Section 1 : Ineffectivité de la protection de
l'enfant exposé à la mendicité
Nous disons que la protection de l'enfant exposé
à la mendicité est ineffective parce que nous ne voyons pas les
effets réels de cette protection d'autant plus que les enfants sont
régulièrement dans les lieux publics, en train de pratiquer la
mendicité qui d'après KELLENS et BIHAIN, est le fait de demander
un secours pour soi-même ou pour ses proches, sans contrevaleur
appréciable.40 Et dans ce secours que les enfants recherchent
aux passants, cela les expose en même temps au danger.
C'est pourquoi, dans cette section nous allons porter notre
attention sur les formes d'oppressions subies par les enfants exposés
à la mendicité (§1) et les conséquences de ces
oppressions (§2)
39 MINAS (RDC), « Normes et standards de prise en
charge des enfants vulnérables en République Démocratique
du Congo » septembre 2014, p. 13.
40 KELLENS G. et BIHAIN L., Protection de la jeunesse,
Université de Liège, faculté de droit, 1995, p. 133
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§1. Les formes d'oppressions subies par les enfants
exposés à la mendicité
Nous pouvons distinguer généralement deux formes
d'oppression, d'après les effets qu'elles entrainent sur les jeunes :
les formes d'oppression physique et les formes d'oppression morale. Mais il
faut auparavant décrire un peu le mode de vie de ces enfants de la rue,
en vertu de quoi, notre regard a été porté sur ceux qui
s'exposent à la mendicité.
Yves MARGUERAT et Danièle POITOU donnent la description
exacte de ces enfants de la rue comme nous les avions également
trouvés lors de notre descente sur terrain. Il importe de signaler
qu'à ce niveau l'attention est plus donnée à
l'égard des enfants qui se sont séparés de façon
définitive de leurs parents ou leurs personnes responsables.
La vie quotidienne des enfants et jeunes de la rue se
déroule dans une insécurité permanente. Cette situation
semble être à l'origine de leur solidarité, qui aboutit
à la formation de bandes. Chaque matin, ils se dispersent pour vaquer
à leurs multiples occupations. La journée, ils se regroupent
momentanément pendant les temps de repos. Le soir, ils forment des
attroupements importants, pour se raconter leur journée et chercher
ensemble les lieux de sommeil. Les enfants de la rue sont deux
catégories.
Les premiers sont sans activité lucrative : oisifs,
vagabonds et mendiants, ou voleurs. Les seconds, par contre, exercent des
activités régulières : nettoyer, vider les poubelles,
faire la vaisselle, porter des colis et des vivres, cirer les souliers, pousser
des charrettes, etc. (non sans recours eux aussi, parfois, à la
mendicité ou au vol). Une de leurs plus grandes difficultés, dans
la rue, c'est le manque de logement. Ils dorment sous ou sur les hangars, sous
les vérandas, dans des bâtiments inachevés ou
abandonnés, etc.
Souvent, ils passent la nuit dehors, parfois sous le froid et
la pluie, et dans la crainte des agents des forces de l'ordre, des bandits etc.
Ces enfants sont parfois particulièrement sales, de la tête aux
pieds, dans l'habillement comme dans l'hygiène corporelle, et sentent
mauvais. Il y a parmi eux des galeux, des malingres, et chacun a au moins une
plaie. Ils sont soit échevelés, soit le crâne mal
rasé. Cet état général de santé
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montre que non seulement ils manquent de moyens, mais aussi
qu'ils se sous-estiment et se négligent.41
A. Les formes d'oppression physique
Les formes d'oppression physique sont les contraintes qui
portent atteinte à l'intégrité physique de l'individu.
Elles utilisent la violence comme arme de base. L'oppression est « un
acte par lequel on impose à quelqu'un ou on le contraint d'agir contre
sa volonté, en employant la force ou l'intimidation »42
Les formes de contrainte portant atteinte à
l'intégrité physique des enfants de la rue sont nombreuses et
variées.
1. L'application de produits nocifs
Les produits nocifs en usage dans la rue sont le poivre et le
machacha, utilisés dans le but de nuire.
- La pratique du poivre
C'est une technique qui consiste à faire mâcher
et avaler un ou deux grains de poivre, ou à les frotter sur les yeux, la
bouche, les oreilles, le sexe ou le recrum de la victime. Le remède
contre le chatouillement du poivre est, disent les jeunes, de mâcher ou
de frotter de la poussière de braise partout où a
été appliqué le poivre.43
Voici ce qui a été recueilli à ce sujet :
« pour la première fois qu'on m'a frotté ces grains de
poivre aux yeux, je ne pouvais imaginer que ça pouvait me faire aussi
mal, je pleurnichais car c'était parmi mes premiers jours dans la rue,
j'avais autant pensé à ma famille mais je ne pouvais pas
retourner là en ce moment parce qu'à la maison, mes parents ne
sont même pas là, mon père est au Kasaï et ma maman
n'est pas très souvent présente,
41 MARGUERAT Y. et POITOU D., A l'écoute des
enfants de la rue en Afrique noire, Université catholique de
Louvain, faculté de droit, Fayard 1994, pp. 361-362
42 Idem, p. 364
43 Ibidem.
44 Enfant exposé à la mendicité
X, communication personnelle, lieu d'entretien à Lemba (UNIKIN),
à 11 heures
45 Enfant exposé à la mendicité
Z, communication personnelle, lieu d'entretien à Lemba, (UNIKIN),
à 10 heures
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quand je rentre le soir, je ne vois que ma
grand-mère maternelle avec d'autres membres de la famille élargie
».44
- La pratique de machacha
Employé moulu, il suffit d'en souffler une petite
poussière en direction de celui qu'on veut châtier ou de la lui
frotter sur le corps, provoquant des démangeaisons et des
chatouillements qui peuvent disparaître en se formant avec du sable.
Voici ce qui a été recueilli à ce propos
: « vivre dans la rue, il faut être vigilant. C'est seulement
dans la rue que j'ai appris à supporter la douleur, même si je
pleure qui va m'écouter ? - il n'y a pas de pitié ici dans la
rue, il faut seulement être prudent à certains moments.
Moi-même par mon imprudence, j'ai été victime plusieurs
fois de frottement de machacha dans le corps. Oups ! une fois c'était
sur mon dos, ça me chauffer comme pas possible, pour que ce
chatouillement s'arrête, il me fallait enlever vite le polo et commencer
à tourner au sol pendant que mes amis étaient là en train
de me rire »45
2. Les brulures
Beaucoup de plaies vues sur le corps de jeunes sont des
brulures. Plusieurs techniques sont utilisées, souvent exercées
pendant les heures de repos ou de sommeil. Le but visé serait de punir
les oisifs, les paresseux, ou seulement de satisfaire son sadisme, qui a pour
base la haine, la jalousie ou la vengeance. Ces pratiques sont :
a. L'usage du corps de la victime comme cendrier,
c'est-à-dire éteindre une cigarette sur sa peau nue ;
b. Fixez entre les lèvres d'un jeune endormi la bouche
entrouverte un mégot de cigarette (dont on a détaché le
filtre). Dans ce cas, ce sont les lèvres qui se brûlent,
c. Enfoncer une allumette allumée dans la bouche d'un
jeune endormi la bouche ouverte. Ici, on se brûle l'intérieur de
la bouche ;
d. Appliquer un tison ou une braise allumée sur le
corps de quelqu'un.
Voici quelques propos recueillis à ce sujet : «
j'éteins souvent ma cigarette sur les jeunes mendiants. Quand les
autres travaillent, eux dorment ou jouent pour enfin aller
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mendier. Alors qu'ici chacun doit vivre de son effort
» « cette brulure sur le dos, c'est le feu de la cigarette
éteinte par D. quand je dormais, alors que j'étais malade.
Après son acte, il s'est mis à rire. Je me serais vengé si
j'avais été plus fort que lui » « actuellement, je suis
devenu sage, je dors comme le boa un oeil ouvert, un oeil fermé. Car je
risque encore une brulure aux lèvres. »46
3. Autres formes de torture
- Le pincement de nez ou d'oreilles
Cette forme de torture consiste à pincer le nez ou les
oreilles d'un enfant pendant une durée déterminée, allant
d'une à cinq minutes. Tous les jeunes interrogés à ce
sujet reconnaissent avoir subi cette forme de torture et ses
conséquences : « les oreilles chauffent et bourdonnent, et
entrainent les maux de tête. On peut en devenir fou » « quand
on m'a pincé le nez, le sang a coulé, les yeux ont rougi, et
j'avais mal à la tête »47.
- Donner des coups contre les objets durs
Cette pratique consiste à imposer aux enfants de
« faire la boxe avec l'environnement matériel », tel
qu'administrer des coups de tête ou de poings aux murs ou aux arbres.
« La tête me fait toujours mal depuis que l'on m'a obligé
de la cogner contre un mur, il y a deux ans »48
- Faire le landoi
C'est obliger un enfant à enfoncer un doigt dans un
petit trou dans le sol, incliner la tête au sol, puis tourner sur place
en vitesse, en décrivant un mouvement de rotation autour de
soi-même, pendant une à cinq minutes. Cette pratique est
dénommée « la danse zekete-zekete » par les jeunes.
« Un jour, j'ai tournoyé de vertige. En voulant me redresser,
j'ai cogné la tête contre le coin d'un mur. Voici les cicatrices
»49
46 Enfant exposé à la
mendicité Z, communication personnelle, lieu d'entretien à Lemba,
(UNIKIN), à 10 heures, p. 365-366
47 Enfant exposé à la mendicité E,
communication personnelle, lieu d'entretien à Lemba super, à 11
heures
Enfant exposé à la mendicité K,
communication personnelle, lieu d'entretien à Lemba super, à 11
heures
49 Enfant R, communication personnelle, lieu
d'entretien à Lemba
48
51 Enfant M, communication personnelle, lieu
d'entretien à Lemba
52 Enfant W, communication personnelle, lieu
d'entretien à Lemba
50 MARGUERAT Y. et POITOU D., op. cit., p.
367
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Notons que toutes les formes de torture décrites
ci-dessus ont été observées chez les jeunes entre eux. Ce
sont les jeunes adultes et les plus forts qui les exercent sur les cadets et
les faibles. Les circonstances qui peuvent être à l'origine de ces
tortures sont nombreuses : la désobéissance, l'entêtement,
la revendication des droits etc. Ceux qui en sont les auteurs les font subir
par haine, jalousie ou sous l'effet de la toxicomanie50.
4. Faire manger des mouches
Quand certains enfants dorment la bouche ouverte la
journée, les oppresseurs tuent des mouchent ou prennent d'autres
saletés pour les leur enfoncer dans la bouche. Puis on les
réveille brutalement en leur révélant ce qu'ils ont
avalé. Cette pratique remplace certaines formes de brulures. «
J'en ai déjà avalé une fois. Et puis j'ai eu une
diarrhée durant trois jours... on m'a dit que ce sont les asticots des
mouches qui s'étaient développés et qui me rongeaient les
intestins et l'estomac »51.
1) Les coups
Certains de ces enfants qui s'exposent à la
mendicité sont battus. Il s'ensuit de notre observation dans une
descente sur terrain, deux groupes d'enfants exposés à la
mendicité, parmi eux les uns étaient un peu âgé que
les autres. Cherchant de parler avec l'un de ces groupes qui était
déjà sur le lieu, l'autre groupe n'était pas content,
d'après lui, les enfants du premier groupe avaient occupé la zone
qui n'était pas la leur, après quelques instants ils ont
commencé de se quereller le lieu. A la suite de ces querelles, au moment
que nous cherchions à les calmer, un garçon du deuxième
groupe lança un coup de poings dans le corps de garçon du premier
groupe. Après avoir réussi à les calmer le deuxième
groupe des enfants quitta le lieu car tout le monde parler en mal d'eux. L'un
des garçons dit : « nous vivons ce genre de lutte presque
chaque jour et si nous sommes moins forts, il arrive que nous soyons tous
battus et, c'est pire encore quand je suis surpris seul sans mes amis. Nous
sommes obligés de marcher en vue de trouver des gens qui vont nous
donner quelque chose, sinon, nous crèverons de faim, nous manquerons de
quoi s'acheter des petits trucs à manger pendant la journée
»52
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