprise, d'un établissement. La grève est un droit individuel mais d'exercice collectif. Il découle de cette affirmation que tout salarié bénéficie du droit de grève mais il ne peut l'exercer seul. Il faut, en effet, plusieurs salariés132, sans besoin qu'il y ait une majorité, pour aller en grève. Cette communauté doit être en conflit et l'arrêt de travail doit être effectif. C'est un arrêt totale de travail des salariés et ce, sans

125 Recueil des décisions, Genève, 3 éd., 1985, p. 37, n 69 cité par J.C. Pillissier, op. cit., p. 516.

126 Jean-Maurice VERDIER, « Débat sur le droit de grève à la Conférence internationale du travail » : IFS, 1994, p. 968 cité par J.C. Pillissier, ibid.

127 G. Lyon-Caen, J. Pélissier, A. Supiot , op. cit., p. 918

128 Ibid.

129 Dans le cadre de cette modeste étude, l'accent sera plus porté sur les conditions de fond de la grève.

130 Il s'agira donc d'un syndicat.

131 Ou un comité de grève.

132 Au moins deux salariés. Mais, par exception, la jurisprudence apporte des dérogations. Ainsi, il est possible à un seul salarié d'aller en grève au sein de son entreprise. Il en est ainsi d'abord lorsque le salarié participe seul de son entreprise à une grève dépassant le cadre de celle-ci et déclenché et sur le plan local, régional ou national (Soc. 23 mars 1995, Bull. civ. 1995, V, n111). Il en est ainsi ensuite lorsqu'il est le seul salarié de l'entreprise. Cf M. GAYE, Cours de droit du travail, FSJP, 2017.

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exigence de durée133. L'article 25 de la constitution affirme que cette cessation de travail ne doit pas mettre en péril134 l'entreprise dans une perspective de prise en compte des intérêts de l'entreprise. Une question d'équilibre surgit de ce fait. La quête d'un équilibre des droits et libertés constitutionnellement protégés : le droit de grève et la liberté d'entreprendre.

Le deuxième élément est que le conflit doit porter sur des intérêts collectifs, à savoir des intérêts communs à tous les salariés en cause et dont la satisfaction les concernent tous135. La cessation collective et concerté de travail doit donc être appuyée de revendications professionnelles. En conséquence, toute grève justifiée par des motifs politiques est jugée illégale. Il se pose aussi la question de la licéité des grèves de solidarité, ainsi que celles des grèves de protestations nationales. Il existe une certaine tolérance pour ces deux formes d'action.

Pour ce qui est des effets, la grève étant un droit fondamental, son exercice licite suspend le contrat de travail et retire à l'employeur ses prérogatives136. La suspension du contrat de travail aura pour effet que le salarié gréviste soit soustrait de l'autorité et de la direction de son employeur en raison du fait que ces pouvoirs lui sont conférés par le contrat de travail dont les effets sont désormais suspendus jusqu'à la reprise du travail. L'employeur pourra plus leur donner des ordres en raison justement de la suspension du contrat de travail. Il lui est aussi interdit de recruter des travailleurs pour remplacer temporairement les salariés grévistes137. Les travailleurs grévistes doivent cependant respecter la liberté de travail manifestée par les non-grévistes138.

Procès-verbal, constat, protocole, accord « de fin de conflit », quel qu'en soit le vocabulaire, ces actes juridiques ont force obligatoire pour l'une et l'autre partie lorsqu'ils en remplissent

133 Il n'y a pas une limite de temps instituée dans laquelle la grève devrait être faite. Il peut aller donc d'un débrayage à une grève illimitée.

134 La notion de mise en péril n'a pas été définie par le constituant et peut donc poser des problèmes d'interprétation. On peut toutefois voir à travers cette notion, une reprise maladroite de la notion de désorganisation de l'entreprise qui rend la grève abusive. Mais, en toute hypothèse, il appartient au juge de donner un contenu à cette notion de mise en péril de l'entreprise. Voir sur cette question : A. SAKHO, Droit de grève et survie de l'entreprise, Nouvelles annales africaines, n1-2007, p. 353 ; A. FAYE, La grève dans la constitution du Sénégal de janvier 2001, Droit sénégalais n10, 2011-2012, p. 233.

135 A. KANTE, op. cit., p. 169

136 Sous réserve, bien sûr, du droit de réquisition.

137 Art. 12 du décret 209-1412 du 23 décembre 2009 fixant la protection particulière des travailleurs employés par des entreprises de travail temporaire et les obligations auxquelles sont assujetties ces entreprises, J.O. n6518 du samedi 27 mars 2010.

138 Ils ne doivent pas exercer des voies de fait par rapport à l'employeur et à l'entreprise. Ils ne doivent se livrer à aucun acte d'entrave ou de sabotage. En effet, il s'agit là d'infractions pénales qui exposent les salariés à des sanctions et qui entache donc d'illicéité une grève qui pouvait être licite dans son principe.

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les conditions de forme et de fond. L'objectif principal de la grève est d'amener l'employeur à la négociation dans une perspective de sauvegarde des intérêts des travailleurs.

Tout cet arsenal d'outils institué par le droit du travail et conféré aux salariés, participe de la finalité protectionniste du droit du travail sénégalais. Aujourd'hui, cette protection du salarié de plus en plus remise en cause, il serait plus convenable, plus conforme aux réalités, de parler de finalité ambivalente ou ambiguë du droit du travail sénégalais.

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"Aux âmes bien nées, la valeur n'attend point le nombre des années"   Corneille