2.2.5 2. L'indépendance du
pouvoir judiciaire
Un premier trait de réformes irait donc, à notre
avis, dans le sens de la vulgarisation de la norme constitutionnelle, aussi
bien à la Faculté qu'au prétoire du juge. Ce qui suppose
une étroite collaboration entre les deux mondes.
Il faudra d'ailleurs un minimum de conditions
matérielles, psychologiques et humaines solides pour que
l'efficacité et la cohérence de la Cour constitutionnelle,
créée à la faveur de la Constitution du 18 février
2006, puissent nourrir, à nouveau, l'espoir d'un meilleur fonctionnement
du cadre institutionnel du contrôle de constitutionnalité.
Le problème de garanties morales du juge est
très sérieux. Il est plus discuté et c'est sur cette
question que l'accord est loin d'être unanime. Ce problème touche
principalement le principe de l'indépendance.
Le principe d'un « pouvoir »
constitué par l'ensemble des Cours et Tribunaux, découle des
enseignements de Montesquieu qui, à la recherche des institutions
politiques pouvant assurer au mieux la liberté des citoyens, d'un
système politique dans lequel les pouvoirs sont séparés et
peuvent, le cas échéant, s'arrêter les uns et les autres, a
découvert cette situation dans le système britannique :
c'est le fameux principe de la séparation des pouvoirs
législatif, exécutif et judiciaire.
En Afrique noire, ce principe constitue l'une des
rançons de la décolonisation politique ; compris ou non, il
est inscrit dans les textes constitutionnels, aux titres consacrés
à l'exercice des pouvoirs
La République démocratique du Congo n'a pas
échappé à cette règle au moment de sa
décolonisation. La Loi fondamentale du 19 mai 1960, la constitution du
1er août 1964 et celle du 24 juin 1967 ont
proclamé avec force que « le pouvoir judiciaire est
indépendant des pouvoirs législatif et
exécutif ».
De son côté, la Constitution actuelle du 18
février 2006 dispose, en son article 156 que "le pouvoir judiciaire est
indépendant du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif.
Il est dévolu aux Cours et Tribunaux qui sont : la Cour
Constitutionnelle, la Cour de cassation, le Conseil d'Etat, la Haute Cour
militaire, les Cours et Tribunaux, civils et militaires, ainsi que les parquets
rattachés à ces juridictions". L'article 151 de la même
Constitution " enfonce le clou" :
Le pouvoir exécutif ne peut donner d'injonction au juge
dans l'exercice de sa juridiction, ni statuer sur les différends, ni
entraver le cours de la justice, ni s'opposer à l'exécution d'une
décision de justice" (alinéa1). Le pouvoir législatif ne
peut ni statuer sur des différends juridictionnels, ni modifier une
décision de justice, ni s'opposer à son exécution ..."
(alinéa 2).
L'alinéa 3 conclut de manière
impérative : « Toute loi dont l'objectif est
manifestement de fournir une solution à un procès en cours est
nulle et de nul effet ». Déjà, en son article 150, la
Constitution a, de manière impérative, prescrit que « les
juges ne sont soumis dans l'exercice de leur fonction qu'à
l'autorité de la loi ».
Dans la pratique, ce principe est escamoté par des
tentatives diverses, ne serait-ce que par des instructions précises
données aux magistrats du siège ou par des prises de positions
publiques tendant à influencer la décision du juge.
Le principe de l'indépendance de la magistrature
semble, dans l'entendement de la classe politique, difficile à
appliquer, surtout dans les systèmes politiques de la plupart des pays
sous-développés : la première difficulté est
que les dirigeants de ces pays ne supportent pas la contradiction ; la
deuxième est que le personnel judiciaire qui constituerait un
« pouvoir » n'a pas la même puissance que le
personnel politique.
En effet, étant donné que les magistrats sont
nommés et révoqués par l'exécutif, ils n'ont pas de
support politique suffisant pour tenir tête au jeu des intrigues
politiques qui caractérise les relations de l'exécutif et du
législatif, deux organes issus des modes de désignation presque
identiques.
Comme tout agent de l'Etat, le magistrat est soumis au devoir
de loyalisme et prête d'ailleurs serment avant de prendre ses fonctions.
A partir de ce moment, il est exclu que les magistrats ne soient pas
influencés dans leur intime conviction devant un conflit opposant le
citoyen à l'administration.
A côté des influences ou, plus exactement, des
pressions morales que le juge peut avoir de la part du pouvoir politique, il y
en a d'autres, beaucoup plus sournoises et beaucoup plus redoutables :
c'est, d'un côté, la puissance de l'argent, et de l'autre, ce que
l'on peut appeler les insuffisances professionnelles.
La première, qui se traduit par la faiblesse devant
l'argent et la concussion, peut avoir comme source l'insuffisance de moyens
matériels de subsistance ; mais cela peut être combattu
grâce au relèvement de leur salaire.
A ce sujet, il convient de noter que le magistrat fait partie
de la catégorie des cadres les mieux payés actuellement au
Congo bien que, le plus souvent, les réalités contredisent
les principes.
Quant aux insuffisances dites professionnelles, elles se
constatent par l'attitude du juge qui s'en remet aux conclusions des parties ou
des autres magistrats : le juge fonde son jugement sur les conclusions des
plaideurs sans que lui-même ait « fouillé »
dans les contours de la loi et des règles jurisprudentielles pour y
découvrir la solution adéquate ; ou, pour ce qui concerne le
ministère public, le magistrat déclare seulement qu'il se remet
à la sagesse du tribunal.
L'indépendance de la magistrature doit permettre au
juge d'avoir la capacité de résister aux pressions des autres
pouvoirs, publics ou privés, et à la séduction de
l'argent. Le juge doit donc être indépendant non seulement
vis-à-vis des autres pouvoirs mais aussi devant ses collègues
magistrats, tant du siège que du parquet.
Son indépendance doit s'étendre aussi
vis-à-vis de cette endémie sociale qui sévit dans les
milieux professionnels, où certains cadres, investis de pouvoir de
décision ou de service à rendre, exigent au préalable un
certain nombre de prestations, soit en numéraire, soit en biens.
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