Paragraphe 2 : L'exercice du droit de grève
Le code du travail a outillé les salariés
mécontents de leur employeur d'un puissant instrument de dissuasion
qu'est la grève pour leur permettre de défendre leurs
intérêts. Le droit de grève est reconnu par la Constitution
et encadré par la loi.
La Constitution du Sénégal du 22 janvier 2001 a
consacré le droit de grève en disposant en son article 25 que
« Le droit de grève est reconnu. Il s'exerce dans le cadre des lois
qui le
121 P. Marie COLY, Code du travail annoté, EENAS,
Nouvelle édition, p.7 ; A. FALL, « Dialogue social et
ordonnancement juridique » ; A. Wade « Pour quel dialogue social au
Sénégal » cité par A.C. NIANG, « A propos du
dialogue », op. cit.
122 A. C. NIANG, « A propos du dialogue », op. cit.
123 Cette charte forte de 19 articles en plus du
préambule a été signée et adoptée à
Dakar par les représentants des employeurs, les travailleurs et le
ministre de la fonction publique d'alors, Mr Yoro DE, et s'applique dans les
secteurs public, parapublic et privé (moderne et informel).
124 A. KANTE, op. cit., p. 133.
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régissent. Il ne peut en aucun cas ni porter atteinte
à la liberté de travail, ni mettre l'entreprise en péril
». En droit international, la matière fait preuve d'une
discrétion aisément explicable : fort nombreux sont les
États qui n'ont pas un penchant particulier pour la consécration,
et encore moins, la protection d'un droit de grève. Les conventions et
recommandations de l'OIT sont silencieuses mais, les experts ont parlé.
La « jurisprudence » du Comité de la liberté syndicale
du Conseil d'administration du B.I.T. est sans équivoque : « le
droit de grève et celui d'organiser des réunions syndicales sont
des éléments essentiels du droit syndical (...)
»125. De vifs débats entre groupes des employeurs et des
salariés ont d'ailleurs eu lieu à la Conférence
internationale du travail126.
La grève consiste dans la cessation collective et
concertée du travail, à l'appui de revendications127.
Ainsi caractérisée, elle est un instrument d'expression et de
défense essentiel pour les travailleurs. Dans la mesure où elle
engendre des perturbations dans le fonctionnement d'une entreprise ou d'un
service, elle est constitutive d'un préjudice au détriment de
l'employeur qu'elle incite de la sorte à négocier128.
Outre les conditions de forme129 que sont la notification du conflit
à l'inspection du travail, le dépôt de préavis de
grève qui laisse suivre trente jours en cas d'échec de la
procédure de conciliation, la grève nécessite deux
conditions quant au fond : une cessation collective de travail en vue de la
satisfaction d'intérêts professionnels, avant de porter ses
effets.
Le premier élément de cette définition
concerne l'existence d'une collectivité de travailleurs. Il s'agit alors
d'une communauté c'est-à-dire un groupement
organisé130 ou non organisé131 ou une
communauté à l'échelle d'une profession, d'une entreprise,
d'un établissement. La grève est un droit individuel mais
d'exercice collectif. Il découle de cette affirmation que tout
salarié bénéficie du droit de grève mais il ne peut
l'exercer seul. Il faut, en effet, plusieurs salariés132,
sans besoin qu'il y ait une majorité, pour aller en grève. Cette
communauté doit être en conflit et l'arrêt de travail doit
être effectif. C'est un arrêt totale de travail des salariés
et ce, sans
125 Recueil des décisions, Genève, 3 éd.,
1985, p. 37, n 69 cité par J.C. Pillissier, op. cit., p. 516.
126 Jean-Maurice VERDIER, « Débat sur le droit de
grève à la Conférence internationale du travail » :
IFS, 1994, p. 968 cité par J.C. Pillissier, ibid.
127 G. Lyon-Caen, J. Pélissier, A. Supiot , op. cit., p.
918
128 Ibid.
129 Dans le cadre de cette modeste étude, l'accent sera
plus porté sur les conditions de fond de la grève.
130 Il s'agira donc d'un syndicat.
131 Ou un comité de grève.
132 Au moins deux salariés. Mais, par exception, la
jurisprudence apporte des dérogations. Ainsi, il est possible à
un seul salarié d'aller en grève au sein de son entreprise. Il en
est ainsi d'abord lorsque le salarié participe seul de son entreprise
à une grève dépassant le cadre de celle-ci et
déclenché et sur le plan local, régional ou national (Soc.
23 mars 1995, Bull. civ. 1995, V, n111). Il en est ainsi ensuite lorsqu'il est
le seul salarié de l'entreprise. Cf M. GAYE, Cours de droit du travail,
FSJP, 2017.
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exigence de durée133. L'article 25 de la
constitution affirme que cette cessation de travail ne doit pas mettre en
péril134 l'entreprise dans une perspective de prise en compte
des intérêts de l'entreprise. Une question d'équilibre
surgit de ce fait. La quête d'un équilibre des droits et
libertés constitutionnellement protégés : le droit de
grève et la liberté d'entreprendre.
Le deuxième élément est que le conflit
doit porter sur des intérêts collectifs, à savoir des
intérêts communs à tous les salariés en cause et
dont la satisfaction les concernent tous135. La cessation collective
et concerté de travail doit donc être appuyée de
revendications professionnelles. En conséquence, toute grève
justifiée par des motifs politiques est jugée illégale. Il
se pose aussi la question de la licéité des grèves de
solidarité, ainsi que celles des grèves de protestations
nationales. Il existe une certaine tolérance pour ces deux formes
d'action.
Pour ce qui est des effets, la grève étant un
droit fondamental, son exercice licite suspend le contrat de travail et retire
à l'employeur ses prérogatives136. La suspension du
contrat de travail aura pour effet que le salarié gréviste soit
soustrait de l'autorité et de la direction de son employeur en raison du
fait que ces pouvoirs lui sont conférés par le contrat de travail
dont les effets sont désormais suspendus jusqu'à la reprise du
travail. L'employeur pourra plus leur donner des ordres en raison justement de
la suspension du contrat de travail. Il lui est aussi interdit de recruter des
travailleurs pour remplacer temporairement les salariés
grévistes137. Les travailleurs grévistes doivent
cependant respecter la liberté de travail manifestée par les
non-grévistes138.
Procès-verbal, constat, protocole, accord « de fin
de conflit », quel qu'en soit le vocabulaire, ces actes juridiques ont
force obligatoire pour l'une et l'autre partie lorsqu'ils en remplissent
133 Il n'y a pas une limite de temps instituée dans
laquelle la grève devrait être faite. Il peut aller donc d'un
débrayage à une grève illimitée.
134 La notion de mise en péril n'a pas
été définie par le constituant et peut donc poser des
problèmes d'interprétation. On peut toutefois voir à
travers cette notion, une reprise maladroite de la notion de
désorganisation de l'entreprise qui rend la grève abusive. Mais,
en toute hypothèse, il appartient au juge de donner un contenu à
cette notion de mise en péril de l'entreprise. Voir sur cette question :
A. SAKHO, Droit de grève et survie de l'entreprise, Nouvelles annales
africaines, n1-2007, p. 353 ; A. FAYE, La grève dans la constitution du
Sénégal de janvier 2001, Droit sénégalais n10,
2011-2012, p. 233.
135 A. KANTE, op. cit., p. 169
136 Sous réserve, bien sûr, du droit de
réquisition.
137 Art. 12 du décret 209-1412 du 23 décembre
2009 fixant la protection particulière des travailleurs employés
par des entreprises de travail temporaire et les obligations auxquelles sont
assujetties ces entreprises, J.O. n6518 du samedi 27 mars 2010.
138 Ils ne doivent pas exercer des voies de fait par rapport
à l'employeur et à l'entreprise. Ils ne doivent se livrer
à aucun acte d'entrave ou de sabotage. En effet, il s'agit là
d'infractions pénales qui exposent les salariés à des
sanctions et qui entache donc d'illicéité une grève qui
pouvait être licite dans son principe.
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les conditions de forme et de fond. L'objectif principal de la
grève est d'amener l'employeur à la négociation dans une
perspective de sauvegarde des intérêts des travailleurs.
Tout cet arsenal d'outils institué par le droit du
travail et conféré aux salariés, participe de la
finalité protectionniste du droit du travail sénégalais.
Aujourd'hui, cette protection du salarié de plus en plus remise en
cause, il serait plus convenable, plus conforme aux réalités, de
parler de finalité ambivalente ou ambiguë du droit du travail
sénégalais.
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