B. Les défis d'ordre réglementaire
La loi de 2009 a prévu neuf arrêtés
d'exécution et quatre décrets du premier ministre
délibéré en conseil des ministres, parmi lesquels, il y a
certains de ces arrêtés tendant à rendre effectif la
protection spéciale des enfants exposés à la
mendicité qui ne sont pas encore en vigueur, il s'agit de :
a. Les arrêtés ministériels et
interministériels
1. L'arrêté interministériel
(Ministère de la Femme, Famille et Enfant et du Ministère des
Affaires Sociales) sur l'assistance de l'Etat aux parents incapables d'assurer
la survie de leurs enfants (article 69). Il n'est pas encore en vigueur.
2. L'arrêté du Ministre de l'Intérieur
portant organisation et fonctionnement de la Brigade spéciale de
protection de l'enfant (article 77). Il n'est pas encore en vigueur
Il s'ensuit des points soulevés sur les défis
d'ordre juridique que les difficultés de l'application des lois
protectrices de l'enfant en RDC sont liées particulièrement au
contexte de leur mise en oeuvre, c'est-à-dire : de l'ensemble des
circonstances dans lesquelles elles s'appliquent et dont nous retenons
essentiellement, l'insuffisance des structures d'une part et d'autre part, le
peu de connaissance de la loi et de l'enfant bénéficiaire
particulièrement par les acteurs de mise en oeuvre.61 Ayant
dit un mot sur les défis d'ordre juridique, le paragraphe suivant aborde
d'autres défis.
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§2. D'autres défis à
relever
Dans ce paragraphe il est évoqué les autres
défis à relever l'effectivité de la protection
spéciale de l'enfant exposé à la mendicité.
A. Les défis à relever dans la
prévention de la délinquance juvénile
[a « rue » est une expression neutre, purement
topographique, qui part de la constatation d'une présence dans l'espace
urbain. Elle permet de fonder une anthropologie descriptive
élémentaire, que l'on pourra ensuite nuancer de situation en
situation, de villes en ville. En gros, deux catégories se sont
imposées à tous : les enfants et les jeunes DANS la rue ou DE la
rue, dont on n'a plus besoin maintenant de reprendre les
définitions.62
[a « prévention » consiste donc non seulement
à agir au sein de chacune de ces catégories, pour en sortir les
enfants (ce qui peut signifier, parfois, qu'il faut d'abord les y stabiliser),
mais surtout à éviter les dérives de l'une à
l'autre, de l'enfance ordinaire (la maison, l'école, l'atelier) vers les
tentations de la rue, de la rue temporaire à la rue permanente, de la
marginalité à l'asocialité. C'est là que s'impose
la notion de niveaux d'intervention emboités, ce que les criminologues
qualifient de prévention primaire, secondaire ou tertiaire : agir
à la fois à chacun des niveaux et à l'articulation entre
ces divers niveaux.63
1. Prévenir le glissement vers les tentations
de la rue
A l'échelle la plus globale, c'est un truisme de dire
qu'un développement général harmonieux résoudrait
bien des problèmes : des villes heureuses dans des campagnes
prospères, une scolarisation adaptée aux aptitudes de chacun et
aux nécessités d'un vaste marché de l'emploi... moins
d'exode rural vers les lumières de la ville, moins de
déracinement culturel, moins de frustrations devant des formations
inadéquates... chacun doit, à son niveau, se battre pour que cela
advienne, mais - outre que la richesse ne résout pas tous les
problèmes (les pays industrialisées ne sont certes pas en manque
de marginalités juvéniles) - on ne peut trop escompter la
réalisation d'un tel programme dans l'avenir immédiat.
Jusqu'à preuve du contraire, les politiques de prévention en
Afrique devront
62 MARGUERAT Y. et POITOU D., op. cit., p.
562
63 Idem, p. 562
41
longtemps encore se penser dans un contexte de
pauvreté, de chômage, de malnutrition, de familles incapables de
subvenir aux besoins de leurs enfants, de dévalorisation du travail
humain, de faiblesses des ressources publiques... les acteurs de la
prévention ne devront qu'être plus acharnés à
défendre les enfants à risque contre les dangers de rejet (par
l'école) et d'exploitation (dans le monde du travail).
Là où la source essentielle de la fuite des
enfants vers la rue se trouve dans la dislocation des familles, il doit
être envisageable de mobiliser contre celle-ci les ressources de la
société africaine morale des vieux...) ou les structures du
pouvoir local moderne (chef de quartier, cellules politiques...), en sachant
bien que la simple contrainte n'obtiendra jamais ce que l'on peut
espérer de la pression d'une écoute amicale et des conseils
judicieux de quelqu'un en qui l'enfant a placé sa
confiance.64
2. Prévenir le dérapage vers la rue
comme mode de vie permanent
Pour éviter que les enfants qui vivent dans la rue
au-delà de ce que la société considère comme normal
ne finissent par s'y installer pour de bon, on ne peut que tolérer que
ceux que l'on ne peut remettre entièrement à la charge de leur
famille y exercent leurs activités (non répréhensibles)
sans trop de difficultés. Cela signifie, concrètement, repenser
la place des « petits métiers » dans la ville, en particulier
adapter des réglementations qui n'ont pas été
conçues pour ces cas-là (patentes, droits de place, prohibitions
inapplicables), qui ont pour effet de rendre encore plus précaire la
position de l'enfant, de l'exposer à tous les arbitraires et donc de
l'inciter à se réfugier dans la véritable
illégalité. Mais permettre à l'enfant de vivre dans la rue
ne doit pas le contraindre à y rester : tout statut doit être
conçu comme transitoire, comme une étape vers un retour à
ce que chacun considère comme une vie « normale
».65
3. Prévenir le basculement dans les
institutions de contrôle
Pour éviter la chute dans la délinquance
institutionnalisée, il faut , dans la mesure du possible, sortir de la
rue ceux qui y ont vraiment élu domicile, ce qui est - expérience
faite - en général beaucoup moins difficile qu'on ne le croit :
la plupart de ces enfants (et même des plus âgés, les 18-20
ans ...) aspirer évidemment au retour à une vie conforme au
modèle
64 MARGUERAT Y. et POITOU D., op. cit.,pp.
562-563
65 Idem, pp. 563-564
42
qu'ils ont de la société : aller à
l'école, apprendre un métier, fonder plus tard une famille et
s'occuper de leurs enfants mieux qu'on ne l'a fait pour eux... rares parmi eux
sont les vrais asociaux, même si leurs bonnes inventions sont
entravées par des perturbations psychologiques dont leur vie de la rue
est, en général, plus cause que conséquence :
l'instabilité, l'agressivité, la violence, un mélange
d'irresponsabilité et de cynisme, qui cachent (tantôt bien,
tantôt mal) les plus grands besoins de tendresse...
Le retour réussi dans la famille reste souvent bien
difficile ; avoir choisi à 8, 10, 12 ans de fuir dans la rue
révèle en général des cassures difficilement
réparables. Il faut donc imaginer autre chose ; par exemple des
structures d'accueil pour les plus jeunes (les plus vulnérables et les
plus réadaptables), des formules très souples pour les plus
grands66, en sachant que l'abandon de la liberté et des
habitudes de la vie de la rue se fait rarement d'un seul coup. Toute une action
en « milieu ouvert » doit être menée, avec du personnel
formé, motivé, outillé pour agir dans la rue auprès
de plus jeunes dont on ne voit que trop quel est l'avenir prévisible ;
la vraie délinquance, celle de ces « grands » qui les
rackettent plus ou moins durement (avec, parfois, des raffinements de sadisme)
et qui ne sont que leurs anciens, désormais enfermés dans une
marginalité sans retour.67
4. Prévenir le naufrage dans la vraie
criminalité
Les institutions de contrôle social pour mineurs
(police, justice, centres de rééducation...) doivent tout d'abord
exister concrètement. Trop d'exemples montrent la catastrophe que
représente l'emprisonnement d'enfants avec les adultes ; c'est la
meilleure « école du crime ». Elles doivent, cela sans dire,
fonctionner de façon satisfaisante, avec les moyens matériels et
humains, la continuité et les coordinations nécessaires. C'est
dire qu'il a encore beaucoup à faire pour rendre tout cela adapté
aux besoins et aux réalités des sociétés
concernées.
Bien des législations doivent être
repensées en faveur des catégories de jeunes les plus
menacés et, surtout, être mises effectivement en application, dans
leur lettre et plus encore dans leur esprit, qui est que la seule
répression (si nécessaire soit-elle) ne saurait suffire.
66 MARGUERAT Y. et POITOU D., op. cit., p.
564
67 Idem, p. 565
43
Les qualités humaines des hommes et des femmes qui
s'attellent à la réhabilitation morale des enfants perdus doivent
être exceptionnellement. Mais être éducateur est aussi un
métier, qui doit être pérennisé par des conditions
décentes de carrière et de statut (matériel et social).
A chacun de ces niveaux se retrouve un problème
permanent ; l'atmosphère de mépris, voire d'hostilité,
dont l'opinion publique entoure ces enfants, perçus comme un danger qui
appelle une seule réponse la répression. Tant qu'il en sera
ainsi, ils ne peuvent qu'être toujours plus refoulés
au-delà des lisières de la société. Il faut donc
impérativement s'efforcer de neutraliser cette force centrifuge,
c'est-à-dire faire comprendre à l'opinion que ces enfants sont
des victimes, et non des ennemis. Pour cela doivent être mobilisés
tous les moyens d'information disponibles (presse, radio,
télévision...) et surtout les grands canaux qui façonnent
l'esprit public (partis politiques, corps enseignant, associations de parents
ou de résidents.)68
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