B. Les formes d'oppression morale
En contraste avec l'oppression physique, les formes
d'oppression morale sont exercées verbalement ou passivement, par
certains actes et comportements, sans toutefois toucher au corps. Certains ont
cependant des conséquences sur le corps.
1. Les menaces
Les menaces sont une forme de violence morale fondée
sur des paroles et des gestes, sans toutefois toucher au corps. Ce sont des
admonestations et des brimades accompagnées d'injures et de
révélations méchantes des défauts d'un individu.
Les enfants et jeunes de la rue en sont
régulièrement victimes de la part de leurs agresseurs. Ceux-ci
utilisent parfois des moyens matériels (bâton, couteau) pouvant
faire peur aux victimes. Verbalement, ils profèrent des menaces et des
malédictions à l'endroit de ces jeunes. L'objectif visé
est d'intimider, de frustrer ou de traumatiser l'adversaire. Les menaces
peuvent être une source de disputes, voire de bagarres. La plupart des
actes violents s'accompagnent en général de menaces.
C'est surtout par des menaces que les adultes expriment leur
sentiment de rejet vis-à-vis des jeunes. Mais le sentiment de rejet peut
s'exprimer aussi par des actes muets, des gestes ou des regards
dédaigneux.53
Voici quelques observations faites sur le vif. Un adulte
déposant un plat de riz au marché chasse ainsi les jeunes qui le
précédaient à cet endroit. « Disparaissez tous,
je ne peux pas manger à côté des animaux. Faites vite,
sinon je vous tape dessus. Qui vous a dit de rester parmi les hommes, vous
? »54
Une autre fois, lors de notre descente sur terrain, à
la recherche de ces enfants qui s'exposent à la mendicité,
pendant notre pause, dans un petit espace, où on vendait certains plats
des spaghettis accompagnés des poissons fumés, j'ai vu un groupe
d'enfants en train de mendier à cet endroit, comme ils étaient
ceux pour qui je cherchais, je les ai appelés. Mais la vendeuse qui
était sur le lieu cria sur eux, « quittez ! sorciers ! Sinon,
je vais vous jeter de l'eau », en suite j'ai répliqué,
« non maman ! ne les chassait pas, c'est moi qui les ai
53 MARGUERAT Y. et POITOU D., op. cit., pp.
372-373
54 Enfant N, communication personnelle, lieu
d'entretien à Lemba
35
appelés », elle dit : « papa,
attention ce sont des sorciers, regardez, comment ils sont bizarres
». Ceci est une illustration des menaces que subissent ces enfants et
une preuve d'un manque de protection qui découle d'un mauvais regard
auquel les gens ont sur ces petits.
Par ailleurs, toutes ces oppressions que rencontrent les
enfants ne manquent ne manquent jamais de conséquences, que nous allons
décrire dans le paragraphe suivant.
§2. Les conséquences
Généralement, les conséquences de
l'oppression peuvent s'observer à trois
niveaux.
A. Sur le plan physiologique
L'oppression physique laisse des traces sur le corps du jeune
opprimé ; celle exercée sur le plan moral comporte
également des conséquences néfastes, dont voici celles que
nous avons constatées :
- Les maladies, dont les plus visibles sont les
fièvres, les blessures, les gonflements, les foulures, les entorses, les
brûlures, l'asthénie, etc. ;
- De multiples infirmités de certaines parties du
corps (oeil crevé, doigt courbé, oreille coupée, dents
cassées, etc.),
- Les cicatrices sur l'ensemble du corps ;
- Les malades imaginaires dues à la peur des
malédictions.55
B. Sur le plan psychologique
Quelles que soient les formes d'oppressions, physique ou
morale, leurs répercussions atteignent immédiatement le psychisme
des jeunes opprimés et perturbent leur personnalité. L'oppression
traumatise les enfants et les jeunes et les rend timides et passifs. Elle
développe chez les enfants :
- Les sentiments d'insécurité, d'où le
recours au fétichisme, à la magie, à la toxicomanie, aux
sports violents,
- Le complexe d'infériorité,
55 MARGUERAT Y. et POITOU D., op. cit., p.
374
36
- Le sentiment de rejet et la méfiance vis-à-vis de
la société en général (non-conformité aux
normes sociales : indiscipline, injures, etc.).
Notons que tous ces conflits vécus par les enfants et
jeunes de la rue rendent de plus en plus difficile l'action
éducative.56
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