CHAPITRE 2
LA LUTTE CONTRE L'EVASION FISCALE SUR LE
PLAN INTERNATIONAL
311. Dans ce chapitre, nous verrons les
outils juridiques et administratifs de coopération entre Etats dans le
cadre du droit fiscal international et européen, mais aussi les limites
du positionnement de la nouvelle régulation internationale de
l'évasion, tant au niveau de l'OCDE que de l'UE.
Qui sont les moyens pour lutter contre
l'évasion fiscale aux niveaux européen et international
?
SECTION 1 - LE ROLE DU DROIT INTERNATIONAL DANS LA
LUTTE CONTRE L'EVASION
FISCALE
312. Les actions visant à lutter contre
l'évasion et la fraude fiscales ont également été
qualifiées de prioritaires par l'Union européenne. Lors d'un
discours prononcé devant le Parlement européen en avril 2014,
Algirdas EMETA1, le commissaire européen
chargé de la fiscalité, a expliqué que cet enjeu
redevenait une priorité politique2.
313. En Europe, la question de la lutte contre l'évasion
fiscale s'est également accrue. Par ce que la législation fiscale
européenne concerne spécifiquement les entreprises
multinationales.
L'Union Européenne a déjà adopté
l'obligation de transparence comptable pour le secteur bancaire et a
adopté une directive en 2016 l'étendant à toutes les
grandes entreprises constituées en Europe.
314. L'OCDE mène le projet BEPS (Erosion de la base
d'imposition et transfert de bénéfices). Il consiste en la mise
en oeuvre d'une quinzaine de recommandations validées par le G20 en 2015
qui reposent sur 3 piliers : Cohérence des activités
transnationales avec
1 Algirdas Gediminas emeta, né le 23 avril
1962 à Vilnius, est un homme politique lituanien, Ancien Commissaire
européen à la fiscalité, à l'union
douanière, à l'audit et à la lutte anti-fraude.Il est
actuellement commissaire européen à l'Union douanière,
après avoir été brièvement chargé du Budget
pendant la seconde moitié de l'année 2009.
2L'impact de l'austérité sur la
collecte de l'impôt : un an plus tard, la situation continue d'empirer,
un rapport rédigé pour la fédération syndicale
européenne des services publics par le labour research department, EPSU,
Novembre 2014, p.7
105
les lois domestiques, renforcement des règles
comptables et fiscales internationales et amélioration de la
transparence.
Paragraphe 1-Mesures internationales pour éviter
l'évasion fiscale
315. OCDE, un acteur majeur de la lutte contre les pratiques
fiscales dommageables.
A.- Le rôle de l'OCDE dans la lutte contre
l'évasion fiscale internationale
316. L'objectif des travaux de l'OCDE dans le domaine des
pratiques fiscales dommageables est d'assurer l'intégrité des
systèmes fiscaux entrainant les problèmes posés par les
régimes appliqués aux activités mobiles qui
réduisent de façon inéquitable les bases d'imposition
d'autres pays, et qui peuvent fausser la localisation du capital et des
services1.
317. L'OCDE a créé en 2000 le groupe de travail
du Forum mondial pour un échange effectif de renseignements et a
recommandé dès 2002 un modèle de convention sur
l'échange efficace de renseignements2.
1. L'origine des travaux de l'OCDE dans la lutte contre
les inégalités fiscales
318. En 1998, l'OCDE crée le « Forum sur les
pratiques fiscales dommageables » qui produira des rapports
préconisant des mesures concrètes3.
Les travaux relatifs aux pratiques fiscales dommageables
étaient divisés en trois volets : Les régimes
préférentiels dans les pays membres de l'OCDE, les paradis
fiscaux et, les économies non-membres de l'OCDE4.
319. Ce rapport a été suivi de quatre rapports
d'étape :
- Le premier rapport, publié en juin 2000
(OCDE, 2000), décrivait les progrès réalisés,
- Un deuxième rapport d'étape a
été diffusé en 2001 (OCDE, 2001). Il apportait plusieurs
modifications notables aux aspects des travaux concernant les paradis
fiscaux,
1 Rapport d'étape 2014, ibid., p.14
2 Antoine DULIN, ibid., p.43
3 Antoine DULIN, ibid., p.43
4 Rapport d'étape 2014, ibid., p.17
106
- De 2000 à 2004, on a formulé
des indications génériques, sous forme de notes «
d'application », pour aider les pays membres à effectuer l'examen
des régimes préférentiels existants ou futurs.
320. Au début de 2004, l'OCDE a publié un autre
rapport (OCDE, 2004b), consacré surtout aux progrès
effectués vers la suppression des aspects dommageables des
régimes préférentiels des pays membres de l'OCDE ainsi
qu'à apprécier la présence éventuelle de l'un des
facteurs cités dans le Rapport de 1998.
321. Enfin, un rapport sur les régimes
préférentiels des pays membres a été diffusé
en septembre 2006 (OCDE, 2006). Des 47 régimes considérés
au départ comme potentiellement dommageables par le rapport de 2000, 46
avaient été abolis, modifiés ou n'étaient plus
jugés dommageables à la suite d'une analyse plus
approfondi1.
Le Conseil de l'OCDE a chargé le Comité des
affaires fiscales de lui rendre compte périodiquement des
résultats de ses travaux.
a.- Centre de politique et d'administration fiscales
(CPAF)
322. L'OCDE a renforcé ses travaux dans le domaine de
la fiscalité et du développement : le CPAF est le pivot de
l'ensemble des travaux de l'OCDE en matière de
fiscalité2.
323. Le CPAF soutient activement les pouvoirs publics dans la
mise en oeuvre des normes fiscales3.
Le CPAF met de plus en plus l'accent sur le renforcement des
capacités des administrations fiscales des pays en développement,
tout en renforçant dans le même temps la coopération avec
les organisations internationales et régionales4.Il continue
d'étoffer ses travaux sur les statistiques des recettes publiques et
contribue à trouver des solutions face aux défis fiscaux
posés par la transformation numérique de
l'économie5.
1 Rapport d'étape 2014, ibid., p.17
2 Les travaux de l'OCDE dans le domaine de la
fiscalité et du développement, 2019, p.11
3 Les travaux de l'OCDE dans le domaine de la
fiscalité et du développement, 2019, ibid., p.12
4 Les travaux de l'OCDE dans le domaine de la
fiscalité et du développement, 2019, ibid., p.12
5 Les travaux de l'OCDE dans le domaine de la
fiscalité et du développement, 2019, ibid., p.12
107
b.- Les travaux du FHTP
324. Les travaux du FHTP (Forum on Harmful Tax Practices)
sont donc centrés sur les régimes fiscaux
préférentiels et les mesures défensives1.
Les régimes préférentiels conçus
pour attirer les investissements dans des usines, bâtiments et biens
d'équipement ne rentrent pas dans le cadre du Rapport de 1998.
325. Le régime doit d'abord s'appliquer à un
revenu émanant d'activités géographiquement mobiles,
telles que les activités financières et les autres prestations de
service, y compris la fourniture de biens incorporels2.
Deuxièmement, le régime doit concerner
l'imposition dudit revenu tiré d'activités
géographiquement mobiles. Les travaux portent donc essentiellement sur
la fiscalité des entreprises. Les impôts sur la consommation sont
explicitement exclus3.
326. Le FHTP examine spécifiquement comment un
régime donné se situe par rapport à ces facteurs. Il ne
tente pas de refaire le travail du Forum mondial, qui a une vision plus large
et plus générale de la transparence et de l'échange
effectif de renseignements. Toutefois, dans la mesure où le Forum
mondial met en lumière certaines questions concernant un régime
en particulier, le FHTP en tient compte dans ses
évaluations4.
2. Le rôle de l'OCDE
327. L'OCDE a un rôle déterminant à jouer
en aidant les pays en développement à collecter les recettes
intérieures nécessaires au financement de leur
développement durable5. La fiscalité figurait alors en
tête des préoccupations6.
Les travaux de l'OCDE en matière de fiscalité
ont toujours visé à éliminer la double
imposition7.
328. L'objectif des travaux de l'OCDE dans le domaine des
pratiques fiscales dommageables est d'assurer l'intégrité des
systèmes fiscaux entrainant les problèmes posés par les
régimes
1 Rapport d'étape 2014, ibid., p.19
2 Action 5 : Rapport final 2015 : Projet OCDE/G20
sur l'érosion de la base d'imposition et le transfert de
bénéfices « Lutter plus efficacement contre les pratiques
fiscales dommageables, en prenant en compte la transparence et la substance
», p.21
3 Action 5 : ibid., p.
4 Rapport d'étape 2014, ibid., p.25
5 Les travaux de l'OCDE dans le domaine de la
fiscalité et du développement, ibid., p.5
6 Les travaux de l'OCDE dans le domaine de la
fiscalité et du développement, ibid., p.6
7 OCDE, l'imposition des entreprises multinationales,
Note de synthèse, octobre 2015, N°3
108
appliqués aux activités mobiles qui
réduisent de façon inéquitable les bases d'imposition
d'autres pays, et qui peuvent fausser la localisation du capital et des
services1.
329. Dans le même temps, les médias ont
commencé à faire largement écho aux questions de
fiscalité, en révélant notamment que des multinationales
exploitaient les faiblesses du système fiscal international pour payer
le moins d'impôts possible dans les pays où elles
exerçaient leurs activités, et que les particuliers pouvaient
recourir à certaines stratégies pour dissimuler leurs actifs
à l'étranger2.
330. L'Organisation a fondé son approche sur :
- L'élaboration de normes solides de
transparence fiscale ;
- La promotion de l'adhésion à
ces normes de manière à garantir des règles du jeu
équitable pour tous ;
- L'accompagnement des pays dans la mise en
oeuvre des programmes fiscaux ; - Et le suivi des
progrès réalisés au regard des engagements
pris3.
331. En améliorant la transparence, en luttant contre
la fraude et l'évasion fiscales, en renforçant la politique
fiscale, et, de plus en plus, en exploitant les possibilités offertes de
mettre la fiscalité au service du développement4.
Le phénomène de BEPS porte atteinte à
l'équité et l'intégrité des systèmes
fiscaux5. Selon les estimations prudentes de l'OCDE, les pratiques
de BEPS représentent chaque année 100 à 240 milliards USD
de manque à gagner fiscal au titre de l'impôt sur les
bénéfices des sociétés6.
a.- Projet OCDE/G20
332. Le projet G20 intitulé : « lutter plus
efficacement contre les pratiques fiscales dommageables, en prenant en compte
la transparence et la substance ».
En 2013, les pays de l'OCDE et du G20, oeuvrant sur un pied
d'égalité, ont adopté un Plan d'action en 15 points visant
à lutter contre l'érosion de la base d'imposition et le transfert
de bénéfices7.
1 Rapport d'étape 2014, ibid.14
2Les travaux de l'OCDE dans le domaine de la
fiscalité et du développement, ibid., p.7 3Les travaux
de l'OCDE dans le domaine de la fiscalité et du développement,
ibid., p.7 4Les travaux de l'OCDE dans le domaine de la
fiscalité et du développement, ibid., p.7 5Les travaux
de l'OCDE dans le domaine de la fiscalité et du développement,
ibid., p.13 6Les travaux de l'OCDE dans le domaine de la
fiscalité et du développement, ibid., p.13 7Rapport
d'étape 2014, ibid., p.3
109
333.
Par ailleurs, les pays de l'OCDE et duG20 ont adopté un
rapport qui conclut à la faisabilité de la mise en oeuvre des
mesures arrêtées dans le cadre du Projet BEPS par le biais d'un
instrument multilatéral1.
334. Le premier volet du travail proposé au G20
était de mettre fin au secret bancaire a rappelé M.
Pascal Saint Amans, directeur du centre politique et
d'administration fiscale de l'OCDE lors de son audition devant la
section2.
Pour lui, le but est atteint puisque « tous les paradis
fiscaux prennent l'engagement de faire de l'échange automatique de
renseignements bancaires à compter de 2017 dans quelques mois ou 2018.
Tous les pays ont pris cet engagement y compris le Panama dans la semaine qui a
suivi les Panama papers. La Suisse, Singapour, Hong-Kong et d'autres
l'ont fait3 ».
335. L'OCDE a été mandatée par le G20
pour préconiser des révisions drastiques des
réglementations régissant les relations entre les
États4.
b.- La loi FATCA
336. La loi « FATCA » (Foreign Account Tax
Compliance Act) a été adoptée par les États Unis en
20105.Est une réglementation américaine visant
à lutter contre l'évasion fiscale des citoyens et
résidents américains détenant des actifs financiers en
dehors des Etats-Unis6, oblige tous les établissements
financiers de la planète à déclarer les revenus et
à remonter toutes les informations relatives aux contribuables
américains résidents à l'étranger7.
337. FATCA combat l'évasion fiscale en s'appuyant sur
des tiers pour la déclaration des revenus. Si ce mécanisme est
classique en droit interne, il est bien plus rare dans un contexte
international8.
Cette loi établit un échange automatique de
données entre le fisc américain et les banques
étrangères du monde entier9.
1Rapport d'étape 2014, ibid., p.4
2Antoine DULIN, ibid., p.43
3 Antoine DULIN, ibid., p.43
4 Les frères BOCQUET, ibid., p.139
5 Antoine DULIN, ibid., p.44
6 Loi FATCA : BANK OFAFRICA,
www.bankofafrica.ma
7Synthèse sur la loi FATCA
8Candice ROUSSIEAU, l'échange automatique
d'informations en matière fiscale dans le contexte
international, Revue internationale de droit économique,
2016, p.366
9 Antoine DULIN, ibid., p.44
110
338.
Le décret-loi sur l'échange automatique
d'informations à des fins fiscales est officiellement entré en
vigueur au Maroc. Après sa ratification par le Parlement, il vient
d'être publié au Bulletin officiel n°6702 du 23 août
20181.
Les implications de la loi américaine FATCA au Maroc
touchent à deux niveaux :
- Les banques et les établissements
financiers doivent adapter leurs systèmes d'information pour garantir
l'intégrité et la cohérence des données
échangées par voie électronique.
- Devant les contraintes de la loi, le Maroc
a mis en place une mesure d'accompagnement qui est l'amnistie fiscale
pour les personnes physiques résidentes2.
339. La loi dite « FATCA » vise à assurer
une transparence totale de la part de banques étrangères dans
lesquelles des contribuables ayant des liens avec les États-Unis
détiendraient des comptes. Elle se traduit à l'échelle
internationale par la signature d'accords internationaux qui garantissent un
échange d'informations sous peine de se voir appliquer un taux
d'imposition plus élevé aux États-Unis3.
|